Le cessez-le-feu à Gaza détourne l’attention de la stratégie plus ambitieuse d’Israël : démanteler l’État palestinien, imposer un contrôle extérieur et garantir une occupation permanente sous la direction des États-Unis.
Le discours dominant sur l’avenir du cessez-le-feu à Gaza est celui du président américain Donald Trump et du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, la plupart des analystes ne parvenant pas à lire entre les lignes. Ces discours détournent l’attention du véritable projet.
Alors que certains sont désormais obsédés par les menaces américaines de “s’emparer” de Gaza et de procéder à un nettoyage ethnique, tandis que d’autres craignent qu’Israël ne cherche à relancer son assaut génocidaire – deux préoccupations légitimes -, quelque chose de bien plus sinistre se prépare en coulisses.
La plupart des propositions de Donald Trump pour Gaza relèvent davantage d’un fantasme orientaliste dérangé que de menaces concrètes. “Posséder Gaza” signifierait l’envahir et vaincre totalement la Résistance, qui se coûterait la vie à des milliers de soldats américains et se solderait par des centaines de milliards de dollars pour Washington. Avec, probablement, un échec à la clé. Par conséquent, une invasion est extrêmement improbable, car elle nécessiterait une planification scrupuleuse, et nous n’avons constaté aucun mouvement logistique suggérant l’existence d’un plan cohérent pour y parvenir.
Cependant, les menaces de nettoyage ethnique, implicites dans les appels du président américain à faire le “ménage” à Gaza, sont plus ou moins réalistes. L’entité sioniste tentera de procéder par étapes plutôt qu’en coup de force, à moins qu’elle ne cherche à envahir le Sinaï égyptien et à s’emparer d’une bande de territoire pour y réinstaller la population, opération qui pourrait-il est vrai accélérer les choses.
Le piège Trump
Les dirigeants israéliens et américains partagent la même vision des choses. Ce serait une grossière erreur de croire qu’ils sont en désaccord sur l’objectif final à atteindre dans la région. Bien que les intérêts des alliés puissent diverger sur certains enjeux à court terme, ces divergences sont mineures dans une perspective plus large.
Tout d’abord, il faut partir du principe que les États-Unis, en tant qu’acteur le plus puissant et le plus influent, s’efforcent d’assurer à leur allié israélien les meilleures perspectives, mais de manière à asseoir leur domination.
Washington ambitionne de développer le couloir économique Inde-Moyen-Orient-Europe. Pour y parvenir, l’Arabie saoudite doit d’abord se résoudre à normaliser ses relations avec le régime sioniste. Cependant, la question de la Palestine y fait obstacle.
Bien que les États-Unis aient tout intérêt à user de leur influence pour contraindre les Israéliens à accepter la “solution à deux États” et atteindre ainsi leurs objectifs communs, comme le soutenait l’administration Biden, le gouvernement américain ne peut en réalité pas imposer cette solution aux Israéliens. Pourquoi ? Parce que même si cette solution sert les intérêts nationaux des États-Unis, le lobby sioniste est tout simplement trop puissant.
Par conséquent, il faudrait un président prêt à sacrifier sa carrière politique, sa réputation et peut-être même sa vie pour que cela se produise. Lorsque l’ancien président américain Bill Clinton a présenté ce que l’on a appelé les « conditions Clinton » lors des négociations entre les Israéliens et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le plan – résolument pro-israélien et bafouant le droit international à bien des égards pour plaire aux Israéliens – a été condamné par le lobby comme instaurant les “frontières d’Auschwitz”.
Donald Trump manque de courage et de motivation pour lutter contre le lobby et défendre une position véritablement “America First” sur la question, comme le démontre d’ailleurs sa parfaite maîtrise des réalités en jeu. Il a donc choisi d’aider les sionistes à adopter une autre stratégie de domination régionale servant les intérêts de Washington et de Tel Aviv, du moins c’est ce que croient les sionistes.
Pour assurer leur domination, ils cherchent à détruire l’idée même d’un État palestinien, à redessiner les cartes et à faire de l’Iran l’“ennemi commun” de tous les régimes alignés sur les États-Unis.
Les Palestiniens sans Palestine ?
Dès que le cessez-le-feu a été mis en place à Gaza – respecté par le Hamas, mais violé quotidiennement par le régime sioniste – les Israéliens ont immédiatement lancé ce qu’ils appellent l’“Operation Iron Wall” dans le nord de la Cisjordanie occupée.
Le but de cette invasion de la Cisjordanie est de punir collectivement l’ensemble des populations d’où sont issus les groupes de la Résistance. L’armée israélienne détruit des maisons, des rues, impose un couvre-feu, prive les civils d’eau et d’électricité, assassine des civils en les bombardant, boucle les populations avec des chars et des barrières, tout en procédant à des arrestations massives de tous ceux qui s’opposent à leur régime terroriste. Le but est d’effrayer la population du territoire afin de la soumettre.
D’autre part, les États-Unis ont récemment décidé de mettre fin au financement des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. La campagne de Trump a été financée par la milliardaire la plus riche d’Israël, Miriam Adelson, à hauteur de 100 millions de dollars, selon le journal Haaretz, en échange du soutien du président à l’annexion de la Cisjordanie par Israël. Au départ, l’Autorité palestinienne (AP) aurait pu rester au pouvoir si un tel scénario était appliqué, ce qui aurait probablement abouti à une annexion de la zone C et de certaines parties de la zone B, tout en laissant l’AP gouverner les principaux foyers de population de la zone A/B.
Cependant, l’AP semble avoir échoué au test après avoir mené un assaut contre la Résistance palestinienne dans le camp de réfugiés de Jénine pendant plus de 40 jours, et s’avérant incapable de démanteler les Brigades de Jénine. Elle va maintenant payer le prix du retrait de l’aide financière américaine.
Alors, quel est le lien avec le cessez-le-feu à Gaza ? C’est simple : si l’Autorité palestinienne est évincée de la Cisjordanie, il est impensable qu’elle puisse prendre le contrôle de Gaza. Plusieurs responsables israéliens ont réitéré leur refus de voir l’Autorité palestinienne prendre le contrôle de la bande de Gaza, ce qui, selon certains, lui donnerait la légitimité requise pour exiger à nouveau la “solution à deux États”.
L’entité sioniste sait bien que le peuple palestinien ne va pas simplement faire ses valises et s’en aller, même si certains sont expulsés manu militari, car la majorité restera. Leur plan est donc très clair : ils cherchent à faire intervenir une force internationale pour gérer l’occupation de la Palestine à leur place.
Lorsque Netanyahu parle de déloger le Hamas de Gaza, le recours à la guerre n’est plus une option, car en 15 mois, il a échoué. S’il récidive, il se condamne à un deuxième échec. En revanche, nous assistons déjà à la mise en œuvre de son plan. Il veut maintenir le cessez-le-feu pour parvenir à un conflit gelé, et faire lentement mourir la population de Gaza à force de restrictions d’abris, d’aide humanitaire et des moyens de reconstruire le territoire.
Ce scénario consiste à rendre la vie des habitants de Gaza si difficile qu’ils chercheront une alternative, même si celle-ci les prive de leur autonomie. Et les sionistes se serviront des régimes arabes et d’autres nations pour concocter un programme d’administration “d’après-guerre”.
Les déclarations délirantes, racistes et provocatrices de Donald Trump, ainsi que sa récente vidéo produite par l’IA intitulée “Trump Gaza”, n’ont d’autre but que de détourner l’attention du public, de réorienter le discours, et sauver la carrière politique de Netanyahu tout en forçant les nations arabes à élaborer un plan. L’idée d’un nettoyage ethnique à Gaza est une menace utilisée pour faire pression non seulement sur l’Égypte et la Jordanie, mais aussi sur l’Arabie saoudite et les autres pays arabes.
C’est un ultimatum américain : soit les dirigeants arabes assument la responsabilité du sort de Gaza et des Palestiniens, soit Washington prend des mesures susceptibles de faire tomber leurs régimes. Voilà pourquoi ils se sont soudainement réunis et mobilisés pour trouver une solution. Ce processus est maintenant dans l’impasse, car les dirigeants arabes et Netanyahu cherchent désespérément à retarder la mise en œuvre de la phase 2 du cessez-le-feu à Gaza.
La conquête par l’entité sioniste de nouveaux territoires syriens donne un aperçu de leur pensée globale. Alors qu’une “zone tampon” est depuis longtemps leur objectif, ils semblent chercher à créer une alliance avec deux régimes autonomes qui, espèrent-ils, s’uniront et déclareront leur indépendance vis-à-vis de Damas. Il est clair que les Israéliens souhaitent la création d’un État druze et d’un État kurde en Syrie, qui seraient alliés à Tel Aviv et lui conféreraient un rayonnement jusqu’à l’Euphrate et au-delà. Au besoin, cette solution pourrait même permettre à la population druze de vivre avec la citoyenneté israélienne, à condition que la population druze syrienne n’y oppose pas de résistance.
La finalité apparente est de permettre aux Israéliens d’exercer un contrôle de facto sur un territoire, géré par leurs mandataires, et de contrôler des populations qui leur sont hostiles. Détruire l’Autorité palestinienne (AP) priverait la Palestine de son siège à l’ONU, tandis que l’interdiction de l’UNRWA est en cours grâce à l’aide de leurs alliés occidentaux, signifiant ainsi la disparition de l’agence qui reconnaît le statut de réfugié palestinien. L’étape suivante consisterait alors à mettre en place une ou plusieurs administrations mandataires externes et gouverner le peuple palestinien dans ses territoires sous tutelle.
Tel est le scénario idéal auquel les sionistes aspirent, qui verra ces derniers recourir à de nombreuses ruses et peut-être même tenter un face-à-face avec l’Iran. Pour contrer ces ambitions, la résistance régionale unifiée devra mettre de côté ses divergences pour combattre de concert les Israéliens. Le “Grand Israël” se concrétise, et la seule issue est une résistance populaire massive dans toute la région, faute de quoi on s’expose à des décennies d’occupation et d’oppression.
Par Robert Inlakesh pour Al Mayadeen English ; traduit par Spirit Of Free Speech