Joe Biden encore plus virulent que Donald Trump? La nouvelle Administration américaine a engagé un bras de fer avec la Chine. Pour Marianne Péron-Doise, spécialiste de l’Asie-Pacifique, cette tentative de réaffirmation du leadership américain n’implique pas, cependant, la mise en place d’une «mini-Otan asiatique».
Il faut s’«assurer que l’Otan se concentre sur la Chine et les défis qu’elle pose», s’est exclamé Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, à l’occasion du sommet de l’Otan à Bruxelles le 24 mars. Dix ans après le virage stratégique du pivot asiatique de Barack Obama, la compétition s’annonce rude et intense face à ce qui est qualifié de «menace chinoise». Alors que la communauté internationale imaginait un apaisement des relations internationales avec l’avènement du Président Démocrate, le ton adopté par la Maison-Blanche s’est fait encore plus virulent. L’escalade rhétorique se traduit aussi dans les faits. Des sanctions ont été mises en place ce 22 mars contre l’empire du Milieu, accusé de maltraiter les Ouïghours. Selon Marianne Péron-Doise, spécialiste de l’Asie-Pacifique, qui cite la boutade d’un diplomate: «L’Administration Biden, c’est Trump plus les droits de l’homme.»
Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Marianne Péron-Doise, spécialiste de l’Asie-Pacifique, experte en stratégie et en sécurité maritime.
Un dialogue glacial pour une nouvelle guerre froide?
Les 18 et 19 mars 2021, une rencontre bilatérale en Alaska avait déjà donné le «la» des relations plus qu’houleuses entre les deux diplomaties. Premier face-à-face sino-américain sous l’ère Biden, ce sommet était censé approfondir le dialogue entre les deux puissances. En fait, il a donné lieu à une joute oratoire du genre musclé. D’un côté, Antony Blinken, flanqué de Jake Sullivan, conseiller présidentiel pour la sécurité nationale. En face, Yang Jiechi, membre du Parti communiste chinois chargé de la diplomatie, et Wang Yi, ministre des Affaires étrangères.
Le Secrétaire d’État américain a d’emblée fait part de ses «profondes inquiétudes au sujet des actes de la Chine, s’agissant du Xinjiang», mais également à propos «de Hong Kong, de Taïwan, des cyber-attaques contre les États-Unis et de la coercition économique contre nos alliés». Des propos qui ont eu le don de piquer au vif les hauts responsables chinois présents à Anchorage. Ceux-ci ont aussitôt dénoncé des «ingérences» et une «mentalité de guerre froide».
Déjà cueilli à froid à la descente de l’avion par l’annonce de sanctions contre Pékin, Wang Yi a déclaré: «Ce n’est pas comme cela que l’on accueille ses invités.» Le chef de la diplomatie chinoise a ensuite adopté un ton plus un chouïa plus conciliant, prétendant espérer ne voir «aucune confrontation, aucun conflit, un respect mutuel et une coopération gagnant-gagnant» entre les deux superpuissances.
Moins accommodant, son compagnon de voyage, Yang Jiechi, n’a pas mâché ses mots: «Nous prendrons des mesures fermes en représailles.» Des dispositions adoptées sur-le-champ, d’ailleurs! En riposte aux sanctions américaines, canadiennes et européennes du 22 mars, Pékin a sévi contre plusieurs ressortissants occidentaux, dix personnalités européennes, dont cinq élus du Parlement européen, ainsi que neuf Britanniques.
La comparaison avec la guerre froide sert régulièrement à désigner cette nouvelle rivalité digne du piège de Thucydide (phénomène récurrent dans l’histoire qui voit une puissance dominante en déclin, inquiète face à l’émergence d’un concurrent, lui déclarer la guerre). Marianne Péron-Doise estime pourtant que nous ne sommes pas «à proprement parler» dans une nouvelle guerre froide. En son temps, l’affrontement américano-soviétique mettait aux prises «deux blocs, deux systèmes d’alliances». Il était doté d’une «forte connotation idéologique».
Or, pour le moment, l’antagonisme sino-américain n’a pas encore abouti à une logique de blocs prêts à en découdre. À Bruxelles, Anthony Blinken l’a d’ailleurs signifié en déclarant que les États-Unis ne contraindraient pas leurs alliés «à choisir entre eux et la Chine». Alors que l’Administration Biden a fondé sa politique étrangère sur la rhétorique «des valeurs démocratiques», Pékin tente de promouvoir son image d’une façon différente.
La Chine «veut en fait prouver la légitimité de son modèle, de ses valeurs, de sa gestion, en s’appuyant sur la réalité de sa puissance économique, et donc d’une certaine forme de réussite, par rapport à un clan occidental et à des valeurs que représentent les États-Unis. Celles-là sont présentées comme étant en recul et en déclin.»
La première prise de contact entre les deux diplomaties aura été aussi l’occasion de «rassurer les principaux partenaires des États-Unis» en Asie-Pacifique, qui partagent de plus en plus plus «le sentiment d’une menace chinoise, en tout cas, d’une déstabilisation progressive d’un ordre international». Pour le média chinois Global Times, cette «menace chinoise» est exagérée par les membres du Quadrilateral Security Dialogue (Quad).
Le Quad, une alliance anti-Chine?
Le 25 mars, les Philippines déployaient des navires en mer de Chine méridionale dans l’archipel des Spratleys, dénonçant le stationnement de 183 navires chinois proches d’un récif disputé entre Pékin et Manille. Des accusations rejetées par la Chine, qui a affirmé qu’il s’agissait de bateaux de pêche s’abritant des intempéries.
Face à des tensions croissantes en mer de Chine méridionale et orientale, les États-Unis ont relancé, sous Donald Trump, le Quad avec l’Inde, le Japon et l’Australie. Le point commun entre les quatre pays? Ils se disent préoccupés par la montée en puissance et «l’expansion maritime» de la Chine. Sur les traces de son prédécesseur, Joe Biden a réuni le 12 mars le premier sommet des chefs d’État du Quad afin de promouvoir une région indo-pacifique «libre et ouverte», de «soutenir l’État de droit», «la liberté de navigation» et la «sécurité maritime». Notamment en mer de Chine méridionale et orientale. Si la Chine n’a pas été explicitement citée dans la déclaration commune, Pékin était dans tous les esprits.
Mais le Quad ne constitue pas «une mini-Otan asiatique» dirigée contre la Chine, considère Marianne Péron-Doise, qui évoque un «forum de dialogue». Ses quatre membres ont toutefois opéré conjointement des exercices navals dans le golfe du Bengale en novembre 2020. De plus, les États-Unis ont signé des «accords de sécurité avec le Japon et l’Australie qui impliquent effectivement une garantie de sécurité mutuelle».
Longtemps non alignée durant la guerre froide, l’Inde est «loin de vouloir s’impliquer dans un schéma militaire aussi inclusif». Ne souhaitant pas s’engager sur une quelconque alliance, New Delhi a fort à faire avec Pékin sur leur frontière commune dans l’Himalaya. C’est ainsi qu’elle tenterait de moderniser ses forces armées en multipliant les achats d’armements tant auprès de la Russie, que d’Israël et des États-Unis. D’un montant d’un milliard de dollars en 2008, les achats indiens au complexe militaro-industriel américain sont passés en 2019 à 19 milliards.
Un autre allié des États-Unis s’invite de plus en plus dans l’Indo-Pacifique, c’est la France. «Puissance riveraine», par le biais de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, elle a également «le souci de participer à la sécurité régionale». Et donc de multiplier «entraînements et exercices». Si Paris n’a pas manifesté son intention de rejoindre le Quad, sa flotte participe régulièrement aux Freedom of Navigation Operations (FONOPs) en mer de Chine du Sud.
La France «a une coopération de défense qui va s’accroissant avec l’Inde et l’Australie, mais aussi avec le Japon et traditionnellement avec les États-Unis. Tous quatre sont des partenaires au sein du Quad.»
Source: Sputnik