L’Algérie a eu gain de cause. Pour les 20 ans de l’union africaine, les 55 pays du continent africain se sont réunis à Addis-Abeba, dans la capitale éthiopienne. Tensions au Sahel, guerre du Tigré en Éthiopie, différents coups d’États, menace terroriste, reprise des activités économiques post-Covid: les dirigeants ont passé en revue les défis et les enjeux régionaux. La plupart des sujets abordés ont créé le consensus, à l’exception de l’un d’entre eux.
Les échanges furent en effet houleux au sujet de l’accréditation d’Israël à l’organisation en tant qu’observateur. Pour éviter une scission au sein même de l’organisation, le débat a été « suspendu ». La raison? L’activisme des diplomaties algérienne et sud-africaine.
En effet, depuis juillet dernier et la décision de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, Tel-Aviv avait obtenu le Saint Graal.
« Victoire diplomatique pour l’Algérie »
Mais pour Alger et Pretoria, accorder le statut d’État observateur à ‘Israël’ va à l’encontre même des principes de l’organisation.
Pour les deux pays, la question doit être réétudiée. Le président de l’Union africaine a défendu son choix et appelé à un « débat serein » avant de prétendre que l’accréditation de l’entité sioniste pouvait constituer « un instrument au service de la paix ».
Pour l’heure toutefois, la « victoire diplomatique de l’Algérie » ne fait guère de doute, estime Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste du Maghreb.
« C’est un succès non négligeable pour Alger, qui était en retrait diplomatique depuis plusieurs années. Cette question sur l’accréditation d’Israël comme étant un État observateur de l’Union africaine a montré l’activisme et l’opposition de l’Algérie, surtout que cette décision avait été prise à un moment transitoire pour le pays. C’est donc un test réussi pour la diplomatie algérienne », souligne-t-il au micro de Sputnik.
S’il y a bien une ligne rouge à ne pas dépasser pour Alger, c’est bien la question palestinienne. Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie n’a eu de cesse de s’opposer à l’entité sioniste.
« Nous sommes avec la Palestine, qu’elle ait tort ou raison », déclarait Houari Boumediene, chef d’État algérien de 1965 à 1978. Cette solidarité avec la Palestine, pourtant à 3.000 kilomètres des côtes algériennes, dépasse de loin le cadre purement panarabe. Cette entraide se justifie aussi par la convergence des luttes anticoloniales. « C’est en cela que l’Afrique du Sud partage le même point de vue que l’Algérie sur cette question israélienne, il y a une convergence des luttes entre les deux pays », ajoute le chercheur.
Mais le positionnement algérien est loin d’être partagé par son voisin –et désormais adversaire– marocain. Alors qu’Alger refuse tout contact diplomatique ou économique avec Tel-Aviv, Rabat multiplie les partenariats avec son nouvel allié israélien, depuis les accords de normalisation en 2020.
Prenant la défense de son partenaire sioniste, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a déclaré: « Je pense là aussi qu’il faut comprendre que l’Union africaine a changé, qu’elle n’est plus la chasse gardée d’un pays ou deux qui peuvent dire “non, on va bloquer” et que l’organisation va les suivre. »
L’Algérie et le Maroc sont en froid depuis les années 60, le Sahara occidental constituant leur principale pierre d’achoppement. Rabat revendique la souveraineté sur ce territoire, tandis qu’Alger soutient les indépendantistes du Front Polisario. Une situation qui s’est envenimée au point d’aboutir à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août dernier.
Une alliance ‘Israël’–Maroc contre l’Algérie?
‘Israël’ s’est ainsi immiscé entre les deux États maghrébins. « Le Mossad à nos frontières », titrait le 24 novembre le journal L’Expression, proche du gouvernement algérien, à l’occasion de la visite à Rabat du ministre israélien de la guerre, Benny Gantz. Une situation qui inquiète Alger.
Et pour cause, les nouveaux alliés ont signé un accord sécuritaire, officiellement intitulé Mémorandum d’entente en matière de défense. Le royaume chérifien a acquis quatre drones tactiques Hermes 900 conçus par le groupe israélien Elbit Systems.
Outre le renforcement des liens commerciaux et culturels, le Maroc va pouvoir perfectionner son système de renseignements et de surveillances aux frontières.
« Alger essaie donc de limiter tant bien que mal l’influence israélienne dans son environnement proche », résume Brahim Oumansour. Une influence qui dépasse de loin le cadre des relations avec le royaume chérifien.
« Cela fait partie de la stratégie de la périphérie développée dans les années 70 auprès des pays arabes. Depuis l’ère Netanyahu, cette politique a été étendue au continent africain, où Israël tisse un réseau de partenariats tous azimuts », souligne le chercheur.
En effet, quand Benjamin Netanyahu était à la tête du gouvernement israélien, Tel-Aviv a multiplié les opérations de charme en direction du continent africain. Le slogan de cette opération débutée en 2016 est sans équivoque: « Israël est de retour en Afrique, l’Afrique revient en Israël ». L’ancien Premier ministre israélien s’était ainsi rendu en Ouganda, au Kenya, en Éthiopie et au Rwanda. Il avait également reçu ses homologues togolais et tchadien.
Des logiciels espions au service de la diplomatie israélienne
« Israël noue des liens avec de nombreux pays africains par l’intermédiaire de l’armement, du renseignement en espérant avoir des retombées diplomatiques », indique Brahim Oumansour.
Des hommes d’affaires, des industriels, des sociétés israéliennes gravitent dans les sphères de pouvoir des capitales africaines. Par l’intermédiaire des nombreux logiciels espions, Tel-Aviv se rapproche de certains pays.
Le groupe Mer Group est présent au Congo, en Guinée, au Nigeria, en République Démocratique du Congo. Le groupe Elbit Systems est pour sa part implanté en Afrique du Sud, en Angola, en Éthiopie et au Nigeria.
‘Israël’ serait donc proche « des services de renseignements locaux et des armées nationales », souligne le géopolitologue. D’ailleurs, en pleine crise politique, une délégation militaire soudanaise s’était rendue en catimini en ‘Israël’.
Source: Avec Sputnik