23-04-2024 01:42 PM Jerusalem Timing

Les Emirats ratissent large dans leur lutte contre l’islamisme politique

Les Emirats ratissent large dans leur lutte contre l’islamisme politique

Les Emirats "ont été longtemps à l’abri du terrorisme" mais leur "alarmisme excessif pourrait s’avérer être une prophétie".

Quand les Emirats arabes unis ont publié leur liste de 83 groupes classés "terroristes", plusieurs agences caritatives occidentales ont sursauté en voyant leurs noms cités aux côtés de ceux d'Al-Qaïda et du groupe Etat islamique (EI).
   
Il n'était pas surprenant que les Frères musulmans soient en tête de liste en raison de la campagne implacable menée par Abou Dhabi contre cette confrérie.
   
Mais l'inclusion du Conseil des relations américano-islamiques (CAIR), de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ou d'autres associations islamiques en Finlande, Norvège, Suède et dans d'autres pays européens a suscité l'indignation de gouvernements occidentaux qui ont demandé des explications.
   
En ratissant large, les Emirats ont confirmé que leur lutte contre l'islamisme était autant idéologique que conventionnelle.
   
Pour Frederic Wehrey, spécialiste du Golfe à l'institut Carnegie Endowment for International Peace, la liste vise "l'islamisme politiquement actif". "Ils (les Emirats) essaient de classer des groupes non-violents affiliés aux Frères musulmans dans la même catégorie idéologique que celle de groupes réellement terroristes comme Boko Haram (du Nigeria) et Al-Qaïda".
   
La riche monarchie du Golfe, qui a une société ouverte accueillant des millions d'étrangers, semble avoir fait délibérément un choix en se plaçant à l'avant-garde de la lutte "antiterroriste".
   

 Toujours les Frères musulmans

Les Emirats n'ont jamais été visés par des attentats sur leur territoire et ont été épargnés par les manifestations ayant secoué d'autres pays de la région dans le sillage du Printemps arabe.
   
Mais les dirigeants du pays pétrolier perçoivent comme une menace à leur règne la confrérie des Frères musulmans, fondée en 1928 en Egypte et qui a des ramifications dans toute la région.
"Les critères (pour la liste) ont pris en considération tout ce qui pourrait avoir un lien même lointain avec les Frères musulmans", indique Andrew Hammond, chercheur au Conseil européen des relations extérieures pour le Moyen-Orient et l'Afrique du nord.
   
Les Emirats ont violemment réprimé ces dernières années les Frères musulmans, emprisonnant des dizaines de membres, et mis la pression sur le Qatar voisin pour qu'il cesse son appui à la confrérie.
   
Ils ont également utilisé leur puissance militaire contre les insurrections islamistes en bombardant des positions d'insurgés en Libye et en rejoignant la coalition internationale conduite par les Etats-Unis en Irak et Syrie.
   
Pour Mustafa Alani, expert au Gulf Research Centre basé à Genève, les Emirats ne sont pas face à "une menace imminente ou potentielle", mais sont préoccupés par "la situation dans la région".
   
La "liste noire" des Emirats, publiée le 15 novembre, compte 83 groupes, dépassant de loin celle de l'Arabie saoudite qui en compte neuf et celle des Etats-Unis qui porte les noms de 59 "organisations étrangères terroristes".
   
Elle omet cependant des groupes comme le Hezbollah chiite libanais et le mouvement islamiste Hamas qui contrôle la bande de Gaza.
   

'Alarmisme excessif'

Sa publication a suscité des protestations. CAIR, important groupe islamique de défense des libertés civiles aux Etats-Unis, a trouvé son classement "choquant et bizarre", rappelant ses "multiples initiatives antiterroristes".
   
L'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, a dit l'avoir découverte avec "stupeur et colère". "Plusieurs autres organisations musulmanes occidentales sont également injustement listées", a ajouté l'UOIF, en citant entre autres la Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE)), proches ou issues des Frères musulmans.
   
Selon des responsables émiratis, ces groupes pourraient faire appel devant la justice pour demander leur retrait de la liste.
   
Dans un entretien à Fox News, le ministre émirati des Affaires étrangères, cheikh Abdallah Ben Zayed Al-Nahyane, a laissé entendre que les groupes mentionnés sur la liste soutiennent et financent secrètement des insurgés violents.
 Par ailleurs, "pour de nombreux pays, la définition du terrorisme est de porter une arme et de terroriser des gens. Pour nous, cela va bien au-delà", a-t-il lancé.
   
Cependant, M. Wehrey avertit que la liste émiratie pourrait faire plus de mal que de bien "en poussant des mouvements politiques islamistes vers la clandestinité". Les Emirats "ont été longtemps à l'abri du terrorisme" mais leur "alarmisme excessif pourrait s'avérer être une prophétie".