L’Iran a annoncé mercredi qu’il cessera d’appliquer « certains » de « ses engagements » pris dans le cadre de l’accord international sur son programme nucléaire de 2015, en réponse à la dénonciation unilatérale de ce pacte il y a un an par Washington.
Cette annonce intervient dans un climat de tensions exacerbées entre l’Iran et les Etats-Unis, qui ont annoncé mardi l’envoi de bombardiers B-52 dans le Golfe.
Washington a fait de l’Iran son ennemi numéro un au Moyen-Orient et le secrétaire d’Etat Mike Pompeo en visite surprise à Bagdad mardi l’accusé de préparer des « attaques imminentes » contre les forces américaines.
L’Iran va cesser de limiter ses réserves d’eau lourde et d’uranium enrichi revenant sur l’engagement qu’il avait pris dans l’accord conclu à Vienne en 2015 limitant drastiquement son programme nucléaire, a indiqué le Conseil suprême de la sécurité nationale (CSSN) dans un communiqué diffusé par l’agence de presse officielle Irna .
La décision a été notifiée officiellement en début de matinée, à Téhéran, aux ambassadeurs des pays encore parties à cet accord (Allemagne, Chine, France, Grande-Bretagne et Russie).
Validé par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 a permis à Téhéran d’obtenir une levée d’une partie des sanctions internationales visant le pays.
En échange, l’Iran a accepté de limiter drastiquement son programme nucléaire et s’est engagé à garantir la nature pacifique de son programme nucléaire.
Mais les Etats-Unis, qui se sont retirés du texte il y a exactement un an, ont rétabli des sanctions contre Téhéran, affectant l’économie du pays et les relations commerciales entre l’Iran et les autres pays parties à l’accord.
Les Européens, la Chine et la Russie ont maintenu leur engagement mais se sont montrés jusque-là incapables de respecter leur promesse de permettre à l’Iran de bénéficier des avantages économiques qu’il escomptait de l’accord en contournant les sanctions américaines.
Ultimatum de 60 jours
Mardi, le Conseil suprême de la sécurité nationale a donné « 60 jours » à ces pays pour « rendre opérationnels leurs engagements en particulier dans les secteurs pétrolier et bancaire ».
L’Union européenne a en particulier tenté de mettre en place un mécanisme pour permettre à l’Iran de continuer à commercer avec ses entreprises.
« Si à l’issue de cette date butoir les dits pays ne sont pas capables de répondre aux exigences de l’Iran », Téhéran cessera alors d’observer les restrictions qu’il s’impose « sur le degré d’enrichissement de l’uranium » ainsi que sur les « mesures relatives à la modernisation du réacteur à eau lourde d’Arak », dans le centre de l’Iran.
Le Conseil ajoute que les mesures annoncées aujourd’hui (mardi) sont réversibles « à tout moment » si les exigences de l’Iran « sont prises en compte ».
En cas contraire, « la République islamique d’Iran cessera progressivement ses autres engagements ».
« La fenêtre qui est ouverte actuellement pour la diplomatie ne le restera pas longtemps, et la responsabilité de l’échec [de l’accord nucléaire] et ses conséquences probables incomberont entièrement aux Etats-Unis » et aux autres parties à l’accord, ajoute Téhéran.
« Les mesures prises par les Etats-Unis, en particulier depuis un an mais aussi avant […] leur retrait [de l’accord] avaient clairement pour but de causer une interruption » de cet accord, a déclaré pour sa part le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, en visite à Moscou.
« L’Iran ne se retirera pas » de cet accord, et les mesures prises par Téhéran, d’une nature qui n’a pas été précisée, correspondent à un « droit » laissé aux parties à l’accord en cas de manquements par une autre partie, a insisté M. Zarif.
Chargée de vérifier sur le terrain l’application par l’Iran de l’accord nucléaire de 2015 dénoncé il y a un an par le président américain Donald Trump, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a jusqu’à présent toujours attesté que Téhéran respectait ses engagements.
Téhéran a ainsi limité jusqu’ici son stock d’eau lourde à 130 tonnes maximum, et ses réserves d’uranium enrichi (UF6) à 300 kg et a renoncé à enrichir l’uranium à un taux supérieur à 3,67%.
Une première étape de la riposte
Au cours d’un discours tenu ce mercredi en direct sur les médias nationaux, le président iranien a expliqué les dessous de cette décision en annonçant une « première étape de la riposte ».
Le président s’est référé ensuite aux articles 26 et 36 du PGAC pour annoncer la première étape de la riposte iranienne: « En vertu de ces deux articles, l’Iran cesse, à partir d’aujourd’hui, la vente de son uranium enrichi ainsi que la vente de son eau lourde. En vertu de l’accord, l’Iran s’engageait à vendre en échange de yellowcake son uranium enrichi, dès que son volume atteindra les 300 kilogrammes. De même, l’Iran vendait son eau lourde chaque fois que son volume de production s’établissait à 130 kilogrammes. Et bien, cette double vente s’arrête dès aujourd’hui et cette mesure durera soixante jours.
Pendant ce premier délai, nous restons parfaitement ouverts au dialogue. Nous demandons le retour à la table des négociations avec le G5 pour discuter très concrètement de deux choses: pétrole et transactions bancaires. Et bien si ce dialogue a lieu et si l’Iran a gain de cause, il y aura un retour à la case départ dans le cadre du PGAC.
Mais au bout des prochains 60 jours, si aucun progrès n’est constaté, l’Iran passera à la seconde étape de sa riposte: le PGAC nous engageait à maintenir le niveau de notre enrichissement à 3.67. Et bien l’Iran renoncera à cet engagement et enrichira son uranium sans s’adapter à un quelconque plafond. Mais cette seconde phase a aussi un autre aspect: suivant le PGAC, les 5+1 s’engageaient à renouveler les installations du réacteur à eau lourde d’Arak. Ils n’ont pas tenu leur engagement. Et bien au bout de 60 jours à partir d’aujourd’hui et si nous n’avons pas gain de cause, nous allons relancer l’activité du réacteur d’Arak tel que cela fut le cas avant la signature de l’accord de 2015. Cette phase durera aussi 60 jours et évidemment, si aucune réponse ne satisfait nos exigences légitimes, on passera à l’étape suivante.
Et j’ai écris très clairement dans ma lettre adressée aux cinq pays signataires que s’ils étaient tentés de nous renvoyer devant le Conseil de sécurité, ils se heurteraient à une très ferme réponse de notre part. Cette fermeté est parfaitement détaillée dans ma lettre.»
Plus loin dans ses propos, le président iranien s’est adressé à l’Europe dont l’inaction menace l’existence même du PGAC: « Il est impossible de demander à l’Iran de faire seul les frais de l’accord alors que les autres parties font preuve d’une totale apathie. Le monde sait parfaitement ce que l’Iran a accompli pour assurer la sécurité régionale et internationale dans une vaste étendue qui va du golfe Persique à la Méditerranée, de la mer Caspienne à la mer Rouge. Vous (Européens, NDLR) êtes parfaitement conscients du rôle et du poids de l’Iran dans la lutte contre le terrorisme dans la région et si ce n’était pas notre contribution, les terroristes opéreraient très librement, à l’heure qu’il est, dans les capitales européennes.
Vous le savez aussi que sans l’Iran qui accueille des millions de réfugiés, l’Europe aurait dû les accueillir et ce, sans compter notre franche et dévouée contribution à la lutte contre le narcotrafic. Toutes ces démarches coûtent des milliards de dollars et la politique des Américains nous empêchent d’en assumer les frais. Et d’ailleurs, il est impossible que nous soyons les seuls à faire les frais de la sécurité de la région et du monde et à agir dans le sens de la paix et du développement. Ce sont des enjeux qui demandent l’engagement et la contribution de toutes les parties. »
Et le président de conclure: « L’Iran n’a pas quitté la table des négociations mais utilise dès aujourd’hui un nouveau langage pour dialoguer, un langage juridique différent de notre langage d’hier, un langage plutôt politique… Les Américains ont voulu faire du PGAC un accord gagnant-perdant en défaveur de l’Iran voire de l’Europe. Ils en ont été incapables jusqu’ici. Le PGAC sera un accord gagnant-gagnant ou il ne le sera pas. »
Sources: AFP + PressTV