La Chine n’était pas assise à la table de Donald Trump et de Kim Jong Un lors de leur sommet historique mais cela ne l’a pas empêchée de marquer une victoire stratégique et de signifier clairement que rien ni personne ne pourra la mettre à l’écart, soulignent les analystes.
Il y a tout juste quelques mois, on aurait pu imaginer que la Chine se ferait court-circuiter par Washington qui établissait des liens directs avec Pyongyang.
Mais Pékin tenait à son influence sur la péninsule où il revendique depuis longtemps des intérêts économiques et de sécurité. La Chine n’a pas perdu de temps pour rappeler à la fois à Washington et Pyongyang qu’elle était indispensable.
A l’issue du sommet, quand le président américain a annoncé à la surprise générale la fin des exercices militaires conjoints avec Séoul, ce que réclame la Chine depuis longtemps, il était clair que Pékin avait imprimé sa marque sur l’événement.
« Les résultats du sommet de Singapour sont de manière générale conformes aux attentes chinoises », souligne Wu Xinbo, expert en relations internationales à l’Université Fudan de Shanghai.
« La dénucléarisation complète de la péninsule et l’instauration d’un mécanisme de paix pour la péninsule sont conformes aux revendications constantes de Pékin ».
D’après un diplomate occidental, parlant sous couvert de l’anonymat, la Chine est le « vainqueur stratégique » du sommet. Jusque-là, « ils n’auraient jamais imaginé que Trump arrêterait les exercices conjoints et mentionne un possible retrait de ses troupes de Corée du Sud à l’avenir ».
L’influence de la Chine était pourtant loin d’être acquise.
« Volte-face »
Pendant des années, Pékin a soutenu à bout de bras l’économie nord-coréenne soumise à de fortes pressions internationales, inquiet d’un possible effondrement du régime nord-coréen considéré comme un tampon stratégique contre la présence militaire américaine en Corée du Sud.
Mais, ne pouvant ignorer les tirs de missiles balistiques et les essais nucléaires de 2017, Pékin a choisi de soutenir les sanctions de l’ONU, mettant le holà aux exportations nord-coréennes de charbon, textile et autres marchandises.
Fort de ces concessions, Washington semblait vouloir aller de l’avant sans Pékin.
Quand M. Trump a annoncé en mars son projet de sommet avec M. Kim, la Chine a tout fait pour se remettre en selle.
Considéré comme persona non grata, le dirigeant nord-coréen a tout d’un coup effectué sa première visite à Pékin, suivie bientôt par un second voyage dans la ville portuaire de Dalian, rencontrant à deux reprises le président Xi Jinping.
Jusqu’alors, le Nord « ne faisait vraiment pas une priorité de la fin des exercices conjoints entre les Etats-Unis et la Corée du Sud », relève Bonnie Glaser, analyste au Center for Strategic and International Studies de Washington.
« Et puis Xi Jinping a rencontré M. Kim à Dalian et on a assisté à une volte-face des Nord-Coréens ».
En fait, « tout cela ressemble non seulement à une victoire pour M. Kim, mais également une victoire pour Xi Jinping », ajoute-t-elle. « Les Chinois pensent depuis longtemps que s’ils pouvaient déloger les troupes américaines de la région, cela serait la clé de la diminution de l’influence américaine et de l’accélération de la création d’une région plus centrée sur la Chine ».
« Puissance énorme »
Après Singapour, Pékin a fait clairement savoir qu’il voulait un rôle prépondérant dans les négociations, présentant avec insistance ses offres de service diplomatiques.
Il est vraisemblable que Washington n’ait guère d’autre choix que d’acquiescer.
« S’il doit y avoir un règlement fructueux entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, la Chine doit être impliquée », souligne Charlie Parton, ancien diplomate qui travaille au cabinet d’études britannique Royal United Services Institute (RUSI).
« On ne peut pas ignorer une puissance énorme qui partage une frontière terrestre avec la Corée du Nord et qui est déterminée à mettre son nez dans ses affaires ».
M. Wu est d’accord. « Sans le soutien de la Chine, la Corée du Nord ne peut promouvoir la dénucléarisation en toute sécurité et ne peut opérer une transition en douceur vers une priorité qui serait donnée au développement économique ».
A présent que Pékin est de retour dans le jeu diplomatique, poursuit-il, il pourrait vouloir peser dans d’autres secteurs de sa relation avec les Etats-Unis.
« Nous espérons traiter séparément les questions politiques et économiques mais si la Chine et les Etats-Unis engagent vraiment une guerre commerciale, cela aura un impact sur la relation sino-américaine toute entière, y compris les futures relations sino-américaines sur la question nord-coréenne », prévient M. Parton.
« Inévitablement, cela compliquerait la coordination entre les deux pays sur la question nord-coréenne ».
Source: AFP