Le Liban fait ses adieux à Ziad Rahbani, l’un des plus grands artistes libanais de sa génération, décédé samedi des suites d’une maladie à l’âge de 69 ans.
Fils de Fairouz , la Diva du Liban et du grand compositeur Assi Rahbani, considéré lui-même comme l’un des génies de la musique libanaise, Ziad Rahbani s’est aussi distingué par sa chanson engagée et ses pièces de théâtre satiriques sur la société libanaise. Ses textes, ses interventions et son discours, étaient imprégnés d’un franc-parler aussi pertinent que sarcastique, qui a fait son mérite, traversant les générations depuis la guerre civile au Liban et jusqu’à nos jours. Il était entre autres maitre en la parole connue en arabe par « al-modhek al-moubki ». Terme lequel peut être traduit par « l’humour poignant».
Il était un militant infatigable en faveur de la justice et des déshérités, un soutien ferme à la cause palestinienne et à la lutte contre l‘impérialisme, dans un engagement politique assumé à gauche.
Au matin, un parterre de ses fans et amis s’est rassemblé autour de l’hôpital Khoury de Beyrouth, où il a succombé, chantant ses airs les plus célèbres, en présence de représentants du Parlement et de partis politiques pour un dernier adieu.

Présent parmi les gens, le député du Hezbollah Ibrahim al-Moussawi a déploré : « le décès de Ziad Rahbani constitue une perte importante pour la patrie, et de tout ce qui appartient à la conscience humaine ».
Son cercueil a par la suite quitté l’hôpital dans le célèbre quartier beyrouthin, Hamra où il a longtemps vécu, dans un cortège funèbre qui a traversé les rues de Beyrouth sous une pluie de fleurs et les youyous des personnes rassemblées.
Le cortège s’est poursuivi jusqu’à la localité de Bikfaya, dans le Mont-Liban, où il sera inhumé lors d’une cérémonie funèbre à l’église de la Dormition de Notre-Dame (Al-Muhaydatha) en présence de personnalités officielles et populaires. Ses funérailles commenceront à 16h00 au cimetière familial et se poursuivront jusqu’à 18h00.

Au milieu de la journée, Sayeda Fairouz s’y est présentée, sous les applaudissements: « Que Dieu te donne la patience. Ya Fairouz ».
Les autorités libanaises qui se sont abstenus de déclarer le deuil national, ont été critiquées avec virulence sur les réseaux sociaux. Les épouses des présidents de l’exécutif et du législatif se sont présentées. Puis se sont succédés les représentants de la classe politique, du monde artistique, des médias…
« Au moment de la mort ouverte »

Le quotidien libanais al-Akhbar a consacré au décès de Ziad Rahbani sa Une, avec un gros titre : « Le limpide à jamais ».
Son rédacteur en chef Ibrahim al-Amine qui avait connu Ziad Rahbani en personne a décrit dans son éditorial intitulé « Il était temps » son impuissance face à cette perte.
« Mon problème avec le décès de Ziad, c’est que c’était un moment qui est depuis longtemps attendu, mais son annonce intervient alors que son nom n’a pas encore été inscrit sur le mur de la perte. »
Décrivant Ziad tel qu’il l’a connu, il dit aussi :
« Ziad avait l’habitude de se réfugier dans le silence pour guérir le dégoût, l’impuissance et la fatigue. Pour lui, le silence était l’occasion de s’exprimer à travers cet instrument merveilleux qu’est le piano. Rien au monde ne vaut l’étreinte d’une mère, si ce n’est la relation de Ziad avec les touches de son instrument magique. Quand la musique s’élève, on sait qu’il n’a pas abandonné ».
Et puis de rapporter ses derniers jours : « Mais lors de son dernier voyage, Ziad s’est éloigné de sa boîte à merveilles, la poussière s’y est élevée. Son départ s’annonçait. »
« Pour moi, la mort de Ziad est survenue à un moment de mort ouverte. C’est une mort pleine de sens, contrairement à la mort des morts. C’est ce qui rend son départ si tumultueux ».
« Avec toi, nous étions moins seuls »

Le quotidien an-Nahar lui a accordé un billet signé par Roula Abdallah, « Ziad Rahbani, les larmes des fleurs et les saisons des oiseaux ».
Sur sa mort, elle a écrit : « Voilà Ziad qui s’en va sans permission. Las des paroles que personne n’écoute, des alarmes qui ne le réveillent pas, de la musique qui ne change plus et de nos rires qui cachent notre misère pour ne pas la révéler ».
Selon Roula Abdallah, « il s’est retiré de ce pays fatigué comme un acteur se retire d’une pièce ruinée à la fois par les producteurs et par le public ».
Sur sa vie elle décrit : « un texte ouvert, ouvert aux possibilités du rire et de la déception. »
Sur sa carrière, elle estime : « Il n’était pas seulement musicien, ni simplement dramaturge satirique. C’était un intellectuel organique, comme Gramsci l’entendait : non pas un regard d’en haut, mais une immersion dans la chair du peuple, dans son désespoir, ses plaisanteries sarcastiques, son pain rassis et ses pannes de courant. »
Et de conclure son billet : « Adieu Ziad, (toi) les larmes des fleurs quand la patrie pleure, et la saison des oiseaux quand ils rêvent dans le ciel d’al-Hamra. Dors paisiblement sous un arbre que je t’ai entendu écrire, et qui a fleuri la tristesse. Tu n’étais pas bien, nous non plus. Mais avec toi… nous étions moins seuls. »
Source: Divers



