Émeutes de rue, panique de masse, nationalisation et troubles publics sans précédent depuis 50 ans: c’est en ces termes que Marko Kolanovic, analyste de la banque JP Morgan (USA), décrit l’avenir de l’économie américaine et mondiale.
10 ans après le déclenchement de la crise financière de 2008, Marko Kolanovic a publié un rapport d’analyse spécial soulignant que les marchés financiers mondiaux étaient encore plus vulnérables face à une nouvelle crise qu’il y a 10 ans. Si le scénario le plus négatif se déroulait, la crise serait si globale que pour sauver l’économie les banques centrales devraient nationaliser les compagnies les plus touchées en rachetant leurs actions sur le marché.
Un pronostic si négatif, formulé dans des termes peu réjouissants, critiquant durement les régulateurs américains et les marchés financiers mondiaux, pourrait facilement (mais incorrectement) être mis sur le compte de la volonté d’un nouvel analyste de s’attribuer la gloire d’une prophétie juste — ou d’attirer l’attention des médias. D’autant que de tels pronostics apocalyptiques ne se réalisent pas en général. Le fait est qu’il existe des analystes ordinaires, des analystes connus, des analystes expérimentés — et Marko Kolanovic. Le pronostic de ce dernier a attiré l’attention des médias mondiaux précisément parce qu’il a la réputation d’un homme qui n’est pas enclin au pessimisme excessif, mais a toujours prédit avec précision les problèmes précédents sur les marchés mondiaux. La logique des journalistes est compréhensible: un homme qui a prédit plusieurs petites crises devrait être tout à fait capable d’en prédire une grande.
Plus encore: des gens ordinaires ne se retrouvent pas par hasard parmi les principaux analystes de la banque JP Morgan, qui gère 2.700 milliards de dollars d’actifs et qui est traditionnellement considérée comme la «banque familiale» des Rockefeller. Par conséquent, Marko Kolanovic lui-même a la réputation d’être une sorte de «mathématicien visionnaire» qui calcule les mouvements des marchés à la manière des astronomes qui calculent les mouvements des planètes.
L’argumentaire de Kolanovic, qui est devenu candidat ès sciences physiques bien avant que la volonté de gagner gros ne le pousse à travailler à Wall Street, se résume à quelques thèses liées à la vulnérabilité de la structure actuelle des marchés financiers.
Pendant les dix années qui se sont écoulées depuis la crise de 2008, on a constaté une hausse significative du nombre d’opérations boursières et de décisions financières prises par des systèmes informatiques automatisés. Il convient de souligner que ces décisions sont prises sans la participation de l’homme, littéralement en une fraction de seconde. Selon Aite Group, cité par le journal The Economist en 2014, environ 65% des transactions sur le marché boursier américain étaient effectuées par des algorithmes informatiques, et non par des hommes.
Marko Kolanovic avait déjà décrit plusieurs mini-crises (par exemple, en février dernier, quand sans raison apparente le marché américain perdait quelques points par jours), qui étaient qualifiées de «comportement grégaire» des programmes informatiques gérant des milliards de milliards de dollars. Le fait est que pratiquement tous les logiciels de ce genre possèdent une instruction qui pourrait être traduite comme suit: «Si quelque chose d’incompréhensible ou d’inhabituel se produit, vends tout immédiatement.»
Au final, cela entraîne une réaction en chaîne dans laquelle le choc fait d’abord paniquer uniquement les ordinateurs, qui commencent à vendre leur portefeuille d’actions à tout prix disponible, puis les autres ordinateurs le remarquent et commencent également à vendre — et ainsi de suite jusqu’à l’effondrement total du marché. Par le passé, de telles situations étaient stoppées par les hommes qui sortaient sur le marché pour acheter les actions qui avaient soudainement perdu de leur valeur, mais depuis dix ans pratiquement tout le monde a été renvoyé — faute d’utilité. D’autant qu’ils coûtaient bien plus cher que les ordinateurs qui, eux, n’ont pas besoin de salaire, de congés payés ou de cotisations de retraite. Marko Kolanovic qualifie cette réaction en chaîne de «grande crise de liquidités» et suppose qu’à titre de mesure radicale, la planche à billets des banques centrales sera de nouveau utilisée — avec des conséquences sociales et économiques imprévisibles.
On pourrait supposer qu’une telle crise sera très brève, qu’en fin de compte les hommes remettront de l’ordre sur le marché et que tout s’arrêtera. Mais un tel scénario ne serait envisageable que si le choc extérieur à l’origine de la réaction en chaîne initiale était bref lui aussi.
Le fait est que si le choc était systémique, le marché ne pourrait plus être réanimé par des méthodes conventionnelles. Dans ce contexte, il serait utile de prêter attention à un autre prophète de la crise, l’économiste de l’agence de notation Moody’s Mark Zandi, qui (également à l’occasion du 10e anniversaire de la crise de 2008) a publié une note analytique exposant un scénario tout à fait probable du même choc, qui pourrait tout à fait conduire à la répétition de la crise financière mondiale d’il y a dix ans.
Mark Zandi rappelle que la dernière fois, la crise a commencé sur le marché de l’immobilier avant de se répercuter sur tout le secteur financier et l’économie dans l’ensemble. Cette fois, ce sont probablement les compagnes américaines endettées qui seront à l’épicentre de la crise et constitueront le point de départ de la réaction en chaîne.
Cet avis est dû au fait que la politique monétaire et de régulation menée par les USA ces dix dernières années a provoqué une situation où, au lieu d’une bulle du prêt immobilier, est apparu une bulle des prêts aux compagnies dites toxiques qui, en cas de politique monétaire plus stricte, ne devraient pas avoir accès aux crédits.
Les dettes potentiellement toxiques des compagnies américaines endettées avoisinent 2.700 milliards de dollars et augmentent rapidement. Une grande partie des dettes déjà empruntées par les compagnies américaines sont des prêts à taux variable, et en cas de nouvelle augmentation du taux directeur par la Réserve fédérale ces compagnies et leurs créanciers chuteraient comme des dominos.
L’économiste de Moody’s souligne qu’il est trop tôt pour affirmer que ce sont les dettes toxiques qui entraîneront la crise, mais la similitude de la situation avec celle d’avant la crise de 2008-2009 donne des idées négatives. Moody’s a déjà attiré l’attention de ses clients sur le fait qu’en Amérique se profilait une vague sans précédent de défauts d’entreprises toxiques, et que cette vague provoquerait de sérieuses conséquences négatives pour l’économie en général.
L’économie mondiale est hautement intégrée et, en cas de nouvelle crise aux USA, comme la dernière fois, même les pays qui n’ont rien à voir avec sa genèse seraient touchés.
Telle est la nature de la mondialisation. Mais, contrairement à 2008, en cas de nouvelle crise beaucoup de pays auraient envie de retourner le cours de la mondialisation, et — si possible — d’isoler Washington sur le continent américain, de débarrasser le reste du monde de son influence politique et économique indéniablement toxique.
Source: Sputnik