Pourquoi Ankara ne facilite-t-il pas l’installation des forces de l’État syrien à ses frontières et à l’est de l’Euphrate ? Or, la Turquie dit toujours qu’elle soutient l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie.
Selon l’expert politique et ancien officier de l’armée libanaise, le général en retraite Charles Abi Nader, si Ankara et Washington insistent sur la nécessité de la création d’une zone de sécurité dans le Nord syrien, c’est pour compenser au moins une partie de leurs défaites successives en Syrie.
Au début de son article publié sur le site d’analyse libanais Al-Ahed, Charles Abi Nader écrit :
« Il n’y a aucun doute que l’entente russo-turco-iranienne est capable de marquer des points et de préparer le terrain à un règlement approprié dans le nord et l’est de la Syrie acceptable pour toutes les parties, en comblant avec succès le vide sécuritaire et politique à l’est de l’Euphrate après le retrait des forces américaines. Ils sont capables de garantir mais aussi de rassurer et de convaincre les parties impliquées dans le dossier syrien. En premier lieu, l’Iran et la Russie ont des positions fortes, car leur implication en Syrie a été légitimée par le gouvernement légal de Damas. En second lieu, la Turquie a la capacité d’influencer tous les groupes qu’ils soient terroristes selon les uns ou modérés selon les autres. »
Mais qu’est-ce qui empêche la Turquie d’accepter le point de vue de la Russie ? Selon Moscou, la solution la plus appropriée qui existe pour le nord et l’est de la Syrie, après un retrait américain, c’est que l’armée syrienne prenne en main le contrôle de toutes ces régions, jusqu’à la frontière avec la Turquie au nord et avec l’Irak à l’est, ce qui est d’ailleurs conforme au droit international et aux principes des Nations unies. Mais pourquoi la Turquie s’y oppose-t-elle en insistant sur la création d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie ?
Pour répondre à ces questions, Charles Abi Nader écrit :
« Si nous admettons que l’objectif des États-Unis, comme ils le prétendent, est de protéger à la fois les Kurdes et la sécurité des frontières de la Turquie (son allié de l’OTAN), comme l’exige aussi Ankara, c’est l’État syrien et son armée qui sont parfaitement capables d’assurer cet objectif. »
L’expert libanais souligne ensuite que si Ankara cherchait à interdire tout projet d’auto-administration ou d’autonomie territoriale des Kurdes de Syrie dans l’est et le nord du pays, ce but serait concrétisé de la meilleure manière par l’État syrien dont le plan principal consiste à défendre la sécurité et l’intégrité territoriale du pays. Ainsi Charles Abi Nader essaie de montrer que les objectifs annoncés par les États-Unis et la Turquie ne peuvent être réalisés de la meilleure façon que par l’État syrien.
Dans un tel contexte, pourquoi la Turquie ne soutient-elle pas ce règlement légal et légitime ? Pourquoi Ankara ne facilite-t-il pas l’installation des forces de l’État syrien à ses frontières et à l’est de l’Euphrate ? Or, la Turquie dit toujours qu’elle soutient l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie et qu’elle peut convaincre les États-Unis de l’accepter aussi.
Selon Charles Abi Nader, une simple étude de la situation actuelle en Syrie montrerait que le contrôle progressif des régions du nord et de l’est (à l’exception d’Idlib) par l’État syrien après le retrait des forces américaines modifiera complètement la donne en Syrie. Autrement dit, l’application par la Turquie de ses obligations dans le cadre de l’accord de Sotchi et le retrait des forces américaines de l’est favoriseront le contrôle des régions kurdes par l’État syrien (directement ou par l’intermédiaire des Russes) en y trouvant une solution acceptable pour les Kurdes. La question qui se pose est donc de savoir « que restera-t-il pour les groupes armés qui se battent contre le gouvernement légal de Damas pour qu’ils puissent s’en servir dans les négociations politiques ? », demande Charles Abi Nader. Et l’expert libanais d’ajouter :
« Les sponsors occidentaux ou régionaux de ces groupes armés accepteront-ils cet échec qui mettra définitivement fin à leur guerre d’agression contre l’État syrien, les institutions légales, l’armée et les services de sécurité et administratifs du pays, sans obtenir aucun point sur le plan politique ? »
Selon l’analyste d’Al-Ahed, la Turquie qui s’est engagée auprès de ces groupes armés qui ont soutenu longtemps la position d’Erdogan et qui ont mené le combat d’Ankara contre l’État syrien, essaie maintenant de permettre à ces groupes de contrôler les régions de l’est sous la couverture d’une zone de sécurité afin que les Kurdes soient obligés de partager ces régions avec les groupes armés soutenus par la Turquie, après le retrait des forces américaines. Les Turcs souhaitent que cela donne aux groupes qu’ils soutiennent un minimum d’avantage dans des futures négociations avec Damas.
Charles Abi Nader croit que les Américains seraient d’accord avec ce point de vue d’Ankara, car ils ont également parrainé et dirigé un grand nombre de ces groupes armés dans la guerre contre l’État syrien et ne veulent pas que le retrait de leurs forces prive ces groupes armés des acquis politiques, même superficiels, lors des négociations. Et Abi Nader d’ajouter :
« Ainsi, nous voyons les raisons de cette focalisation turque et américaine sur l’idée de la création d’une zone de sécurité dans le Nord syrien, alors que tous les objectifs déclarés d’Ankara et de Washington pourraient être atteints si l’État syrien installait ses forces militaires au nord et à l’est. »
L’auteur estime que les Kurdes de Syrie ont à jouer le rôle le plus important dans la solution définitive du dossier syrien en s’engageant sans réserve aux côtés de l’État qui ne les abandonnera pas et qui répondra à leurs demandes légitimes en leur permettant d’éviter les pièges que leur tendent les Américains, car « les États-Unis jouent la carte kurde dans le cadre de leurs propres intérêts et seront prêts à abandonner les Kurdes chaque fois que le président Erdogan se plaindra », écrit Charles Abi Nader.
Source: PressTV