L’agence russe Sputnik s’est penchée dans une enquête sur l’identité des groupes rebelles qui combattent l’armée syrienne dans la province d’Idleb. Avec le soutien de la Turquie.
L’agence constate que les capitales ou la presse occidentales jettent généralement un voile pudique sur leur véritable identité, préférant s’émouvoir de la catastrophe humanitaire en cours dans la poche d’Idleb.
La chercheuse Myriam Benraad, spécialiste reconnue du Moyen-Orient, nous a expliqué pour Sputnik à propos de ce qu’il reste de la rébellion à Idleb:
«Qu’on soit clair, les forces soutenues par la Turquie à Idlib depuis le début sont des groupes islamistes. Déjà, lors de l’intervention turque dans le Rojava il y a quelques mois, c’était des groupes islamistes qui se battaient. La Turquie s’en défend, mais elle a soutenu des djihadistes et a également mené des négociations avec Daech. Aujourd’hui, les masques sont tombés. Le fait que des réseaux djihadistes transitaient de la Turquie vers la Syrie, ce n’est un secret pour personne.»
Selon l’agence russe, dans la province d’Idleb, Frères musulmans et djihadistes luttent contre Bachar el-Assad. Ils sont au moins d’une quinzaine de groupes qui se constituent en deux coalitions majeures.
D’une part, toujours selon Sputnik, il y a le FLN, Front de Libération National : une coalition de groupes rebelles qui nie officiellement tout lien avec des organisations terroristes, mais qui sont affiliés aux Frères musulmans et à la Turquie, à l’image de leur chef, Fadlallah el-Haji. S’ils n’ont pas de liens ou d’allégeances officielles envers des organisations terroristes reconnues comme telles, ces combattants sont connus pour avoir une vision ultra-rigoriste de l’Islam et utilisent régulièrement des tactiques de guerre que l’on associe aux djihadistes, comme les attentats suicides.
D’autre part, il y a le fameux Hayat Tahrir al-Cham (HTS), plus connu sous le nom de Front al-Nosra ou Jabhat Fatah al-Cham. Un groupe affilié à Al-Qaïda, généralement reconnu en Occident et ailleurs comme un groupe terroriste. Le leader de ce groupe, Abou Mohammed al-Joulani, est un ancien protégé d’Abou Moussab al-Zarqaoui, figure emblématique d’Al-Qaïda en Irak. Il est envoyé en Syrie par Abou Bakr al-Baghdadi, avant même la formation de Daech, suite aux soulèvements populaires de 2011. Depuis la Syrie, il prendra ses distances avec Daech en 2014 et son groupe, al-Nosra, prêtera allégeance à al-Zawahiri, leader d’Al-Qaïda après la mort d’Oussama Ben Laden. Al-Joulani annoncera plus tard une rupture de façade avec al-Qaïda pour s’éloigner des foudres de la coalition et ne pas avoir la double crainte de l’aviation russe et américaine.
Pour être réellement exhaustif, il convient d’ajouter les groupes Hurras ad-Din (un sous-groupe d’HTS) et le Parti Islamique du Turkistan, deux factions extrémistes djihadistes, mais qui n’ont pas de puissance de feu ou d’influence comparable à HTS ou au FLN.
Les liaisons dangereuses entre HTS et le FLN
Quels sont donc les liens entre les factions HTS et FLN? Difficile à définir… La question de ces liens était d’ailleurs centrale dans les accords russo-turcs de 2018 qui ont permis un cessez-le-feu de près d’un an. En effet, l’une des prérogatives centrales à laquelle devait veiller la Turquie était de séparer les factions rebelles, comprendre le FLN, des factions djihadistes, HTS et autres. Une condition qui n’a pas été respectée.
C’était à de nombreux égards prévisible. Depuis 2012 et l’Armée Syrienne Libre (ASL, faction rebelle considérée comme modérée par les gouvernements occidentaux), la frontière entre opposition modérée et extrémistes religieux est très floue. Cela a été largement documenté, comme l’explique Martin Chaix dans son livre La Guerre de l’Ombre en Syrie, paru aux éditions Erick Bonnier, en 2019 :
«Certains experts farouchement anti-Assad, tels que Charles Lister et Jean-Marc Lafon, ou plus neutres comme Sam Heller et Genviève Casagrande, ont ainsi confirmé le rôle central des djihadistes du Front al-Nosra dans les opérations de l’ASL, et ce dès les premiers stades du conflit», écrit Martin Chaix.
Cela rejoint d’ailleurs certains points de vue de la diplomatie française de l’époque. En 2012, alors que les États-Unis venaient de placer al-Nosra sur la liste des groupes terroristes, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de l’époque, s’inquiétait du fait que «tous les Arabes [de l’opposition, ndlr] étaient vent debout» contre la position américaine, «parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot».
Au fil des années, le conflit a évolué, les noms des factions ont changé, mais le flou reste le même. De nombreux rapports font état d’offensives en commun, d’échanges d’armes et de munitions entre rebelles modérés et djihadistes, contre l’ennemi commun, Bachar el-Assad.
Un exemple précis est la prise de la ville de Kafr Nabudah, au sud de la province d’Idleb, à l’issue d’une opération conjointe entre HTS et le FLN.
Si des conflits ont eu lieu à de nombreuses reprises entre les différentes factions rebelles, celles-ci trouvent toujours un terrain d’entente, au-delà d’une proximité spirituelle, contre l’ennemi numéro 1, le gouvernement de Damas.
Dans une interview accordée à la BBC en 2016, Mostafa Mahamed, le porte-parole du groupe Jabhat Fatah al-Cham (JFS) (nom donné à al-Nosra avant de changer pour devenir HTS), expliquait dans un anglais clair comme de l’eau de roche qu’ils ne peuvent être dissociés des autres groupes rebelles lors de négociations de cessez-le-feu:
«Notre groupe, JFS, ne peut être exclu des négociations de cessez-le-feu. Où les négociateurs pensent qu’existe JFS ? Sur une autre planète ? JFS est une partie intégrante de la société civile. Il n’est pas rare que des membres de la même famille se battent pour différentes factions rebelles et se retrouvent le soir, sous le même toit, pour partager un repas. JFS fait partie de la société et ne peut être mis à l’écart sous aucun prétexte», clarifiait le porte-parole.
Source: Avec Sputnik