À défaut de rapatrier les djihadistes étrangers détenus par les rebelles syriens, les puissances occidentales optent pour l’agrandissement de la prison de Hassaké, où sont enfermés la majorité des combattants de Daech*. Une mesure hypocrite, juge Olivier Piot, spécialiste de la question kurde, au micro de Sputnik. Explications.
Ayant refusé de rapatrier leurs ressortissants djihadistes, les pays de la coalition internationale contre l’État islamique doivent maintenant faire preuve d’inventivité. Dans un effort commun, les parties anglaises et américaines de la coalition lanceront donc une importante opération d’agrandissement de la prison de Hassaké, où se trouve actuellement l’écrasante majorité des djihadistes de Daech arrêtés après la chute du califat.
Reprendre le contrôle de la prison aux djihadistes
Cet effort permettra de doubler la taille des installations. Actuellement, la structure consiste en une série de trois bâtiments scolaires réaffectés. Y séjournent environ 5.000 détenus, d’après le commandant adjoint de la stratégie de la coalition, le Britannique Kevin Copsey. L’idée étant de soulager les Forces démocratiques syriennes (FDS), actuels gardiens de la prison.
Un membre de la sécurité intérieure kurde monte la garde alors que des femmes conduisent des enfants avant leur départ, lors de la libération d’un autre groupe de familles syriennes du camp kurde d’al-Hol, qui détient des parents présumés de combattants du groupe de l’État islamique (IS), dans le gouvernorat de Hasakeh, au nord-est de la Syrie, le 28 janvier 2021.
«Une belle hypocrisie de la coalition», estime Olivier Piot, auteur du Peuple kurde, clé de voûte du Moyen-Orient (éd. Les Petits matins, 2020) au micro de Sputnik. D’après lui, ce projet n’a pas vocation à mettre fin aux problèmes que peut poser la détention de ces islamistes. Ce n’est qu’un «bricolage de plus» des puissances qui fuient leurs responsabilités:
«Cet agrandissement est une fausse réponse à une vraie question. Ce qui serait logique et honorable pour ces puissances serait d’aller au bout du problème en organisant effectivement le rapatriement des djihadistes originaires de chez elles. Faute de pouvoir les juger sur place, puisque les FDS ne représentent pas une entité étatique reconnue du point de vue des juridictions internationales, on leur apporte une solution qui n’en est pas une.»
Officiellement, ce projet d’expansion a pour but de faciliter le travail de surveillance des FDS au sein de la prison. L’idée n’est pas de faire de la place pour une vague de nouveaux prisonniers, mais bien de reprendre la maîtrise du centre de détention. En effet, comme dans le camp de réfugiés d’Al-Hol, les djihadistes font la loi à Hassaké. Leur seule contrainte: l’enfermement. Les rares descentes dans les bâtiments à la recherche de téléphones portables et d’autres objets de contrebande sont risquées et peu efficaces à cause de la surpopulation carcérale et du faible nombre de gardiens.
«L’agrandissement de la prison permettra de disperser un peu plus [les prisonniers] afin de ne pas avoir de réseaux qui se tissent à l’intérieur des installations», a déclaré le chef des forces de la coalition antidjihadiste, le général américain Paul Calvert, lors d’un entretien dans son QG de Bagdad vendredi dernier.
Démission des puissances internationales
Pour l’instant, la coalition n’a rien de mieux à proposer.
«On voit bien que c’est une réponse militaire à un problème qui est d’abord politique. Les puissances en question ne tiennent ni leurs promesses, ni leur rang», juge notre interlocuteur.
Les FDS gèrent actuellement 12.000 djihadistes, dont près de 2.000 sont étrangers. Ces derniers représentent les éléments les plus dangereux, d’après les officiels US.
Pour Olivier Piot, il y a sur ce dossier une réelle démission des puissances concernées qui profitent de la position de faiblesse dans laquelle se retrouve la coalition des FDS, menée par les forces kurdes:
«On ne donne pas les moyens nécessaires aux Kurdes et on profite du fait qu’ils sont coincés. Eux n’ont pas le choix. Car, s’ils libèrent les djihadistes, ils seront les premiers visés par les attaques de Daech. Hassaké, c’est une bombe à retardement», prévient notre interlocuteur.
En effet, «toutes ces personnes sont des militants potentiels d’une reconstruction des bastions de Daech dans la région. Ce ne sont pas des détenus comme les autres.» «Face à cela, la coalition leur fait l’aumône avec trois francs six sous pour agrandir les bâtiments», tacle le grand reporter .
Bombes à retardement
Les FDS ont tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme, indiquant qu’elles n’avaient pas les moyens de retenir les djihadistes, ni non plus leurs familles, en tout des milliers de femmes et d’enfants qui croupissent dans les camps d’Al-Hol et de Roj. Dès 2017, les responsables militaires américains ont averti que les FDS ne seraient pas en mesure de maintenir les prisons indéfiniment et que des combattants aguerris pourraient s’échapper des installations délabrées… et retourner sur le champ de bataille.
Face aux mutineries récurrentes et aux violences à l’intérieur des prisons, dont celle de Hassaké, les autorités kurdes avaient annoncé, le 12 octobre, qu’elles élargiraient certains combattants djihadistes de «second rang», parmi «les moins dangereux».
«Les chefs de Daech, coupables de violentes attaques et d’attentats à la bombe, ne seront pas relâchés. Il s’agit de remettre en liberté les membres de Daech* de second ordre. Ceux dont le comportement a été exemplaire en prison et qui ne représentent plus aucun danger pour la société. Ceux-là seront libérés», expliquait alors Thomas McClure, militant auprès des Kurdes de Syrie au Centre d’information du Rojava.
Face à l’indécision des puissances internationales, le temps est un adversaire: plus les semaines passent, plus l’ennemi se radicalise et plus les ressources humaines des FDS se fragilisent.
«Au prétexte de faire de la déradicalisation, on fait de la radicalisation in situ dans ces prisons. Si on ne change rien, je fais le pari que, d’ici un an au plus tard, on aura des évasions massives de ces prisons et de ces camps. Non pas du fait des Kurdes, mais à cause d’une situation qui n’aura pas été gérée. Et on va se retrouver avec une réémergence importante de Daech* dans la région», prédit Olivier Piot.
«Pour éviter les pétards mouillés chez nous, on fabrique des bombes à retardement là-bas», conclut-t-il.
Source: Sputnik