Plus Tarek Bitar, le juge d’instruction libanais récolte les soutiens internationaux, plus sa mission d’enquêter honnêtement sur l’explosion meurtrière du port de Beyrouth est mise à mal.
Le magistrat Bitar fait de plus en plus penser à Detlev Mehlis, ce juge allemand chargé par l’ONU d’enquêter sur l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic Hariri en 2005. Il s’était fait remarquer par ses déboires et ses accusations erronées. Ses victimes ont été quatre hauts-officiers des forces de sécurité libanaise qui ont finalement été innocentés plusieurs années d’arrestation. De même pour les renseignements syriens, également accusés sans preuve puis écartés. Au bout de 15 années, le verdict du TSL a planché sur le Hezbollah pour accuser l’un de ses membres pour des raisons politiques mais sans preuves.
Alors qu’à aucun moment la piste israélienne ou autre n’a été scrutée par le TSL, le Hezbollah l’avait dénigré et son verdict est passé presque inaperçu, fadement, sans suite. Sans aucun impact sur l’opinion publique libanaise. Et sans voir affaibli le parti de la résistance.
Or avec l’affaire de l’explosion meurtrière du port, le même scénario semblait se profiler. Certains acteurs politiques locaux pro américains se tordent pour l’adosser au Hezbollah. Et l’enquête menée tarde toujours à livrer ses résultats.
Cette fois-ci, ce sont les juges libanais qui sont placés au-devant de la scène. La leçon du TSL est bien apprise. Sans pour autant que les pressions occidentales ne s’éclipsent.
La semaine passée, le juge Bitar a reçu le soutien des Français et des Américains. Auparavant, trois ex-ministres (un appartenant au courant du Futur et deux au mouvement Amal) qu’il avait convoqués pour les accuser d’implication dans l’explosion avaient demandé qu’il soit dessaisi de l’affaire. Se défendant d’un vice de forme, s’appuyant sur un article constitutionnel stipulant la poursuite des ministres et hauts responsables par la seule Haute Cour de Justice.
Le premier soutien venu des Français a été exprimé par la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Agnès Von Der Mühll qui a demandé aux autorités libanaises de poursuivre l’enquête en toute transparence loin des ingérences politiques.
Et puis par deux positions américaines : celle du porte-parole du département d’état pour les AE qui a appelé les autorités libanaises a se hâter de poursuivre une enquête globale transparente et à ne pas plier sous les menaces du Hezbollah ». Et celle de la Commission des Affaires étrangères du Congrès américain qui a salué « l’honnêteté du juge » Bitar.
L’ingérence américaine a été fermement critiquée par le député du Hezbollah Hassan Fadlallah la qualifiant « d’effraction flagrante à la souveraineté du Liban » et « d’ingérence dans les investigations pour imposer des diktats sur les verdicts juridiques ».
« La position américaine déclarée du cours de l’enquête et sur le rôle de l’enquêteur juridique confirme l’immixtion américaine directe dans ce dossier, dans le but de régler des comptes avec l’intérieur libanais après l’échec des guerres et de l’embargo destinés à soumettre le Liban », a-t-il déclaré le samedi 2 octobre.
Il poursuit : « Cette instrumentalisation américaine s’entrecoupe avec les tentatives de forces locales qui veulent exploiter l’approche discrétionnaire et de double standard qui entachent l’enquête et qui veulent exploiter le sang des martyrs et la douleur des victimes pour obtenir des acquis politiques et présenter des lettres d’accréditation a des forces étrangères ».
Le Hezbollah avait auparavant fustigé ouvertement le modus operandi suivi dans l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth.
Son secrétaire général sayed Nasrallah y a fait allusion dans l’un de ses discours. Accusant une approche discrétionnaire dans les plaintes portées contre d’anciens députés, ministres et responsables sécuritaires, et exigeant que soient rendus publics les résultats de l’enquête technique, qui a été menée conjointement par les équipes d’enquête libanaises et d’autres des pays occidentaux. A plusieurs reprises il s’était dit étonné que les résultats ne soient pas dévoilés alors que l’enquête est supposée être terminée.
Par la suite c’est le chef de l’Unité de coordination du Hezbollah Wafic Safa qui s’est rendu en personne à la Cour de Justice où il a rencontré entre autres le président de la Haute-cour le juge Souheil Abboud.
Il voulait s’enquérir sur une autre affaire soupçonnée d’être en lien avec celle du port, mais qui lui a été curieusement disscociée : celle des quantités de nitrate d’ammonium, 20 tonnes, qui avaient été découvertes dans un entrepôt dans la Békaa et dont les caractéristiques ressemblent à celles du port. Une affaire d’autant plus suspecte que cette quantité avait été livrée à un agent local par deux membres du parti des Forces libanaises de Samir Geagea. Un parti pro américain jusqu’à la moelle épinière.
Les médias avaient alors véhiculé plusieurs histoires, dont celle que l’acquisition de cette cargaison devait être attribuée à des gens du Hezbollah ou du mouvement Amal pour relancer la propagande les reliant arbitrairement à l’explosion. Surtout après le succès que le Hezbollah avait réalisé en important du diesel iranien depuis l’Iran pour alléger la crise causée par les pénuries des hydrocarbures. L’autre histoire plus dramatique évoquait une tentative de faire exploser ce nitrate avec l’arrivée des camions citernes de diesel iranien dans la région.
Safa aurait aussi réitéré les doutes de sayed Nasrallah sur le cours de l’enquête mais à aucun moment il n’y a eu de menaces. La question des menaces présumées, elle, a été répandue par une journaliste libanaise travaillant pour une chaine libanaise également pro américaine qui a prétendu que Safa lui a demandé de les transmettre à Bitar. Sa réputation professionnelle a été bien ternie.
Une semaine après les deux positions françaises mais surtout américaines, l’affaire du juge Bitar a connu un nouveau rebondissement : la Cour d’appel de Beyrouth a rejeté le 4 octobre le recours des trois ministres, au motif qu’il ne relève pas de ses prérogatives.
Le lien entre les positions occidentales et la décision « d’évasion » décrétée par la Cour d’appel est indissociable, estime le journal libanais al-Akhbar.
« Chaque juge saisi de cette affaire (Bitar) aurait à craindre « la revanche internationale » et serait amené à la refuser », prévient le quotidien de ses conséquences.
Ce soutien est d’autant plus suspect que les Américains à travers leur ambassadrice et leurs alliés locaux n’ont de mot de haine que pour le Hezbollah.
« Le jeu de cuisine américaine est dévoilé. Ce qui est propagé à travers des médias et les réseaux sociaux et dans la rue sur des faux témoins… reflète un environnement de fabrications en vue d’accusations politiques dangereuses », avait dénoncé le Mufti Jaafarite du Liban cheikh Ahmad Qabalane, à la fin du mois passé.
C’est lui qui a comparé Bitar au juge allemand.
“Le pays regorgent de plats empoisonnés. Nous ne voulons pas de cuisiniers du type Detlev Mehlis », a-t-il insisté.
Source: Divers