En Syrie, les Américains vont s’engager durablement dans un territoire hostile avec des moyens limités et avec des objectifs considérables.
À tous ceux qui se posaient la question de savoir quelle est leur stratégie dans ce pays, le secrétaire d’État Rex Tillerson a répondu au cours d’un discours prononcé à l’université de Stanford le 17 janvier dernier : les États-Unis veulent rester en Syrie dans la durée pour empêcher le retour de l’État islamique (EI), pour endiguer l’influence de l’Iran à la frontière syro-irakienne et pour affaiblir Bachar el-Assad.
Trois objectifs d’envergure contre trois ennemis déclarés, dans un pays où ils ont beaucoup d’ennemis et de moins en moins d’alliés. De quoi se mettre à dos non seulement les jihadistes, les partisans du régime syrien, les Iraniens et leurs milices, dont le Hezbollah, mais aussi les Russes qui souhaitent régner en maîtres sur tout le territoire syrien.
Washington n’a apparemment pas l’intention de se donner davantage de moyens pour protéger ses intérêts contre tous ces rivaux proclamés. Il compte seulement pérenniser son alliance avec les Kurdes syriens du PYD (Parti de l’union démocratique), en créant une brigade de 30 000 hommes encadrés par leurs forces spéciales. Miser sur le PYD contre l’EI, le régime, l’Iran et, naturellement, Moscou, semble être un pari bien hasardeux. Si elles ont montré leur efficacité en tant que principaux partenaires des Occidentaux dans la reprise des territoires aux mains de l’EI, les milices kurdes posent deux grands inconvénients à leurs alliés. Premièrement, elles représentent une minorité et sont perçues comme une force d’occupation par les populations arabes. Deuxièmement, et surtout, s’allier avec eux est le meilleur moyen de provoquer la colère d’Ankara, qui les considère comme un groupe terroriste et qui a l’intention de les réduire à néant par tous les moyens.
Comme s’il n’avait pas assez d’ennemis en Syrie, Washington s’est mis complètement à dos son seul potentiel allié d’envergure, et son partenaire au sein de l’OTAN, la Turquie, en annonçant vouloir créer une force frontalière noyautée par le PYD dans le nord du pays. Même si Rex Tillerson est revenu sur ses déclarations, cela n’a pas suffi à calmer la colère d’Ankara, qui en a au contraire profité pour lancer son opération Rameau d’olivier contre l’enclave de Afrine. Ce qui a mis Washington dans une situation extrêmement délicate : s’il a d’abord donné son feu orange aux Turcs, il a progressivement haussé le ton à mesure que ses alliés kurdes dénonçaient le fait d’avoir été abandonnés.
Impossible pour les Américains de ménager la chèvre et le chou dans cette affaire. Leur alliance avec les Kurdes a poussé Ankara dans les bras de Moscou. Washington doit maintenant en tirer les conséquences et définir clairement ses lignes rouges par rapport à la Turquie
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas caché son intention de poursuivre l’opération au-delà de Afrine, avec Manbij puis les territoires à l’est de l’Euphrate en ligne de mire. Or si les Américains n’ont jamais été présents à Afrine, ils le sont à Manbij, et ont déjà signalé par le passé aux Turcs qu’ils ne comptaient pas en partir. Vont-ils garder la même ligne, au risque d’une escalade avec la Turquie ?
Manbij aura valeur de test pour les Américains, pour les Turcs, mais aussi pour les Kurdes. Tous les acteurs du conflit syrien vont scruter la situation de près pour décrypter le comportement américain et en tirer des conclusions sur sa détermination à parvenir à ses objectifs. S’ils cèdent, les Américains risquent d’avoir des difficultés à conserver leur pouvoir d’influence dans l’Est syrien. Leurs ennemis en profiteront certainement pour tester leur volonté de rester en Syrie. En ce sens, les 2 000 soldats américains déployés sur le sol syrien pourraient être des cibles potentielles, notamment pour les milices obligées de l’Iran.
En résumé, si elle est désormais moins illisible, la stratégie américaine en Syrie reste particulièrement bancale.
Par Anthony SAMRANI
Source : Comité Valmy