Arrivé à Moscou pour des pourparlers avec son homologue russe Sergueï Lavrov, Abdullah Bou Habib, ministre libanais des Affaires étrangères, a confirmé l’intention de Beyrouth de développer les relations bilatérales.
Dans une interview à Sputnik, le ministre évoque les images satellites du port de Beyrouth reçues de la Russie, la volonté du Liban de coopérer avec les entreprises russes, la situation en matière de vaccination et le règlement de la crise dans les relations avec les pays du Golfe.
Monsieur le Ministre, le bureau du Président libanais a demandé aux autorités russes de fournir les images du port de Beyrouth prises par des satellites le 4 août 2020. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que les images avaient été remises à la partie libanaise. Y a-t-il quelque chose sur ces images qui pourrait aider l’enquête à élucider les circonstances des explosions au port?
Oui, nous avons reçu un disque avec ces images, destinées à l’enquête judiciaire. Nous ne les avons pas ouvertes, nous les enverrons à la cour pour examen. Celle-ci n’a pas encore statué. Naturellement, nous avons demandé aux États-Unis et à la France [de fournir leurs images, ndlr]. Le Président l’a fait, mais ils ne nous les ont pas remises. Nous sommes reconnaissants envers la Russie d’avoir satisfait à notre demande.
Pourquoi les États-Unis et la France vous ont-ils refusé?
Nous n’avons reçu aucune explication.
Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré samedi que le retour en Syrie des réfugiés syriens qui se trouvent au Liban sera à l’ordre du jour des pourparlers. Avez-vous réussi à fixer un calendrier de retour des réfugiés et leur nombre?
Il y a environ 1,5 million de Syriens et 500.000 Palestiniens qui se trouvent actuellement au Liban, et bien sûr leur situation est différente. Mais je pense qu’il est temps pour les Syriens de retourner dans leur pays. Il y a une initiative russe en la matière, il y a une initiative des pays voisins qui accueillent les réfugiés: Turquie, Irak, Jordanie, Liban. Il y a aussi l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Notre crainte est que l’aide humanitaire distribuée aux Syriens devienne permanente, comme l’aide distribuée par l’UNRWA aux Palestiniens. Il s’agit de la méthode du HCR et des pays occidentaux: [ils disent] gardez les Syriens chez vous parce que s’ils retournent en Syrie, cela renforcera les positions du Président Assad. Il y a la crainte qu’ils restent pour encore 50 ans, et ce qui arrive à Assad n’est pas sous le contrôle des Libanais, des Jordaniens, des Turcs. Il y a une stabilité en Syrie, laissons-les rentrer chez eux, nous travaillons ensemble avec la partie russe sur cette question.
Des délais sont-ils prévus?
Non, mais bientôt.
Ces pourparlers ont-ils quelque chose à voir avec la question des réfugiés qui cherchent à entrer dans l’UE?
Non, il n’y a aucun lien entre les deux, nous n’avons pas abordé cette question. En ce qui concerne les réfugiés [qui cherchent à entrer dans l’UE, ndlr], nous n’avons appliqué aucune sanction. Les avions biélorusses décollent, mais nous posons une condition pour chaque passager: avoir un visa et un titre de séjour [ou un lieu de résidence, ndlr] en Biélorussie. C’est plus comme avant, quand un visa et un billet d’avion suffisaient. Désormais, une personne qui n’a pas de titre de séjour ne peut pas prendre l’avion pour la Biélorussie.
Il n’y a donc aucune restriction concernant les vols?
Il n’y a aucune restriction concernant les vols.
Qu’en est-il de la demande d’aide du Liban auprès du FMI? Quelles mesures le Liban va-t-il prendre pour recevoir de l’aide?
Nous discutons toujours cette question, mais les négociations avec le FMI ne sont pas entamées. Ces discussions ont progressé de manière significative. Nous espérons que les négociations commenceront vers la mi-décembre et qu’elles aboutiront à un accord global.
Le FMI travaille avec le Liban sur un certain nombre de problèmes: la politique financière, la politique monétaire, c’est-à-dire la Banque centrale libanaise et le secteur bancaire. Le secteur bancaire est à moitié mort ces jours-ci.
Le Liban a-t-il demandé l’aide à quelqu’un d’autre? À la Russie par exemple?
Bien sûr, nous avons demandé de l’aide. Comme vous le savez, le FMI a un conseil d’administration composé de 24 membres, dont la Fédération de Russie, et nous avons demandé à la Russie de nous soutenir. Il y a aussi d’autres pays qui nous ont soutenus. Surtout la France qui est à l’avant-garde de ceux qui ont soutenu le Liban.
En dehors du FMI, le Liban a-t-il demandé de l’aide à d’autres États?
Bien sûr, il y a beaucoup d’aides qui arrivent. Des pays comme la Fédération de Russie, les États-Unis, la France, l’Union européenne et d’autres soutiennent tous le Liban. Nous attendons que les projets démarrent une fois que l’accord avec le FMI sera finalisé et que certaines réformes seront réalisées.
Concernant la démarcation de la frontière maritime avec ‘Israël’, les autorités libanaises s’attendent-elles à une reprise prochaine des négociations? Quelle est la date prévue? Le Liban souhaite-t-il la participation d’autres États à ces négociations?
Les États-Unis ont le monopole sur cette question. Il s’agit de négociations entre nous et ‘Israël’. Un envoyé américain est venu nous voir, nous lui avons exposé nos exigences et notre position sur la démarcation. Je crois qu’il s’est rendu en ‘Israël’ la semaine dernière pour recueillir leur avis. Il devrait revenir vers nous avec des propositions. Je tiens à souligner que nous voulons délimiter les frontières, mais nous ne renoncerons jamais à nos droits.
Il n’y a donc pas de date précise pour la reprise des négociations?
Pour l’instant, il n’y en a pas.
Quelles mesures le Liban envisage-t-il de prendre pour résoudre la crise entre Beyrouth et les pays du Conseil de coopération du Golfe? Avez-vous demandé l’aide de la Russie lors de votre visite?
Nous avons le plus grand respect pour les pays du Golfe. Il y a un peu moins d’un million de Libanais qui travaillent dans ces pays, environ 250.000 en Arabie Saoudite, donc ce sont de bonnes relations dont nous avons besoin. Mais la situation actuelle au Liban est difficile, nous respectons la liberté d’expression, les gens disent ce qu’ils pensent. Parfois, ces déclarations embarrassent les pays du Golfe, mais nous nous occupons de ces problèmes.
Des consultations avec les pays du Golfe sont-elles en cours?
Oui, des discussions sont en cours, sauf avec trois pays qui n’ont pas répondu présents: Oman, Qatar, les Émirats arabes unis.
Ces pays jouent-ils un rôle de médiateur?
Non, pour le moment personne ne joue le rôle de médiateur. Mais nous aimerions qu’il y ait un médiateur entre nous et l’Arabie saoudite, afin que tous les problèmes puissent être résolus par le dialogue.
De nouveaux accords économiques ont-ils été conclus entre la Russie et le Liban? Est-il prévu d’intensifier la coopération commerciale et économique entre les deux pays? Les entreprises russes participeront-elles à la reconstruction de Beyrouth?
Nous avons demandé d’encourager les entreprises russes à travailler au Liban, et nous avons reçu une réponse positive, car nous devons reconstruire le port de Beyrouth. C’est un travail colossal, nous avons donc demandé aux entreprises russes de venir. Il y a aussi des projets dans le domaine de l’énergie électrique qui visent à augmenter notre capacité à produire de l’électricité.
Il y aura un appel d’offres, les entreprises viendront avec leurs offres. Il est important pour nous que les entreprises russes participent à ces projets, on nous a promis que les entreprises russes seraient encouragées à faire une soumission, car il est important pour nous d’améliorer les relations économiques avec la Russie.
Quand la réalisation des projets de reconstruction du port de Beyrouth commencera-t-elle?
Je dirais bientôt, mais je ne sais pas quand exactement.
Cette année ou l’année prochaine?
Pas cette année. Je pense que ce sera certainement au début de l’année prochaine.
Dans quels autres domaines, outre la reconstruction du port et la production d’électricité, allez-vous coopérer avec la Russie?
Certainement dans le domaine de l’exploration pétrolière et gazière après la démarcation des frontières maritimes. Nous espérons voir tous ces projets démarrer au début de l’année prochaine.
Concernant le vaccin russe Spoutnik V, existe-t-il un accord pour le produire au Liban dans le cadre du secteur privé?
Nous avons discuté hier du vaccin Spoutnik V, et on nous a promis d’accélérer les choses afin que nous puissions commencer à produire le vaccin au Liban et à l’exporter.
Y a-t-il un accord à ce sujet au niveau intergouvernemental?
Non, seulement dans le cadre du secteur privé. Mais nous, les gouvernements russe et libanais, l’encourageons et supprimons tous les obstacles qui entravent la production et l’exportation de ce vaccin.
Pouvez-vous expliquer la situation concernant l’approbation du vaccin Spoutnik V au Liban?
Il n’y a pas de problème d’approbation au Liban. Nous avons approuvé le vaccin et nous utilisons le Spoutnik V dans de nombreux endroits, et de nombreuses personnes ont été vaccinées avec. Le problème est que si vous vous vaccinez avec le Spoutnik, vous ne pouvez pas voyager dans les pays occidentaux. Ce sont eux qui n’ont pas approuvé ce vaccin. La plupart des personnes qui voyagent souvent à l’étranger ont recours à des vaccins américains ou européens.
Avec quel vaccin êtes-vous vacciné?
Comme je voyage beaucoup, je me suis fait vacciner avec le Pfizer lorsque j’étais aux États-Unis.
À votre avis, pourquoi le Spoutnik V n’est-il pas approuvé en Occident ?
Je ne sais pas, ce sont des questions scientifiques, bien qu’il y ait peut-être un aspect politique.
Source: Avec Sputnik