Les autorités tentent depuis des mois de préparer les esprits des Français à des sacrifices en cas de guerre, mais le message peine à infuser dans une population qui se sent loin des combats en Ukraine et protégée par sa dissuasion nucléaire.
Le chef d’état-major des Armées, le général Fabien Mandon, a provoqué un coup de tonnerre mardi au congrès des maires de France, en déclarant que le pays devait restaurer sa « force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est » et être prêt à « accepter de perdre ses enfants ».
Les partis d’opposition au camp présidentiel se sont hérissés, accusant Emmanuel Macron de préparer la guerre contre la Russie : « Un chef d’état-major des Armées ne devrait pas dire ça » (groupe parlementaire LFI, gauche radicale), « 51.000 monuments aux morts dans nos communes ce n’est pas assez ? Oui à la défense nationale mais non aux discours va-t-en-guerre » (Fabien Roussel, parti communiste).
« Il faut être prêt à mourir pour son pays (…) en revanche, il faut que la guerre qui soit menée soit juste (…) ou que la nécessité fasse que ce soit carrément la survie de la nation qui soit en jeu », a dit Louis Aliot, du Rassemblement national (extrême droite).
Les propos du général Mandon ont été « sortis de leur contexte à des fins politiciennes », a regretté la ministre des Armées Catherine Vautrin, mais il est « pleinement légitime à s’exprimer sur les menaces » pesant sur le pays.
« Non l’idée n’est pas d’envoyer nos enfants au front », appuie-t-on dans l’entourage de la ministre déléguée Alice Rufo. « Il y a besoin d’une prise de conscience de la réalité », selon cette source.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les autorités françaises – à l’instar d’autres gouvernements européens – déploient un discours récurrent pour faire comprendre à la population l’instabilité croissante provoquée par les ambitions de Moscou et les positions mouvantes de l’allié américain.
La France doit « se préparer à l’hypothèse d’un engagement majeur de haute intensité dans le voisinage de l’Europe à horizon 2027-2030, parallèle à une hausse massive des attaques hybrides sur son territoire », résume la Revue nationale stratégique de 2025, feuille de route des autorités.
L’exécutif s’apprête à annoncer l’instauration d’un service militaire volontaire et publie ce jeudi un guide « face aux risques », regroupant des conseils pour réagir à un large éventail de menaces, des inondations aux cyberattaques ou des guerres.
Territoire national
Mais même si 64% des Français craignent que le conflit militaire se propage jusqu’en France (sondage Elabe de mars 2025), nombre d’entre eux continuent de se sentir éloignés de la guerre.
« Parce que la France a été un champ de bataille pendant les deux guerres mondiales, que leurs traces sont visibles, il faut comprendre que la représentation de la guerre pour les Français, demeure très nettement l’invasion du territoire », explique à l’AFP la chercheuse Bénédicte Chéron, auteur de l’ouvrage à paraître « Mobiliser. Faut-il rétablir le service militaire en France? ».
Les déclarations du général Mandon interviennent sur fond « de forte défiance envers les autorités politiques », rappelle Mme Chéron et les Français ont « du mal à accepter l’idée d’engager massivement des forces, d’en payer le prix — des morts, des blessés, coût économique etc — pour autre chose que protéger le territoire d’une invasion ».
Quant à la dissuasion nucléaire, elle « ne peut pas nous protéger de toutes les menaces, elle n’a pas été conçue dans ce but, malgré ce que peut penser la population », explique Héloïse Fayet, chercheuse sur la dissuasion à l’institut français des relations internationales (IFRI). « La résilience et les forces armées conventionnelles sont donc aussi indispensables ».
« Par exemple ce n’est pas la dissuasion nucléaire qui va empêcher des incursions de drones sur le territoire, des actions de sabotage ou la désinformation », toute la palette des actions dites hybrides, dit-elle.
Mais « ces actions hybrides sont sans commune mesure avec ce que les Français continuent de percevoir comme étant, à tort ou à raison, la +vraie guerre+ », estime Mme Chéron.
« En l’état, les seuils de perturbation qu’elles franchissent ne sont pas très élevés et pas de nature à faire accepter les contraintes d’une mobilisation des Français », assure-t-elle.
Source: AFP



