Washington a éliminé le chef du groupe takiro-wahhabite Daech en Syrie. Mais en ciblant Daech, le Pentagone a rendu service à son rival soutenu par les USA et la Turquie.
Décidément, les Américains prennent leurs aises en Syrie. Après avoir fourni un soutien aérien aux Forces démocratiques syriennes pour reprendre une prison aux takfiristes dans la province de Hassaké, les forces spéciales américaines ont lancé une opération d’envergure dans la province d’Idlib.
Dans la nuit du 2 au 3 février, quatre hélicoptères ont transporté des opérateurs dans la ville d’Atmé, localité à la frontière turque située dans la province d’Idlib. Les forces spéciales ont entouré une maison où résidaient des cadres terroristes. Malgré les avertissements en arabe des haut-parleurs américains pour que les civils évacuent la zone d’opérations, d’âpres combats ont eu lieu. Plusieurs militaires américains ont été blessés, un hélicoptère a été endommagé puis détruit par une frappe US pour éviter toute prise. 13 personnes ont été tuées, dont six enfants et quatre femmes.
Mais pour Washington, l’essentiel était ailleurs. « Hier soir, sous ma direction, les forces militaires américaines ont entrepris avec succès une opération antiterroriste. Grâce à la bravoure de nos forces armées, nous avons retiré du champ de bataille Abou Ibrahim al-Hashimi al-Qurayshi, le chef de (Daech) », a indiqué Joe Biden sur son compte Twitter.
« Le groupe takfiriste est dans les petits papiers de la Maison-Blanche »
Ce genre d’opération terrestre demeure peu fréquent. Généralement, Washington use de ses drones MQ-9 Reaper. Ce fut le cas en décembre et en septembre derniers pour tuer des dirigeants de Hourras al-Din.
« En frappant Daech, les États-Unis veulent rester dans le jeu syrien », estime Camille Najm, politologue et chercheur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, dont les travaux portent principalement sur la Syrie.
En effet, la dernière opération au sol dans le pays remonte à octobre 2019, sous Donald Trump. Les soldats héliportés avaient encerclé Abou Bakr al-Baghdadi. L’ancien chef de Daech avait alors actionné sa ceinture d’explosifs.
Mais cette nouvelle action coup de poing sur le terrain est le fruit d’un billard à trois bandes. L’élimination du leader de Daech n’aurait jamais eu lieu sans la coopération de la Turquie et de Hayat Tahrir el-Cham.
Et ça tombe bien pour Washington, « le groupe (takfiriste) est dans les petits papiers de la Maison-Blanche et reçoit le soutien d’Ankara », précise Camille Najm, qui est également consultant en géopolitique du Moyen-Orient.
Les Américains rendraient ainsi service à l’ancienne branche d’Al-Nosra à Idlib, qui considère Daech comme un adversaire.
Hayat Tahrir el-Cham intéresse en effet Washington. Ce mouvement contrôle près de 60% de la province du Nord-Ouest syrien.
Il représente une véritable armée de plus de 30.000 hommes, dont 10.000 étrangers provenant de Jordanie, d’Arabie saoudite et d’Asie centrale, avec une branche turkmène.
Issu d’Al-Nosra, qui puise ses origines dans Al-Qaïda, HTS n’est donc qu’un changement de nom opéré en 2017 pour se démarquer de l’image de sa « famille terroriste ».
Barbe taillée, gel coiffant, costume occidental et propos modérés, leur leader Abou Mohammed Al-Joulani a accordé l’année dernière une interview au journaliste américain Martin Smith. Il se voulait rassurant en expliquant sa rupture « définitive » avec Al-Qaïda.
Tuer des terroristes pour aider… des terroristes
« Al-Joulani veut s’attirer les bonnes faveurs de Washington, les États-Unis veulent le rendre fréquentable et modéré aux yeux de l’opinion internationale », estime le politologue.
Et pour ce faire, il a entrepris un ravalement de façade dans la province d’Idlib.
Mais aucun doute pour Camille Najm: il s’agit « de mesures cosmétiques ». D’ailleurs, les combattants de Hayat Tahrir el-Cham ont fêté la prise de Kaboul par les talibans en août dernier. Ils affirment vouloir s’inspirer de l’exemple afghan dans leur combat contre Damas.
« Il y a plusieurs groupes terroristes à Idlib qui ne s’entendent pas entre eux. Hayat Tahrir el-Cham est l’organisation la plus importante. Pour des questions idéologiques et surtout de leadership, ils sont opposés à Hourras al-Din, également présent dans le Nord-ouest syrien », précise-t-il.
Les dernières sorties aériennes américaines ont ciblé majoritairement le groupe terroriste Hourras al-Din. Actif depuis 2018, ce mouvement qui n’a pas fait sécession avec Al-Qaïda regroupe d’anciens combattants du Khorassan en Afghanistan et au Pakistan.
Du pétrole pour les takfiristes d’Idlib?
Cette relation officieuse entre Hayat Tahrir el-Cham et le Pentagone est également pointée du doigt par Moscou.
En effet, la mission russe auprès des Nations unies a accusé les États-Unis de renforcer les sites terroristes de l’organisation à Idlib, dans le nord de la Syrie.
« Les États-Unis ne ménagent aucun effort pour recréer l’image des décapitateurs d’Idlib et les présenter comme une alternative au gouvernement de Damas », stipule le communiqué russe.
Cette accusation ne serait pas sans fondement. Selon le média saoudien El Sharq Alawsat, depuis un récent accord, l’organisation terroriste d’Idlib recevrait des cargaisons de pétrole provenant des champs pétroliers syriens sous contrôle des forces américaines et kurdes.
À la suite d’un accord entre les deux parties, la société pétrolière d’Idlib Watad, sous contrôle de HTS, recevrait chaque jour environ 600 tonnes de produits dérivés pétroliers.
« Washington a plusieurs cordes à son arc en Syrie. Les Américains sont proches des Kurdes, mais également des Turcs, ils bombardent des terroristes pour en aider d’autres. Mais la finalité, c’est qu’ils veulent garder des moyens de pression sur Damas et Moscou », souligne Camille Najm.
Un jeu dangereux. Entre les sanctions économiques qui appauvrissent la population locale, le contrôle des puits de pétrole, le soutien au projet autonomiste kurde et les frappes occasionnelles sur des cibles takfiristes, Washington joue avec le feu.
Source: Avec Sputnik