Le lendemain d’une panne mondiale qui l’a plongé dans le noir, Facebook a entre autres été accusé par une ex-employée de « déstabiliser les démocraties » devant une commission sénatoriale des États-Unis. Un signe de déclin pour le géant du web?
« Quand il est question de Facebook, nous sommes encore au royaume de l’impunité », assène d’emblée Michelle Blanc, experte québécoise des médias sociaux interrogée par Sputnik.
Réagissant au récent témoignage de la lanceuse d’alerte Frances Haugen devant la commission au Commerce du Sénat américain, elle estime toutefois que le géant du web est arrivé à un « tournant de son histoire ».
L’image de Facebook est gravement affectée. Pour la première fois, les Démocrates et les Républicains se montrent unanimes et décidés à réguler son fonctionnement. […] Tout ce qui monte redescend, et c’est particulièrement vrai pour le web. Facebook ne sera pas éternel et la migration des jeunes vers d’autres plateformes en témoigne. Maintenant, il faut voir jusqu’où vont aller les membres du Congrès », analyse-t-elle.
Le 5 octobre dernier, Frances Haugen a en effet accusé Facebook et son fondateur et président-directeur général, Mark Zuckerberg, de contribuer à détériorer la santé mentale des jeunes, en particulier celle des adolescentes.
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Cependant, l’intervention de Mme Haugen à ce moment précis n’est pas une pure coïncidence, selon Michelle Blanc. D’après elle, sa proximité avec le Parti démocrate explique en partie pourquoi Washington se montre aussi réceptif à son témoignage.
Les liens de Mme Haugen avec le Parti démocrate et l’ex-administration Obama ont été dévoilés dans plusieurs articles de presse. […] Premièrement, il y a une accumulation de faits qui nuisent clairement à Facebook. La conjoncture est favorable à ce genre de sortie. Mais on peut se demander si la lanceuse d’alerte ne voudrait pas privilégier l’agenda des Démocrates qui vise à établir une censure à leur propre avantage sur les réseaux sociaux », souligne notre interlocutrice.
Dans tous les cas, sur le plan éthique, l’intervention très remarquée de Mme Haugen pourrait mener à une importante prise de conscience chez les décideurs américains de toutes allégeances.
Les réseaux sociaux toujours à l’abri des poursuites
Le Congrès américain a déjà promis d’entamer des démarches pour encadrer ce pilier de la Silicon Valley.
Qualifiée de « catalyseur de changement » par le sénateur démocrate Richard Blumenthal, la lanceuse d’alerte pourrait même avoir initié une « petite révolution » en plaidant pour rendre plus responsables les plateformes de leurs impacts sociaux, estime Michelle Blanc.
Les réseaux sociaux se servent toujours de l’article 230 du Communications Decency Act [loi ayant entre autres pour effet de limiter la responsabilité des réseaux sociaux, ndlr] pour rester à l’abri des poursuites.
Ce n’est pas seulement un signal fort contre Facebook, mais contre tous les grands réseaux sociaux comme Twitter. Facebook est en train de vivre ce que l’industrie du tabac a vécu à partir des années 1950. On commence à réaliser que Facebook essaie de cacher les informations montrant les effets néfastes de son utilisation », observe l’auteure de Médias sociaux 201(Éd. Logiques, 2011).
De son côté, Facebook s’est rapidement défendu de nuire à la santé mentale de ses utilisateurs et de contribuer à polariser jusqu’à l’extrême l’opinion publique. « Nous nous soucions profondément de questions telles que la sécurité, le bien-être et la santé mentale. […] Il est difficile de voir une couverture qui déforme notre travail et nos motivations », a rétorqué Mark Zuckerberg dans une lettre publiée sur sa page Facebook.
Facebook accusé de « déstabiliser les démocraties »
Une réponse qui ne convainc guère Michelle Blanc, pour qui les États-Unis doivent vite adopter une loi pour encadrer les réseaux sociaux tels que Facebook, dans un contexte où aucune législation n’englobe l’ensemble des pays où ils sont utilisés. La régulation de Facebook par des textes américains pourrait toutefois mener à la censure de contenus reflétant une vision proprement anglo-saxonne du monde, avertit-elle.
Facebook ne comprend pas toutes les cultures. L’entreprise n’a pas des employés dans tous les pays où elle est présente […]. Des tableaux de peintres tout à fait banals pour des Français pourraient vite être retirés selon les standards puritains des États-Unis. Qui pourra modérer tous les contenus? », s’interroge l’experte des médias sociaux.
Spécialiste des « classements algorithmiques », Frances Haugen accuse également le géant du web d’alimenter les divisions au sein des sociétés en favorisant la visibilité des points de vue les plus tranchés. « Nous avons vu Facebook retiré d’Internet. Je ne sais pas pourquoi il a été mis hors service, mais je sais que pendant plus de cinq heures, Facebook n’a pas été utilisé pour approfondir les divisions, déstabiliser les démocraties et faire en sorte que les jeunes filles et les femmes se sentent mal dans leur corps », a-t-elle déclaré.
Disant compter 2,7 milliards d’utilisateurs, Facebook est toujours le plus populaire média social dans le monde. L’entreprise a été lancée en 2004 en Californie.
Source: Avec Sputnik