Entre 2016 et 2020, le contraste est flagrant dans la course à la Maison Blanche. Aspirant pour la seconde fois à décrocher l’investiture démocrate, le sénateur indépendant Bernie Sanders se retrouve aujourd’hui face à de nombreux candidats reprenant des propositions naguère dépeintes comme trop radicales.
Système de santé universel, salaire minimum augmenté à 15 dollars de l’heure, université publique gratuite, impôts sur les grandes fortunes et lutte « féroce » contre le changement climatique…
« Lors de notre campagne en 2016 (…) on nous avait dit que nos idées étaient +radicales+ et +extrêmes+ », que les Américains ne les « accepteraient jamais », a proclamé le sénateur de 77 ans, en annonçant sa candidature mardi.
« Eh bien trois ans ont passé, et (…) toutes ces politiques et bien plus sont désormais soutenues par une majorité d’Américains ».
« Ce profond changement va au-delà d’une simple réaction à la présidence de Donald Trump », analyse Dante Scala, professeur de sciences politiques à l’université du New Hampshire.
« Dans un sens, c’est la grande récession que nous venons de traverser qui résonne encore à travers la vie des Américains. Trump en est un des résultats. Sanders en est un autre », poursuit-il à propos de la grande crise économique démarrée en 2008. Le parti démocrate a donc évolué « en partie pour cette raison ».
La démocrate victorieuse face à Bernie Sanders en 2016, Hillary Clinton, jugeait par exemple impraticable l’idée d’un système d’assurance-maladie à l’européenne, imposé à tous. Mais de nombreux candidats démocrates déjà lancés dans la course à la présidentielle de novembre 2020 ont adopté cette proposition.
Bernie Sanders et la progressiste Elizabeth Warren, connue de longue date aux Etats-Unis pour sa lutte contre les géants de Wall Street, plaident aussi pour un net renforcement de l’imposition sur les très grandes fortunes.
De nombreux « imitateurs »
Déjà, les élections parlementaires de novembre 2018 avaient confirmé ce virage à gauche, souligne James Thurber, professeur de sciences politiques à l’American University. « Beaucoup de nouveaux parlementaires démocrates ont été élus sur un programme comprenant un système de santé universel et plus de soutien pour l’enseignement supérieur » public.
Les démocrates ont repris la majorité à la Chambre basse après ce scrutin, tandis que les républicains ont gardé le contrôle du Sénat. Et le groupe rassemblant les parlementaires les plus progressistes, justement cofondé par Bernie Sanders dans les années 1990, affiche désormais un nombre record de membres.
Parmi ces nouveaux élus, la benjamine du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez n’hésite pas à se décrire comme une « socialiste », un mot jusqu’à récemment encore explosif, quasi synonyme de « communiste ».
Le président républicain Donald Trump a d’ailleurs fait allusion à ce virage à gauche pour attaquer les démocrates en matraquant les périls, selon lui, du « socialisme ».
Mais les temps ont changé. Loin de rougir de ce mot, le jeune candidat à la primaire démocrate Pete Buttigieg, maire d’une petite ville de l’Indiana, a estimé récemment qu’on ne pouvait plus « simplement tuer le débat sur des propositions en disant que c’est du +socialisme+ ».
Si nombre de démocrates visant la présidentielle de 2020 sont cette fois nettement ancrés plus à gauche, « plusieurs vont tenter de faire campagne au centre », tempère James Thurber.
C’est le cas d’Amy Klobuchar, sénatrice du Minnesota, où les bastions miniers se sont laissés séduire par Donald Trump en 2016. L’université gratuite? « Si j’avais des pouvoirs magiques et que je pouvais la donner à tout le monde, je le ferais (…) mais je me dois de dire la vérité », a-t-elle déclaré ce week-end.
Encore attendu dans la course, l’ancien vice-président Joe Biden devrait aussi, s’il se lance, occuper une voie plus centriste.
Quant à Kamala Harris, elle a tenu à le dire ce week-end: « Je ne suis pas socialiste ».
Les idées de Bernie Sanders « marquent désormais une ligne de division parmi les candidats à la primaire démocrate », juge Dante Scala.
« Le fait qu’il ait maintenant autant d’imitateurs est un signe de son succès. Mais cela représente aussi évidemment un danger pour sa candidature en 2020 », avance-t-il. Le sénateur du Vermont pourrait voir « ses idées gagner, mais pas lui ».
Source: AFP