Un journaliste américain s’est indigné de la campagne menée dans son pays pour accuser la Russie d’avoir soi-disant interféré dans le processus électoral américain durant la présidentielle récente, alors que son pays œuvre pour influencer les élections des autres pays depuis plus d’un siècle.
« Cet éclat de vertueuse indignation serait plus facile à gober si les Etats-Unis n’avaient pas eux-mêmes pris l’habitude chronique d’intervenir dans les élections à l’étranger », a écrit Stephen Kinzer, qui a été correspondant du New York Times entre 1990 et 1996, puis à Istanbul jusqu’à l’an 2000.
Dans son billet publié par Boston Globe, il rappelle que sur une période d’un peu plus d’un siècle, les leaders américains ont utilisé toute une variété d’outils pour influencer les électeurs dans des pays étrangers.
« Nous avons choisi des candidats, les avons conseillés, financé leurs partis, conçu leurs campagnes, corrompu les médias pour les soutenir et menacé ou calomnié leurs rivaux », explique-t-il.
Selon lui la première de ces opérations de façonnement des résultats d’une élection étrangère a été au Cuba, depuis 1898. Les Américains ont fait en sorte que seul le candidat pro-américain a été autorisé à se présenter.
A Hawaii, deux ans plus tard, a été imposé un système électoral qui niait le droit de suffrage à la plupart des indigènes Hawaïens, afin d’assurer que seuls des candidats pro-américains pourraient être élus.
Il évoque les moyens pernicieux mis en exécution en Italie, durant la guerre froide.
« Durant la Guerre Froide, influencer les élections étrangères était une des priorités absolues pour la CIA. Une de ces premières opérations majeures a consisté à assurer qu’un parti proche de nous gagne les élections de 1948 en Italie. Il s’agit s’une opération incluant divers stratagèmes comme encourager les italo-américains à envoyer des lettres à leurs familles [en Italie] pour les prévenir qu’il n’y aurait plus d’aide des Etats-Unis si le mauvais parti gagnait les élections. Encouragée par son succès en Italie, la CIA a rapidement commencé à s’occuper d’autres pays. »
En 1955, il a suffi la somme d’un million de dollars pour faire gagner un parti pro américain.
Deux ans plus tard, c’est au Liban où l’ingérence américain a joué en faveur de celui qui allait devenir son président, dont il a évité de préciser l’identité.
Sur ce pays, M. Kinzer donne bien des détails, car il était sur place :
« Pendant la période électorale, je me suis rendu régulièrement au palais présidentiel avec un attaché-case rempli de livres libanaises », écrirait plus tard un agent de la CIA. « Le président insistait pour s’occuper de chaque transaction personnellement ».
Notre intervention dans les élections libanaises a provoqué des protestations de la part de ceux qui croyaient que seuls les citoyens Libanais devaient s’occuper du futur de leur pays. Les Etats-Unis ont envoyé des troupes au Liban pour supprimer ce sursaut de nationalisme. »
Dans certains cas, comme pour au Chili en 1964, il a suffit de « financer clandestinement nos candidats préférés et à payer des journaux et des radios pour déformer les informations de façon à les favoriser ».
Mais l’élection chilienne suivante, en 1970, laquelle a amené les socialistes au pouvoir a donné lieu à l’une des interventions américaines les plus poussées: assassinat du président élu par des conspirateurs, suivi par des pressions de trois années avant qu’un coup d’état militaire ne les chasse.
Le journaliste américain évoque entre autre un cas israélien, en 1975, puis un autre au Nicaragua et un troisième à Honduras.
Omettant les cas de révolutions colorées provoquées par les Américains dans plusieurs pays de l’ex-Union soviétique, il rappelle toutefois le dernier, celui qui a eu lieu en Ukraine, voisine de la Russie, où « une haute fonctionnaire du Département d’Etat est apparue est apparue dans la foule pour encourager la révolte».
Et Stephen Kinzer de conclure son article : « Condamner l’ingérence dans les élections étrangères est parfaitement raisonnable. Cependant, tous ceux qui hurlent hypocritement contre les Russes à Washington préfèrent fermer les yeux sur certains chapitres de l’histoire ».
A noter que le nombre des pays où les Etats-Unis s’ingèrent est nettement supérieur à ceux signalés dans le papier.
Avec Mondialisation.ca