10 jours après la destitution de l’ancien pouvoir de Bachar al-Assad, le nouveau pouvoir à Damas conduit par Hayat Tahrir al-Sham est confronté à plusieurs foyers de tensions qui éclatent simultanément : au nord-est, entre la Turquie et ses alliés contre les FDS, à Alep, avec des factions islamistes qui refusent de se rendre, à Damas avec des protagonistes qui refusent un Etat religieux et une islamisation de la constitution.
La trêve, un lapsus américain
La Turquie qui prépare une nouvelle offensive contre la milice kurde des Forces démocratiques syriennes a démenti les déclarations des Etats-Unis sur la prolongation de le trêve qu’ils avaient parainné pour la ville de Manbij.
« Il est inadmissible que nous nous entendions avec une organisation terroriste, il n’y a aucun cessez-le feu entre Ankara et les FDS au nord de la Syrie », a déclaré le conseiller médiatique du ministre turc de la Défense Zaki Akturk selon la chaine turque TRT.
Mercredi, le porte-parole du département d’état américain avait affirmé que Washington, principal soutien aux FDS qui a parrainé un cessez-le-feu à Manbej la semaine passée voudrait qu’il soit prolongé le plus longtemps possible.
Selon le responsable turc, les déclarations américaines sur la prolongation de la trêve sont « un lapsus ». « Le nouveau gouvernement syrien actuel, son armée et les factions armées que la Turquie soutient libèreront cette région occupée par les éléments des Unités de protection du peuple », bras armé du PKK, classé par Ankara dans la liste des organisations terroristes et dont sont issues les FDS.
Le chef militaire du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), menant la coalition armée au pouvoir, avait affirmé mercredi que les nouvelles autorités voulaient étendre leur autorité sur les zones kurdes.
Akturk a assuré que son pays poursuivra ses préparatifs jusqu’à que ce ces éléments rendent les armes et les combattants étrangers s’en aillent.
Manif pro kurde
Les FDS qui ont assuré vouloir présenter une initiative afin d’apaiser les craintes sécuritaires d’Ankara ont proposé de créer une zone démilitarisée à Ain al-Arab (Kobané). Elles ont toutefois exhorté les habitants de Kobané à « participer activement à la résistance et à prendre les armes contre l’occupation ». Alors que les forces turques et la milice de l’Armée nationale syrienne sont en état d’alerte maximale pour attaquer cette ville contrôlée par les FDS.
Selon l’AFP, des milliers de personnes ont manifesté jeudi dans la ville de Qamichli dans le nord-est de la Syrie en soutien aux forces kurdes.
« Vive la résistance des FDS », « Le peuple syrien est uni » ou encore « Non à la guerre, non à l’agression turque contre Rojava (nord-est syrien selon l’appellation kurde, ndlr) », scandaient les manifestants arborant le nouveau drapeau syrien imposé par le nouveau pouvoir.
« Nous sommes descendus dans la rue aujourd’hui pour soutenir nos forces », a déclaré Mazloum Ahmed, 39 ans, un habitant de Qamichli. « Nous sommes les enfants de cette terre depuis des milliers d’années. Nous devons obtenir nos droits dans la nouvelle Constitution syrienne ».
Selon l’Agence syrienne officielle, le gouvernement transitoire actuel a envoyé « des éléments de la police militaire pour établir la sécurité dans la ville de Deir Ezzor », d’où les FDS avaient été délogées par HTS et se sont dirigées vers l’est de l’Euphrate.
Al-Jabhat al-Islamiya se prépare à la guerre avec HTS
Dans le gouvernorat d’Alep, une fronde au pouvoir en place à Damas semble se manifester.
La milice al-Jabhat al-Islmiya a refusé la décision du chef du Conseil de l’administration militaire Ahmad al-Charaa (alias Abou Mohamad al-Jolani) de dissoudre les milices armées et de les joindre à l’armée.
« Nous n’allons pas nous dissoudre et nous ne rendrons en aucun cas nos armes ni ne renoncerons aux régions que nous contrôlons quelque soient les circonstances », a déclaré al-Jabhat al-Islamiya qui compte dans ses rangs plusieurs milices. À savoir les Brigades Noureddine al-Zenqi, l’Armée des Moudjahidines, Fastaqim Kama Omirt, le Front pour l’authenticité et le développement, Les Aigles de Sham, le Mouvement Hazm, et des centaines d’autres groupuscules. Leurs militants se comptent par plusieurs milliers.
Le groupe a qualifié la prise du pouvoir par Hayat Tahrir al-Sham (ex-Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaida) « de coup d’état militaire et de monopolisation du pouvoir par un groupe qui est encore classé comme terroriste »
Et al-Jabhat al-Islamiya de conclure : « S’ils veulent la guerre, nous sommes prêts, qu’ils se préparent ».
Des manifestants refusent l’exclusion des femmes
Dans la capitale Damas, des centaines de personnes ont manifesté jeudi pour la démocratie et les droits des femmes.
« Nous voulons la démocratie, pas un Etat religieux », « La Syrie, Etat libre et séculier », scandaient les manifestants, hommes et femmes, rassemblés sur l’emblématique place des Omeyyades, ont constaté des journalistes de l’AFP.
« Pas de nation libre sans femmes libres », affirmait une pancarte.
« Nous, Syriens, hommes et femmes, avons un rôle à jouer dans l’édification de la nouvelle Syrie », a affirmé à l’AFP Majida Moudarres, une manifestante de 50 ans.
Des propos tenus par le porte-parole de l’Administration politique affiliée à l’Administration des opérations militaires conduite par HTS sur le statut de la femme avaient soulevé des inquiétudes.
« La nature biologique et psychologique de la femme n’est pas conforme avec toutes les fonctions de l’Etat à l’instar du ministère de la Défense par exemple », a déclaré Obeïda Arnaout lundi dans une interview avec la télévision libanaise New Tv. « Il est trop tôt de parler de son travail dans le domaine de la justice. Ceci sera débattu par des experts et des juristes en constitution qui œuvrent pour réviser la forme de l’Etat nouveau et les déterminants qui seront considérés pour le travail de la femme et la nécessité que les missions qui lui soient confiées concordent avec sa nature biologique ».
Craintes d’une islamisation du pays
L’élaboration de la constitution qui devrait être finalisée d’ici le mois de mars inquiète les milieux de l’opposition laïque qui craignent qu’elle ne soit monopolisée par HTS.
Un opposant de la Coalition qui a confié cette préoccupation pour le quotidien libanais al-Akhbar constate que le gouvernement transitoire actuel transgresse sa mission qu’il s’était fixé de conduire les affaires courantes seulement.
« Jolani tente de persuader les Etats qui sont en contact avec lui que l’élaboration de la constitution rendra la Syrie un Etat unifié basé sur un pouvoir central avec des prérogatives plus larges pour les conservateurs, faisant craindre l’établissement d’un régime qui ressemble au précédent, en termes de contrôle des ressources de l’État et de sa vie politique et éducative, ainsi que de la crainte d’une islamisation du pays », a-t-il appréhendé.
Les factions druzes communiquent avec leur coreligionaires israéliens
Selon al-Akhbar, des factions armées druzes s’activent pour prendre le contrôle du gouvernorat de Souweida, sous l’égide du chef spirituel de cette communauté, Cheikh Hekmat al-Hajeri, qui leur a accordé son soutien après un appel téléphonique de son homologue en « Israël » cheikh Mwafaq Taraf. Elles auraient obtenu aussi des garanties de la part des officiers américains stationnés dans la base d’al-Tanf qu’ils ont sommé HTS de ne pas avancer en direction de leur gouvernorat.
Ces divergences qui font craindre la division de la Syrie s’accélèrent alors qu’Israël continue d’étendre sa présence dans ce pays. Depuis qu’il a lancé son offensive aérienne et terrestre, il occupe 500 km2 du sud syrien.
Source: Divers