28-03-2024 08:20 PM Jerusalem Timing

A Beyrouth, un paradis vert interdit aux Libanais

A Beyrouth, un paradis vert interdit aux Libanais

Dans une ville asphyxiée par le béton, les militants réclament la réouverture de Horch Beyrouth.


   Avec ses 30 hectares de pinède, ce devrait être le bois de Boulogne des Beyrouthins. Or depuis 20 ans, le plus grand parc de la capitale libanaise est quasiment fermé à ses habitants... mais autorisé dans les faits aux Occidentaux.
 

  Dans une ville asphyxiée par le béton, les militants réclament la réouverture de Horch Beyrouth, appelé aussi Horch al-Sanawbar (Bois des pins, en arabe), une forêt qui représente près des deux-tiers des espaces verts de la capitale libanaise.

   En vain, car la municipalité argue que cet immense espace vert dans le sud de la ville ne dispose pas des infrastructures pour accueillir les masses.
   Pour y accéder, il faut avoir soit plus de 30 ans, soit moins de 10 ans et être accompagné des parents, et être muni d'une autorisation délivrée par le gouverneur de Beyrouth.

   "J'ai dû signer un imprimé dans lequel je m'engageais à maintenir propre le parc et à le préserver. La réponse me sera donnée dans dix jours", raconte Michel, un enseignant qui a sollicité le droit de fréquenter ces lieux parce que son médecin lui a "recommandé de faire du sport".

   "Un garde m'a expliqué que les Occidentaux pouvaient entrer sans autorisation car ils ont appris depuis longtemps à préserver la propreté des lieux publics", souligne-t-il.

   Ce filtrage du public est jugé discriminatoire par nombre de Libanais.
   "Je n'ai pas le droit d'aller lire ou d'exercer une activité dans Horch Beyrouth à cause de mon âge alors que c'est mon droit", peste Ziad Lyan, un jeune 25 ans.
   "C'est comme si on interdisait l'accès de Central Park aux New Yorkais!", s'insurge Joanna Hammour, de l'ONG "Nahnoo" (Nous, en arabe) qui milite pour la réouverture du bois et menace la municipalité de poursuites.
   
 'Fermeture illégale'    

   "La fermeture de Horch Beyrouth est illégale, c'est un espace public", poursuit la jeune femme de 32 ans, en s'indignant que "beaucoup d'étrangers" puissent, eux, accéder au bois sans permis.

  Une chercheuse américaine de passage au Liban, Lynn Staeheli, le confirme. "Je suis entrée sans que personne ne m'interpelle mais les gardes ont interdit à une amie libanaise de me rejoindre", confie-t-elle, choquée, à l'AFP.

   Face à une spéculation immobilière effrénée depuis la fin de la guerre civile en 1990, les espaces verts n'ont jamais été prioritaires. A Beyrouth, seuls 0,65 m2 de jardins publics sont disponibles par habitant, loin des 10m2 recommandés par l'Organisation mondiale de la Santé, selon une étude du bureau d'architectes libanais Habib Debs, financée par la région Ile-de-France.

   La capitale et sa banlieue, où vivent deux millions d'habitants - la moitié de la population du pays - sont embouteillées et polluées.
   Au fil du temps, les espaces publics se sont rétrécis et le territoire non
bâti est passé de 40% en 1967 à 10% en 2000, selon l'étude de Habib Debs.
   Comble de l'illogisme aux yeux des partisans d'un Horch Beyrouth libre d'accès: il est habituel de voir des citoyens faire du jogging sur le trottoir à l'extérieur de l'enceinte du bois... alors même que Horch Beyrouth est quasiment vide.
   
Poumon de Beyrouth
   
Pour la municipalité de Beyrouth, la forêt ne peut tout simplement pas recevoir actuellement un grand nombre de visiteurs.

Certes, "avec ses 300.000 mètres carrés, c'est le poumon de Beyrouth", reconnaît son président Bilal Hamad interrogé par l'AFP. Mais "nous ne pouvons assurer ni la sécurité, ni la propreté avec les effectifs de la police municipale", dit-il.
   "Imaginez que quelqu'un provoque un incendie...", avance-t-il, en soulignant aussi l'absence de toilettes ou de voies pour bicyclettes.

   M. Hamad assure qu'une adjudication doit être lancée cet été pour "la gestion et le maintien de l'ordre" du bois, qui devrait être inauguré en 2016.
   Mais les militants de l'ouverture du parc dénoncent "des promesses en l'air".
   "Il n'y a aucune raison de faire appel à des entreprises privées", lance
Mohammad Ayoub, président de Nahnoo, selon qui la municipalité a un surplus budgétaire de centaines de millions de dollars lui permettant tout à fait d'assurer gardes et nettoyage.

   "Ils nous traitent comme des gamins à qui on refuse un jouet de peur qu'ils ne le cassent", déplore le jeune Ziad. "Or il faut apprendre à préserver ce jouet !"

   Selon Hamad, le plan municipal prévoit également la construction d'un jardin botanique de 10.000 m2 en coopération avec la municipalité de Genève, d'un amphithéâtre et la transformation d'un "ancien terrain d'entraînement en stade olympique avec des parkings souterrains".

   "Pas un seul arbre ne sera coupé", promet-il, aãors que ces projets de constructions modernes au sein de ce vaste espace vert sont vus comme des "crimes" par de nombreux habitants.

   Pendant la guerre civile (1975-1990), le Bois des Pins était sur la ligne de démarcation et a été ravagé durant l'invasion israélienne de 1982, avant d'être partiellement réaménagé grâce à un financement de l'Ile-de-France.
   Dans un pays plus que jamais divisé, "Horch Beyrouth doit rouvrir", juge Joanna Hammour. "En tant que symbole d'unité, de paix, de réconciliation entre les habitants".