Le projet du Couloir du Nord promu par la Russie et la Chine a relancé l’intérêt pour l’Arctique et les pôles, incitant le président américain Trump, nouvellement élu, à s’emparer immédiatement de la question.
En 2024, la course au Grand Nord s’est intensifiée. Le projet de couloir nordique promu par la Russie et la Chine a relancé l’intérêt pour l’Arctique et les pôles, incitant le président américain Trump, nouvellement élu, à se saisir immédiatement de la question. Essayons de comprendre les raisons d’une éventuelle “guerre de l’Arctique”.
Au Nord
Le Nord est un lieu mythique. C’est au pôle Nord que se trouve le village du Père Noël avec ses lutins qui fabriquent des cadeaux pour les enfants sages, mais rien de plus. Nous avons l’habitude de regarder la carte du monde du côté de l’équateur, mais si nous essayons de regarder “d’en haut”, en plaçant le pôle au milieu, la vision spatiale de la géographie terrestre nous permet des considérations bien différentes.
L’Arctique, en tant que macro-région, couvre quelque 14 millions de kilomètres carrés et abrite des réserves d’hydrocarbures, de métaux précieux et de métaux rares encore non quantifiées.
La concurrence entre les puissances arctiques est exacerbée par des revendications territoriales concurrentes sur les fonds marins. L’article 76 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) autorise les États à étendre leur plate-forme continentale, mais les revendications se chevauchent souvent, comme dans le cas du pôle Nord, revendiqué par la Russie, le Danemark et le Canada. La Russie, en particulier, a intensifié sa présence militaire dans l’Arctique, en rouvrant des bases de la guerre froide et en développant des capacités navales et de missiles avancés.
Les États-Unis, initialement moins actifs, ont récemment renforcé leur engagement stratégique dans la région, considérant la Russie et la Chine – cette dernière se décrivant elle-même comme une “nation quasi arctique” – comme des adversaires dans le contrôle des ressources et des itinéraires. La Chine, bien qu’elle n’ait pas de frontières arctiques, a investi dans le “pôle de la route de la soie”, promouvant la coopération scientifique et infrastructurelle avec les pays de l’Arctique.
Dans cette terra incognita, le Groenland, la plus grande île du monde, se trouve en plein Atlantique Nord et sur le cercle arctique, à mi-chemin entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Environ 80 % de la surface de l’île est recouverte d’une calotte glaciaire, la deuxième en taille après l’Antarctique. Cet inlandsis, qui atteint plus de 3 000 mètres d’épaisseur, constitue l’une des principales réserves d’eau douce de la planète. Le reste du territoire est constitué de zones côtières libres de glace, avec des toundras et des fjords spectaculaires. On trouve aussi un plateau glaciaire central bordé de montagnes côtières, dont les sommets dépassent 3 700 mètres, comme le mont Gunnbjørn, point culminant de l’île. Les fjords profondément encaissés hébergent des glaciers actifs qui contribuent à alimenter l’océan en icebergs. Sur le plan climatique… il fait froid !
Les ambitions américaines au Groenland
La touffe blonde de la Maison Blanche s’est empressée d’évoquer le Groenland et la “conquête” de la masse continentale. Pour quelle raison ?
Le Groenland est la plus grande île du monde et correspond à 22% du territoire des États-Unis, soit la somme de l’Italie, de la France, de l’Espagne, de l’Allemagne, de la Pologne et du Royaume-Uni réunis, avec seulement 60 000 habitants.
Il est rattaché au Royaume du Danemark, mais dispose de pouvoirs autonomes considérables.
Selon un rapport de l’US Geological Survey, 13 % des ressources pétrolières et 30 % des ressources gazières mondiales, ainsi que de l’or, des rubis, des diamants, du zinc, du fer, du cuivre, des métaux rares et beaucoup d’uranium, sont présents dans le sous-sol (entre la terre ferme et les fonds marins), pour une valeur totale estimée à environ 400 milliards d’USD, soit une année de PIB pour le Danemark.
Trump a déjà fait allusion à une ruée vers l’or dans la région à l’été 2019, mais on peut y trouver bien plus : d’énormes réserves de pétrole, de gaz, de palladium, de nickel, de phosphate, de bauxite, de l’uranium et plus encore.
Plusieurs bases militaires américaines non déclarées s’y trouvent déjà, à l’exception de celle bien connue de Pituffik, au centre du réseau de protection de l’espace NORAD tout entier [NORAD : organisation américano-canadienne dont la mission est la surveillance de l’espace aérien nord-américain, créée le 1er août 1957 et devenant effective le 12 mai 1958]. Il ne fait aucun doute que le principal enjeu stratégique de l’île de glace est d’ordre géostratégique : elle est située au pôle et contrôle l’accès à ce pôle pour l’ensemble des pays occidentaux. En revanche, les États-Unis ne sont considérés comme une nation polaire que pour son territoire (nord) de l’Alaska, jadis territoire russe acheté par les Américains.
Au pôle Nord, en bordure de la Sibérie, les Chinois envisagent de développer leur route de la soie polaire, une alternative stratégique pour échapper aux détroits d’Asie du Sud-Est (Bab el-Mandeb, Mer Rouge, Suez) et raccourcir la durée de la traversée vers l’Europe.
Les Danois, très écologistes et pacifistes, devront faire face à une sérieuse dégradation de leur image, car si les autorisations d’exploitation des ressources du territoire se concrétisent, la situation changera radicalement, et le Danemark prendra une place prépondérante sur le marché du nucléaire. Pour le Groenland, en revanche, l’objectif est bien plus ambitieux : outre l’uranium, la fonte des glaciers révèle la présence dans son sous-sol d’autres trésors qui tentent les mastodontes des métaux rares et les industries stratégiques. Le tout au détriment des communautés locales et de leur mode de vie, mais cela importe peu aux puissances marchandes.
Pour l’Amérique de Trump, les avantages diplomatiques sont loin d’être négligeables : le Conseil de l’Arctique créé en 1991 compte désormais tous les pays membres de l’OTAN (Canada, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède, États-Unis), à l’exception de la Russie, membre éminent en guerre et, de ce fait, tenue à l’écart des prises de décision.
L’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN a constitué une étape clé dans la perspective d’une guerre en Arctique. En particulier, avec la Finlande et accessoirement la Suède, l’une des bases russes les plus importantes de l’Arctique, la péninsule de Kola, est directement menacée, même si avec une quarantaine de navires, les Russes peuvent se targuer d’avoir la plus grande flotte de brise-glaces au monde, et dont la présence au pôle est bien organisée et constamment renforcée.
Il y a quelques jours, Trump a relancé l’idée d’acheter l’île, une idée poursuivie par les Américains depuis 1867 et que Trump lui-même a remis au goût du jour lors de sa première présidence. Puis il a déplacé Ken Howery, l’ambassadeur en poste en Suède, celui-là même qui, avec des arguments convaincants et pertinents, a fait comprendre à Stockholm qu’elle allait renoncer à une neutralité de plus ou moins deux siècles.
Il est curieux que M. Howery, le jeune leader mondial du Forum économique mondial, soit l’un des fondateurs de Pay Pal et fasse partie de la mafia Pay Pal qui inclut Thiel, Musk, Nosek, Levchin. Musk et Howery ont été réunis comme par magie. Quelle curieuse coïncidence.
L’entourage présidentiel s’intéresse à la partie septentrionale du “Pays vert”, au cœur des glaces, alors que la population vit presque exclusivement dans le sud. Les Inuits sont la population au taux de suicide le plus élevé au monde : les noyer sous les dollars ne les rend pas heureux, mais peut-être que cela les aide un peu. Qu’il s’agisse d’un achat sectoriel, d’un bail à long terme, de permis de construire et de concessions minières – ou peut-être d’une opération de subversion politique au sein de l’équilibre gouvernemental danois – les États-Unis ont l’air prêts à abattre leurs cartes.
Cette stratégie cadre avec l’intention américaine de “réunifier l’Amérique” pour en faire une grande nation (Make America Great Again), et on la comprend d’autant mieux en imaginant la concomitance avec la question du Panama, pour laquelle Trump a réitéré sa volonté d’annexion. Une stratégie qui fait sens quand on sait que Trump prend très au sérieux l’évolution multipolaire du monde : il devra donc resserrer les rangs, en rassemblant toutes les pièces du puzzle, prêt à entrer en guerre contre de nouveaux et nombreux adversaires.
Sources: Strategic culture; traduit par Spirit Of Free Speech