La Turquie envoie des renforts de troupes, d’unités de commando et de chars vers la ville d’Idlib et autour au nord de la Syrie, afin de remplir un objectif précis : empêcher l’attaque de la ville par les forces syriennes et leurs alliés soutenus par la Russie. Ankara profite ainsi du fait que la Russie a ralenti le rythme de la mise en œuvre de sa stratégie visant à libérer la ville des djihadistes (dont Al-Qaïda), en raison de la menace américaine de bombarder l’armée syrienne et les forces gouvernementales sous le prétexte qu’elles « utilisent des armes chimiques ». Ces fameuses « armes chimiques » font partie intégrante de la bataille d’Idlib en tant qu’outil utilisé pour attaquer la Syrie au moment où la guerre se termine.
La Russie considère que les renforts turcs violent l’accord d’Astana conclu entre Turcs, Russes et Iraniens, qui limitait le nombre de postes d’observation et la présence militaire autour de la ville et dans les régions rurales d’Idlib. La Russie croit aussi que la Turquie est incapable de remplir son engagement d’éradiquer totalement la présence de djihadistes, notamment ceux d’Al-Qaida, qui ont pris position dans la ville et autour. En fait, le président turc Erdogan a demandé un nouveau prolongement pour lui permettre de répondre aux demandes russes et iraniennes concernant Idlib. Le gouvernement de Damas a rejeté ce délai, car ses dirigeants trouvent qu’il va à l’encontre des intérêts du pays (la libération de l’ensemble de la Syrie), ce qui confirmerait l’hésitation du président russe apparemment due à la menace américaine.
Des décideurs à Damas ont affirmé que « la Turquie a offert à la Russie d’assurer la protection de sa base militaire de Hmeïmim en empêchant les nouvelles attaques de drones lancées contre elle. La base russe a subi plus de 55 attaques de drones armées, tous abattus par le système de défense russe autour de la base qui se trouve sur la côte syrienne. La Russie se prépare d’ailleurs à attaquer la région rurale de Lattaquié afin de créer une zone de sécurité pour sa base et de se débarrasser de la présence des djihadistes qui ont revendiqué la plupart des attaques. La Russie a ainsi rejeté l’offre turque, en demandant à Ankara de se conformer à l’accord et d’éliminer les djihadistes de la ville en usant de son influence pour éviter l’attaque. Damas croit que la Turquie aimerait annexer Idlib, ce qui l’amène à rejeter tout accord autre que celui déjà signé à Astana, qui consiste en un engagement “d’achever” tous les djihadistes. »
De plus, selon les sources, la Turquie « a promis d’intégrer le Front al-Nosra, alias Hay’at Tahrir al-Cham, au sein d’une seule armée à Idlib pour satisfaire les demandes russes et montrer qu’elle exerce un contrôle sur les djihadistes. Les troupes d’Ankara ajoutent plus de personnel militaire (c’est la façon dont la Turquie le présente) pour soutenir tous les mandataires de la Turquie dans leur bataille contre les djihadistes qui refusent de se soumettre ou qui fusionnent avec d’autres groupes. Selon des renseignements fournis récemment par la Turquie à la Russie et à l’Iran, l’armée turque est prête à attaquer tout groupe qui refuse de se soumettre à la Turquie. En outre, il semblerait que des centaines de djihadistes ont quitté la Syrie pour une autre destination. Ankara facilite ainsi la sortie de tous les djihadistes, qui devront sinon combattre et mourir à Idlib. »
La Turquie demande plus de temps afin de retarder l’attaque contre Idlib. Dans l’intervalle, les alliés de la Syrie sont résolus à prendre le contrôle de la région rurale autour d’Idlib ainsi que la région rurale de Hama et de Lattaquié. À cette fin et par crainte d’une attaque possible contre Alep par des djihadistes pour détourner l’attaque des forces syriennes, les alliés envoient des contingents importants de militaires creuser des tranchées à des fins défensives autour d’Alep.
Les alliés de la Syrie, tout comme Damas d’ailleurs, trouvent que la Russie a ralenti le rythme de son attaque, ce qui permet à la Turquie de soulever ses préoccupations à la face du monde quant à la nécessité d’une attaque contre Idlib. La Turquie a encouragé les USA à prendre le temps de préparer sa banque d’objectifs (cibles) en Syrie au cas où ils décideraient de bombarder la Syrie. Elle presse aussi la communauté internationale, surtout les Européens, d’intervenir pour empêcher un éventuel « flot de réfugiés et de djihadistes vers le continent européen en cas d’attaque contre Idlib ». Les deux superpuissances (Russie et USA) viennent d’ailleurs d’effectuer des manœuvres militaires au large de la côte syrienne en Méditerranée et à al-Tanf (en Syrie) respectivement. Elles marchent ainsi « au bord du précipice » tout en faisant étalage de leurs forces l’une contre l’autre.
Selon mes sources, la Turquie « demande plus de temps pour régler la situation à Idlib sans combat. Elle propose aussi de résoudre le problème soulevé par les dizaines de milliers de ses mandataires syriens armés quand le moment de la réconciliation politique viendra. Tout cela indique clairement que la Turquie n’est pas prête à quitter la Syrie. »
Moscou a d’importants intérêts stratégiques avec Ankara (échanges commerciaux, armements, approvisionnement énergétique), tout comme avec Téhéran (échanges commerciaux et énergétiques, qui est l’une des conséquences du rejet, par les Turcs, des sanctions unilatérales américaines imposées contre l’Iran). Le président Erdogan compte sur cette relation stratégique pour stopper la bataille d’Idlib. La Russie et l’Iran maintiennent toutefois des relations stratégiques plus profondes avec la Syrie, où le désir de mettre fin à la guerre et de voir toute la Syrie libérée est beaucoup plus fort.
« Il n’y a pas de plan en vue de libérer la ville d’Idlib pour l’instant », disent les sources. Le principal objectif est la libération des régions rurales de Hama, de Lattaquié et d’Idlib. On ne devrait pas s’attendre à ce que les civils syriens, qui sont presque deux millions, partent vers la Turquie ou l’Europe. Ils sont invités à quitter tous les secteurs sous le contrôle des djihadistes (principalement Al-Qaeda et ses partenaires ou partisans armés) pour se rendre dans la ville d’Idlib sous contrôle turc.
Ce qui est clair pour l’instant, c’est que le président Assad n’est pas prêt à abandonner Idlib au président Erdogan. Assad a déclaré être prêt à lancer une attaque, dans quelques semaines, même tout seul, ce qui entraînerait dans son sillage tout le monde vers le champ de bataille.
Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.