Fort de son emprise sur le processus décisionnel libanais, le nouveau régime de tutelle américain exerce une pression sans précédent pour résoudre les questions en suspens d’une manière qui serve ses intérêts stratégiques en Méditerranée orientale. Cela inclut la démarcation de la frontière maritime avec Chypre, conformément à l’accord injuste pour le Liban, signé en 2007 sous le gouvernement du Premier ministre Fouad Siniora. Il avait été décidé lors d’une réunion inconstitutionnelle, après le retrait des ministres chiites.
Compte tenu de la soumission totale du gouvernement actuel à la tutelle et aux ordres de Washington, comme en 2007, et de l’empressement des États-Unis et de Chypre à clore ce dossier, la situation n’est pas de bon augure. La performance du gouvernement actuel, soumis à Washington, pourrait coûter au Liban la moitié de ses droits maritimes.
Cette précipitation s’est illustrée par la réponse rapide du gouvernement à la demande chypriote formulée le 11 juillet, de former un comité technique spécial pour délimiter la frontière maritime. Cette réponse est intervenue deux jours seulement après la visite du président Joseph Aoun sur l’île, au cours de laquelle les chypriotes ont soulevé la question de la démarcation.
Le comité, présidé par le ministre des Transports et des Travaux publics, Fayez Rasamni, était composé de directeurs généraux non spécialisés, d’un représentant du commandement de l’armée, le général de brigade de la marine Mazen Basbous et d’un expert en droit international, Najib Massihi.
Il est à noter que le comité a exclu de sa composition des experts qui prônaient une renégociation et exigeaient une plus grande zone d’influence pour le Liban, comme le général de brigade à la retraite Khalil Gemayel, l’une des personnalités les plus éminentes travaillant sur cette question, et le chef du département d’hydrographie de l’armée, le lieutenant-colonel Afif Ghaith.
Elle n’a inclus que des partisans de la poursuite de l’accord de 2007, comme Massihi et Basbous.
Menace chypriote
Trois jours seulement après la création du comité, qui n’avait tenu aucune réunion, le directeur des services de renseignement chypriotes et conseiller à la sécurité nationale, Tasos Tzionis, s’est rendu à Beyrouth, porteur d’un message clair : achever la démarcation fondée sur l’accord injuste de 2007, en prolongeant la ligne au sud du point 1 au point 23 et au nord du point 6 au point 7.
Devant le comité, avant même sa constitution, Tzionis a effrontément mis en garde, en l’absence d’accord et d’arbitrage international, que Chypre allait exiger des zones supplémentaires.
Sachant que le maximum qu’Ankara peut exiger ne dépasse pas les 60 kilomètres carrés.
Cette déclaration était basée sur le motif qu’une erreur s’est glissée dans la mise en œuvre de la ligne médiane sur le point 2.
La déclaration de Tzionis a été interprétée comme une menace voilée selon laquelle le retard du Liban dans la finalisation du dossier entraînerait l’interruption de l’exploitation de quatre blocs offshore clés 1, 3, 5 et 8. Alors qu’en réalité, l’impact devrait être limité à un coin étroit et triangulaire du seul bloc 5.
La « menace » chypriote repose bien sûr sur le soutien des États-Unis, en récompense aux positions adoptées par Chypre avant la récente agression israélienne contre le Liban.
Depuis 2017, l’île « amie » ouvre son territoire à l’armée et à l’aviation ennemies pour des exercices annuels simulant une invasion du Liban, en raison des similitudes géographiques entre les deux pays.
L’expert militaire Yoav Zitun, qui a assisté aux manœuvres « Chariots de feu » en mai 2022, a écrit dans le Yediot Ahronoth que « les manœuvres chypriotes comprenaient un entraînement aux frappes aériennes contre les nombreux rassemblements et installations du Hezbollah dans le centre et le nord du Liban, notamment son quartier général principal et les positions des Brigades al-Radwan, ainsi que la préparation d’unités d’élite pour des raids en profondeur en territoire ennemi. »
Chypre est devenu ainsi un partenaire dans la planification de l’agression contre le Liban.
Un accord injuste
En 2022, l’ancien Premier ministre Najib Mikati a formé un comité dirigé par l’ancien ministre des Travaux publics Ali Hamieh pour « apporter les modifications nécessaires à l’accord de la zone économique exclusive avec Chypre ». Le comité a conclu que l’accord de 2007 était injuste pour le Liban et comportait des lacunes qui ont conduit à la perte d’une partie de la zone économique exclusive.
Il a recommandé de demander à l’armée libanaise d’adopter un nouveau mécanisme de démarcation tenant compte de la ligne médiane, des « circonstances spéciales » et de la « proportionnalité des longueurs côtières », sur la base de précédents judiciaires similaires dans le monde.
Il a également recommandé de préparer un projet de décret modifiant le décret 6433, qui définit la zone économique exclusive du Liban, afin d’adopter les nouvelles coordonnées, de rédiger un accord-cadre avec Chypre pour la gestion des droits partagés, de renégocier les nouvelles coordonnées et de les enregistrer auprès des Nations Unies.
En cas d’échec des négociations, le litige serait soumis aux autorités judiciaires et arbitrales compétentes.
Cependant, le nouveau comité formé par le gouvernement actuel semble ignorer ces recommandations.
Retour à l’accord 2007
Lors de sa première réunion, le 24 juillet, Massihi a présenté son étude précédente, qui recommandait l’adoption du principe de la ligne médiane adopté dans l’accord de 2007, lequel accorde au Liban bien moins que ses frontières maritimes. Et ce malgré d’autres points de vue fondés sur des décisions rendues par les tribunaux internationaux compétents, à savoir la Cour internationale de Justice et le Tribunal international du droit de la mer, qui s’appuient non seulement sur l’approche de la ligne médiane pour délimiter les zones économiques exclusives, mais aussi sur le principe d’« équité ».
Cette approche repose sur trois volets : une ligne médiane initiale, son ajustement en fonction des « circonstances spéciales » et de la « proportionnalité des longueurs de côtes », et enfin un test de disparité disproportionnée pour garantir que la zone accordée est proportionnelle à la longueur du littoral.
De plus, la disparité géographique et démographique entre les deux pays devrait être prise en compte en faveur du Liban, ce qui est conforme à l’esprit de la jurisprudence du Tribunal international du droit de la mer, qui a placé l’équité « au cœur du processus de démarcation » (comme dans l’affaire Bangladesh c. Myanmar, 2012).
L’application littérale de la ligne médiane avantage Chypre, un État insulaire entouré de côtes, au détriment du Liban, un pays doté d’un littoral court, violant ainsi le principe de « résultat équitable » énoncé dans les articles 74 et 83 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Une étude réalisée en 2014 par le Centre de consultation et de recherche juridiques, dirigé par l’ambassadeur Saad Zakhia, du ministère libanais des Affaires étrangères a conclu que le Liban avait perdu 2 643,85 kilomètres carrés, car l’accord avec Chypre ne tenait pas compte de la différence de longueur des côtes entre les deux pays, de la méthode de démarcation équitable et du principe de proportionnalité.
En résumé, cela signifie que la ligne médiane ne devrait pas être adoptée entre une île entourée d’eau de tous les côtés et un pays doté d’une profondeur terrestre. Le principe de proportionnalité implique deux choses : une démarcation fondée sur l’orientation générale du littoral et l’adoption de la norme de proportionnalité.
Dans ce cas, le ratio serait de 1,83 pour le Liban par kilomètre pour Chypre, ce qui signifie que le Liban a perdu 2 643,85 kilomètres carrés au titre de l’accord de 2007.
La seconde solution, fondée sur une démarcation le long du littoral, y compris ses courbes, et adoptant le critère de proportionnalité, serait de 1,59 pour le Liban par kilomètre pour Chypre, ce qui signifie que le Liban a perdu 1 600 kilomètres carrés. Dans les deux cas, la perte est subie en vertu d’un accord injuste.
Il convient toutefois de noter qu’une étude récente du Service hydrographique de l’armée libanaise, utilisant les méthodes de calcul, de mesures et de satellites les plus récentes, ainsi qu’une application scientifique de la méthodologie de démarcation et de la proportionnalité des longueurs côtières, a révélé que le Liban a perdu une superficie estimée à plus de 5 000 kilomètres carrés de sa zone économique exclusive à cause de l’accord de 2007.
Malgré toutes ces preuves, l’avis de Basbous a soutenu celui de Massihi, tandis que Gaby Daaboul, membre du comité et président par intérim de l’Administration libanaise du pétrole, a exprimé ses craintes que le recours à l’arbitrage ne retarde de plusieurs années l’attribution au Liban de tout nouveau bloc offshore.
Par conséquent, l’humeur générale au sein du comité est d’avancer rapidement sur la question, après une séance de négociation formelle avec les Chypriotes, qui pourrait se tenir cette semaine. Le dossier sera ensuite transmis au Conseil des ministres avant d’être transmis au Parlement. Le comité a rencontré le président de la République jeudi dernier et l’a informé qu’il avait approuvé la confirmation de la démarcation de 2007, adoptant la ligne médiane comme solution finale !
Un comité de non-experts
L’une des questions soulevées à cet égard est la suivante : pourquoi un comité composé de directeurs généraux non experts se fierait-il à l’avis d’un seul expert en droit international, en l’occurrence le Dr Massihi, alors qu’il aurait pu faire appel à des experts indépendants et consulter des juges ou des arbitres spécialisés en droit maritime international ayant participé à des affaires similaires dans le monde entier afin de garantir le respect de la jurisprudence internationale.
Parmi eux, par exemple, le juge allemand Rüdiger Wolfrum, qui s’est rendu au Liban le mois dernier pour participer à un séminaire sur la démarcation de la frontière avec Chypre, organisé par la marine libanaise. Wolfrum, qui est l’un des fondateurs du Tribunal international du droit de la mer, où il a siégé comme juge de 1996 à 2017, en a été vice-président de 1996 à 1999, puis président de 2005 à 2008, a déclaré que le Liban ne devrait pas adopter l’approche de la ligne médiane pour sa démarcation avec Chypre, mais plutôt appliquer l’approche en trois étapes.
Il a noté que le Tribunal international du droit de la mer a rendu des décisions dans des affaires similaires dans lesquelles le principe de proportionnalité des longueurs des côtes a été adopté. Il a également affirmé que le « principe d’estoppel » ne s’applique pas au cas libanais. De plus, pour maximiser sa part, le Liban doit rechercher un accord avec la Syrie pour négocier en tant que partie unique contre Chypre, afin que l’ensemble de son littoral ne soit pas compté deux fois : une fois avec le Liban et une fois avec la Syrie. Dans ce cas, la côte libano-syrienne face à Chypre serait plus longue que la côte chypriote, ce qui aurait un impact positif tant pour le Liban que pour la Syrie.
Concernant les craintes que l’arbitrage ne retarde l’attribution par le Liban de tout nouveau bloc maritime, des sources juridiques bien informées confirment que la superficie maximale que Chypre réclamera est de 60 kilomètres carrés, un petit triangle formé par une erreur dans la mise en œuvre de la ligne médiane sur le point 2, ce qui aurait un impact partiel sur le bloc 5.
Si l’île soulève ses revendications pour des raisons illogiques, comme le déplacement de la ligne médiane plus loin vers le Liban cela aura un impact sur l’attribution de tous les blocs maritimes bordant Chypre (1, 3, 5 et 8).
Même si cela devait se produire, la durée habituelle d’un arbitrage est d’environ deux ans en moyenne, entre la date de dépôt de la plainte et le prononcé du jugement final. L’arbitrage le plus long de l’histoire du Tribunal international du droit de la mer concernant la démarcation maritime a duré 34 mois, dans l’affaire Ghana contre Côte d’Ivoire.
Cette durée n’aura pas d’impact significatif sur la situation du Liban, compte tenu de la réticence des entreprises à déposer une troisième demande de licences après l’échec de la deuxième.
Ainsi, deux ou trois années sont sans importance pour les droits potentiels du Liban, d’autant plus que la probabilité de gagner est très élevée.
L’arbitrage pourrait accorder au Liban une zone maritime comprise entre 2 600 et 5 000 kilomètres carrés. De plus, en obtenant une zone supplémentaire au-delà de la démarcation erronée de 2007, épargnerait au Liban de partager ce qui est considéré comme des « champs partagés » dans la situation actuelle, et déplacerait ce partage (ou ce litige) vers des champs situés le long d’une ligne distante de plus de 10 kilomètres.
Traduit du journal libanais al-Akhbar