Pourparlers secrets entre l’ONU et le Hezbollah, menaces de l’administration américaine proférées contre des dirigeants irakiens et le Hezbollah, échange de messages entre le général iranien Qassem Souleimani et le représentant des USA, sous fond de bras de fer continuel…
Selon des sources proches de Souleimani, toutes ces tractations, et d’autres encore, se sont poursuivies au cours des quatre derniers mois en Irak entre l’Iran et les USA, entre le Hezbollah et les USA et entre les USA et les dirigeants irakiens, à propos du prochain mandat de quatre ans en Mésopotamie et les inévitables défis qui viennent avec, à savoir qui dirigera le pays, comment l’Irak se comportera à l’égard des USA et si l’embargo unilatéral des USA imposé à l’Iran sera respecté.
L’Irak représente une source de revenus considérable pour l’Iran et lui tient lieu de poumons pour ses devises étrangères, surtout depuis l’imposition des sanctions américaines. Cependant, lorsque le président Donald Trump a révoqué l’accord sur le nucléaire et a imposé des sanctions contre l’Iran, cette décision a été moins dure pour l’Iran que les sanctions précédentes imposées par l’ONU pendant des décennies, parce que de nombreux pays refusent de suivre les USA contre l’Iran. L’administration américaine croyait, et croit peut-être encore, que le régime iranien rentrerait dans le rang après l’imposition des nouvelles sanctions. Cette idée naïve a été transmise aux dirigeants irakiens, dont certains étaient convaincus que l’hégémonie des USA sur le monde augmenterait de façon significative et que l’Iran était défait.
Voilà pourquoi le général iranien Qassem Souleimani et le représentant de Sayyed Hassan Nasrallah en Irak Cheikh Mohammad Kawtharani ont formé une équipe. Ce n’est pas la première fois que les deux hommes sont engagés directement dans la formation du gouvernement irakien. Les Irakiens ont habituellement plus de difficulté à communiquer avec les envoyés iraniens et sont plus à l’aise avec le Hezbollah, même si l’influence iranienne est plus substantielle. C’est une question de culture et de manières de communiquer. Les dirigeants irakiens, tout comme les Libanais, n’ont pas réussi à trouver un moyen de communiquer entre eux et de parvenir à des compromis et à un terrain d’entente pour former un gouvernement national. Les puissances étrangères régionales et internationales jouent ainsi des rôles essentiels tout en restreignant le potentiel d’indépendance nationale.
De toute évidence, l’administration américaine est parvenue à influencer des personnalités reconnues au sein du leadership irakien, dont Sayyed Ammar al-Hakim et l’ex-premier ministre Haidar Abadi. Abadi était entouré de personnes qui écoutaient les USA et croyaient en son hégémonie et à la chute de l’Iran « très bientôt », un peu comme d’autres ont cru à la chute du président syrien Bachar al-Assad et de son régime dans trois mois, six mois ou un an au plus tard. Il est pourtant toujours au pouvoir, ce qui fait ressortir l’échec retentissant des bellicistes du changement de régime même après sept ans de guerre.
Ces personnes ont poussé Abadi à annoncer qu’il respecterait les sanctions unilatérales des USA contre l’Iran, en croyant que cela l’aiderait à obtenir un second mandat. En suivant ce mauvais conseil, Abadi a commis sa plus grosse erreur et planté le premier clou de son cercueil. L’envoyé des USA a fait tout en son pouvoir pour promouvoir Abadi, mais en vain. Selon des décideurs haut placés à Bagdad, l’envoyé des USA a en fait menacé l’Irak si des pourparlers étaient entamés avec le représentant du Hezbollah, perçu comme un « terroriste ». Faleh al-Fayyad, chef de la Sécurité nationale et commandant des Hachd al-Chaabi, a rencontré l’ambassadeur Brett McGurk pour l’informer que «la liste des terroristes dressée par les USA s’applique à l’extérieur de l’Irak et certainement pas à un citoyen irakien (Cheikh Kawtharani a une double citoyenneté) ».
D’après les sources, l’envoyé des USA a dit qu’il n’agissait contre personne, qu’il n’essayait pas de poignarder l’Iran ou l’Irak dans le dos et qu’il aimerait transmettre à Qassem Souleimani le message que les USA n’essaient pas de tordre le bras de l’Iran en Irak.
Un représentant de l’ONU en Irak a rencontré l’envoyé du Hezbollah afin de décrisper une situation déjà tendue. Kawtharani lui a dit ceci : «notre candidat est Abu Mahdi al-Muhandis. Si les USA veulent imposer un candidat, voyons voir qui réussira à prendre le pouvoir ». Pareille réunion entre un représentant de l’ONU et un représentant du Hezbollah signale que le rôle du Hezbollah en Irak est reconnu et donne une idée de l’état désespéré des Américains qui, de toute évidence, craignaient qu’accède au pouvoir un dirigeant irakien nourrissant une très forte animosité envers les USA.
L’Iran et les USA ne sont toutefois pas les seuls joueurs. La Turquie préférait Osama al-Nujaifi à Mohamed al-Halbousi comme président du Parlement. Ce qui a obligé Khamis Khanjar à se déplacer pour rencontrer le président turc Recep Tayyib Erdogan et l’informer au sujet de l’alliance de Nujaifi avec les USA et l’Arabie saoudite. C’est à ce moment que le président turc a laissé tomber Nujaifi au profit d’Halbousi.
Il ne fait aucun doute que l’Irak se trouve dans l’œil de la tempête. Les intérêts de l’Iran, de la Turquie et des USA ont des influences certaines dans les élections et le choix des dirigeants irakiens.
Les objectifs des USA étaient clairs : Abadi était le candidat parfait. L’ex-premier ministre a fait tout ce qu’il pouvait pour suivre la politique américaine en Irak et en Syrie. C’est lui qui a empêché les Hachd al-Chaabi de libérer Deir Ezzor/Al-Qaem, en réponse à une exigence des USA. Il fallait que les USA gagnent suffisamment de temps pour permettre aux Kurdes d’atteindre Deir Ezzor et l’est de l’Euphrate. Abadi a donc mis fin au soutien des Hachd à la Syrie, ce qui a permis aux USA d’occuper le nord-est de la Syrie.
Abadi s’est vivement opposé à Souleimani à au moins quatre reprises, en ordonnant notamment le contrôle de ses bagages à son arrivée à Bagdad, une sorte de coup bas à l’irakienne pour « tirer l’oreille de Soleimani ». Abadi a fait attendre Souleimani à l’extérieur de son bureau à de nombreuses occasions et voulait exclure Abu Mahdi al-Muhandis de son poste de chef militaire des Hachd. En outre, lorsque l’ex-premier ministre s’est rendu au QG des Hachd al-Chaabi, il s’est opposé à la présence de portraits du grand ayatollah Sistani, d’Imad Mougniyah et d’autres, en prétendant ne pas les connaître. C’était sa façon à lui d’imposer son autorité, une autorité qu’il n’a jamais vraiment appréciée et qui lui a fait perdre son second mandat, en plus d’empêcher tout membre du parti Dawa d’être au pouvoir, à moins qu’une réforme majeure n’ait lieu dans l’avenir.
Rôle de l’Iran dans les élections irakiennes
Des mois avant les élections, l’Iran avait la ferme intention de promouvoir Haïdar Abadi. En fait, Qassem Souleimani a cherché à imposer Abadi quelques jours avant les élections en rendant visite au premier ministre en compagnie de Hadi al-Ameri, dans le but de créer une alliance. Al-Ameri, qui avait réussi à obtenir 48 sièges au Parlement (Abadi n’en avait plus que 12), a refusé de se plier aux désirs de Soleimani. Ce n’était pas très brillant de mettre tous les œufs dans le panier d’Abadi avant les élections. Mais une fois que les résultats sont clairs, la donne change complètement.
Abadi s’est montré hostile envers l’Iran, convaincu qu’il était que « le régime iranien tomberait ». Souleimani a donc cessé de soutenir Abadi et s’est tourné vers Adel Abdel Mehdi comme premier choix et Faleh Al-Fayyadh comme deuxième possibilité (soit dit en passant, cela tient toujours, au cas où Adel n’arriverait pas à former un gouvernement). Comme Abadi était soutenu par les USA et l’Arabie saoudite, il ne devait pas devenir le futur premier ministre.
La Turquie, devenue aujourd’hui un joueur important au Moyen-Orient, qui a deux consulats à Bassora et Mossoul ainsi que des troupes présentes au nord de l’Irak, voulait qu’Osama al-Nujaifi devienne président du Parlement. L’Iran ne voulait pas s’opposer au président Erdogan. L’alliance Iran-Turquie est importante certes, mais la Turquie voulait savoir aussi si son candidat était appuyé aussi par les USA et l’Arabie saoudite. D’où le rôle important joué par Khamis Khanjar, un homme d’affaires favorable au Qatar et à la Turquie. Saleh al-Mutlaq ne s’était pas rangé du côté de l’alliance iranienne cette fois-ci, comme c’était le cas sous l’ancien gouvernement, et Khanjar était l’homme qu’il fallait à la place de Mutlaq pour diriger les sunnites en Irak. C’était également pratique pour l’Iran de voir Mutlaq se joindre au camp opposé, puisqu’il se représentait lui-même et non plus à la tête de 20 députés comme sous l’ancien gouvernement. L’Iran se trouve ainsi libéré de tout engagement envers Mutlaq, qui aurait demandé un poste de vice-premier ministre pour quitter le camp américain et saoudien.
Lorsque le président Erdogan a été convaincu qu’Osama al-Nujaifi n’était plus dans son camp, il a accepté d’appuyer Halbousi, qui lui a rendu visite après les élections pour le remercier de son soutien. Il a réussi à obtenir d’Erdogan son accord pour ouvrir davantage les vannes du Tigre vers l’Irak afin de contrer les pénuries d’eau, notamment à Bassora.
Satisfait de l’élection d’Halbousi, l’Iran s’est alors tourné vers l’étape suivante : l’élection du nouveau président. Souleimani était alors confronté à un véritable dilemme. Il avait arrêté son choix sur Barham Salih, qui promettait de se tenir aux côtés de l’Iran comme « Mam Jalal (Talabani) l’a fait ». Mais il ne fallait pas contrarier Massoud Barzani et le jeter dans les bras des USA. Le dirigeant kurde est vindicatif et mécontent d’avoir perdu à la fois Kirkouk et son référendum. Souleimani ne voulait pas avoir l’air de celui qui tire la dernière balle dans la tête de Barzani en plus de rejeter son candidat, Fouad Hussein.
Le jour des élections, Fouad Hussein et Barham Salih se faisaient face au parlement. Souleimani est resté sur le côté et les députés ont voté sans pression. Après le premier tour, Barham Salih a réussi à recueillir 112 votes sur les 220 requis. C’est alors que des appels téléphoniques ont été faits à de nombreux députés pour leur demander de se retourner contre Salih en faveur de Fouad Hussein. Souleimani a envoyé un message à Barham Salih lui demandant d’éteindre son téléphone cellulaire pour éviter toute pression de l’extérieur l’incitant à se retirer, et les députés du bloc al-Bina ont été invités à soutenir Salih qui a remporté le second tour.
Le dernier poste à combler, qui est aussi le plus important, était celui de premier ministre. Nouri al-Maliki a rejeté la candidature d’Adel Abdel Mehdi jusqu’à la dernière heure de son élection. Il a fallu beaucoup de pression et d’effort de Souleimani et de Kawtharani pour convaincre al-Maliki que le parti Dawa avait perdu sa position (maintenue depuis 2006) et qu’il était temps d’aller de l’avant avec une personne acceptée par la Marjaaya et la plupart des partis politiques. Une fois l’accord d’al-Maliki obtenu, Adel a eu le champ libre.
Le grand ayatollah Sistani a envoyé un message à Moqtada al-Sadr, par l’entremise de son fils Sayyed Mohammad Reza, pour demander au leader sadriste de permettre à Adel de former son gouvernement. « Je t’entends et j’obéirai », a répondu Moqtada.
En fin de compte, Moqtada a laissé tomber Abadi et a fait la sourde oreille à Sayyed Ammar al-Hakim, qui soutenait un allié des USA, le chef du service du renseignement irakien, au poste de premier ministre. Moqtada était en colère contre l’Iran, mais pas au point de suivre les ennemis de l’Iran. Il a donc reculé d’un pas et abandonné Abadi.
Les hauts dirigeants américains en Irak nient avoir exercé des pressions ou proféré des menaces directes ou indirectes pour assurer la victoire d’Haidar Abadi, leur candidat favori. Aucune liste promue par les USA n’est parvenue au bureau du premier ministre. Les Américains prétendent avoir soutenu Halbousi, Salih et Abdel Mehdi. Si les USA et l’Iran sont ainsi parvenus à la même conclusion, qui sait, la prospérité et le progrès de la Mésopotamie seront peut-être assurés.
Par Elijah J. Magnierك Traduction : Daniel G.