Coup d’Etat sur fond d’insécurité croissante, offre de service russe et éviction des Français dans la foulée: Paris espère éviter un scénario « à la malienne » au Burkina Faso, où l’avenir de sa coopération militaire est sur la corde raide alors que Moscou tente d’avancer ses pions.
La tension est montée d’un cran ces derniers mois entre Paris et Ouagadougou, où le nouveau pouvoir issu d’un nouveau coup d’Etat en septembre entend affirmer avec force sa souveraineté et « diversifier ses partenaires » dans la lutte antijihadiste, longtemps menée avec l’aide de la France dont 400 forces spéciales sont stationnées dans le pays.
« La Russie est un choix de raison dans cette dynamique », et « nous pensons que notre partenariat doit se renforcer », a souligné samedi le Premier ministre burkinabè Apollinaire Kyélem de Tembela, à l’issue d’une entrevue avec l’ambassadeur de Russie Alexey Saltykov. Début décembre, il avait fait une visite discrète à Moscou.
Le précédent malien est dans toutes les têtes. Après neuf ans de présence, les militaires français ont quitté le pays l’été dernier, poussés dehors par une junte hostile qui a fait appel à la sulfureuse société paramilitaire russe Wagner.
En coulisses, la junte burkinabè assure à Paris qu’elle ne compte pas s’adjoindre les services de Wagner, dont une équipe de liaison est venue prospecter au Burkina riche en ressources minières, selon plusieurs sources françaises.
Pour l’heure donc, les forces spéciales de l’opération Sabre restent dans le pays. Mais leur départ à terme est anticipé, et serait acté sur le champ si le président actuel, le capitaine putschiste Ibrahim Traoré, s’associait aux mercenaires russes qui pourraient lui fournir une garde prétorienne pour se maintenir au pouvoir.
D’après deux sources proches du dossier consultées par l’AFP, l’option privilégiée serait alors de redéployer ces forces spéciales dans le sud du Niger voisin, pays où sont déployés près de 2.000 militaires français.
Pour certains experts, le départ des soldats français du Burkina semble de fait inéluctable, alors que la présence de l’ancienne puissance coloniale n’a pas permis d’enrayer la spirale de violences dans ce pays parmi les plus pauvres au monde.
« Il y a une évolution profonde au Sahel, celle d’un sentiment anti-français de plus en plus important qui concerne non seulement certaines élites mais encore des franges, parfois importantes, des opinions publiques dans les grandes villes », souligne Alain Antil, expert à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Si Paris explique que « cette francophobie est fabriquée de toute pièce par des ennemis géopolitiques », elle est en fait « beaucoup plus profonde », observe-t-il. Les gouvernants africains sont obligés d’en tenir compte, souligne le chercheur, jugeant « probable » que la présence militaire au Sahel se réduise fortement à terme.
L’hypothèse d’un rapprochement entre Burkina et Russie émerge alors que les crispations se sont récemment multipliées entre Paris et Ouagadougou: en novembre, une manifestation a visé l’ambassade de France à Ouagadougou. Et en décembre, les autorités burkinabè ont exigé le départ de l’ambassadeur de France, après des propos jugés offensants.
Les tensions sont telles que Paris a dépêché, la semaine dernière, à Ouagadougou la secrétaire d’Etat Chrysoula Zacharopoulou pour y rencontrer le président de transition.
« La France n’impose rien, elle est disponible pour inventer un avenir ensemble », a-t-elle martelé, assurant ne vouloir « influencer aucun choix, ni aucune décision, personne ne peut dicter ses choix au Burkina ».
De source diplomatique, on explique que « l’objectif du voyage n’était pas de mettre les Burkinabè au pied du mur ». Pour autant, « la secrétaire d’Etat a été très claire sur les conséquences du choix que feront les autorités. »
Pour Drissa Traoré, analyste politique burkinabè, « si en apparence la tension semble être retombée, c’est toujours le statu quo »: « Les autorités de la transition sont fortement décidées à nouer de nouveaux partenariats ou à les redynamiser, avec la Russie en pôle position ».
De son côté, le président Emmanuel Macron s’est donné jusqu’au printemps pour repenser les partenariats militaires français sur le continent africain, qui devront coller aux demandes spécifiques des pays et s’appuyer sur des dispositifs moins visibles. De premières conclusions devraient être tirées « dans les prochaines semaines », de source gouvernementale.
« En terme purement stratégique, même s’il n’est pas le voisinage le plus proche, le Sahel fait partie du voisinage sud de l’Europe », relève Alain Antil. La France et ses partenaires ont intérêt à éviter une déstabilisation qui pourrait gagner l’Afrique du nord.
Paris entend aussi éviter un déclassement stratégique face à ses compétiteurs sur le continent africain, qui comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050. Car la France justifie en Afrique de l’Ouest, comme nulle part ailleurs dans le monde, son statut de puissance moyenne.
Source: AFP