Ce n’est un « téléphone rouge » que dans les films, mais les communications de crise entre Washington et Moscou, ouvertes pendant la Guerre froide, ont repris sur fond de menaces russes de recourir à l’arme nucléaire en Ukraine. Menaces proférées sur fond d’attaques attribuées arbitrairement à la Russie de bombarder la centrale nucléaire de Zaporojiyé qu’elle occupe depuis mars 2022. Les Russes craignant des fuites nucléaires.
Jake Sullivan, plus haut conseiller à la sécurité du président Joe Biden, l’a confirmé.
Au journaliste qui lui demandait si le « téléphone rouge fonctionnait à nouveau », il a répondu, le 25 septembre sur la chaîne NBC: « La réponse à votre question est oui. »
Avant de préciser: « Nous avons la capacité de parler directement à haut niveau (aux Russes), de leur dire clairement quel est notre message et d’entendre le leur ».
« Cela s’est produit fréquemment ces derniers mois, cela s’est même produit ces derniers jours », a indiqué Jake Sullivan, qui n’a pas voulu livrer de détails sur la nature exacte des canaux de communication employés, afin de « les protéger », ni sur la fréquence des échanges.
Le terme « téléphone rouge » en est, au fil du temps, venu à désigner tous les contacts confidentiels de haut niveau et de nature urgente entre Washington et Moscou.
Mais il s’agit au départ d’un dispositif bien spécifique instauré en 1963 entre les Etats-Unis et l’Union soviétique.
En octobre 1962, la crise des missiles de Cuba fait trembler le monde entier.
L’absence de communication directe favorise les spéculations sur les intentions du camp adverse, et donc le risque d’escalade nucléaire. Il faut alors plusieurs heures pour transmettre, traduire, crypter les messages entre Moscou et Washington.
Les deux pays vont alors négocier, jusque dans les moindres détails, la mise en place d’un système de communication rapide et direct, extrêmement sécurisé.
Le « Memorandum of Understanding Between the United States of America and the Union of Soviet Socialist Republics Regarding the Establishment of a Direct Communications Link », premier traité bilatéral entre les deux puissances, est signé à Genève le 20 juin 1963.
Dans le film « Docteur Folamour », c’est au téléphone que le président américain Merkin Muffley a une conversation tragicomique avec « Dimitri » à Moscou sur une apocalypse nucléaire imminente.
Dans la réalité, c’est par messages écrits, codés et transmis par un câble long de milliers de kilomètres (Washington-Londres-Copenhague-Stockholm-Helsinki-Moscou), et par un circuit radio, que les deux capitales communiquent.
Selon un article de 2013 du Smithsonian Magazine, le premier message envoyé par les Américains est: « The quick brown fox jumped over the lazy dog’s back 1234567890 ».
Ce qui ne veut pas dire grand-chose mais a le mérite d’utiliser tous les caractères possibles afin de tester le matériel.
Le système est modernisé en 1971, remplacé par des liaisons satellites et des terminaux installés dans les deux pays — côté américain, la liaison arrive au Pentagone, lui-même en lien avec la salle de crise de la Maison Blanche, la « Situation Room ».
Dans un article de 1988, le New York Times Magazine compare le local du Pentagone à « la salle informatique d’un lycée bien équipé » et raconte comment le système est testé chaque heure, tous les jours, avec des messages sans rapport avec l’actualité : « Les Américains envoient parfois du Shakespeare, les Russes du Tchekhov. »
En 1994, un nouveau système permet aux responsables de la Défense des deux pays d’être joignables pratiquement en permanence.
Les Etats-Unis ont toujours gardé le secret sur le nombre d’utilisations de cette liaison sécurisée. Elle a, selon le ministère des Affaires étrangères américain, servi pendant la guerre israélo-arabe de 1967 puis lors de celle de 1973.
La ligne aurait, selon divers articles de presse, chauffé lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, et aurait beaucoup servi pendant la présidence de Ronald Reagan, avec des échanges au sujet du Liban et de la Pologne.
Selon la chaîne NBC ou encore le Washington Post, l’ancien président Barack Obama a utilisé le « téléphone rouge » — en réalité un email hautement sécurisé — le 31 octobre 2016, pour mettre solennellement en garde Vladimir Poutine contre toute perturbation de l’imminente élection présidentielle américaine.
Source: Avec AFP