Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane est « immunisé » dans un procès civil concernant le meurtre en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, estime le gouvernement américain dans un document judiciaire déposé le jeudi 17 novembre devant un tribunal.
Le prince ben Salmane a été nommé Premier ministre par décret royal fin septembre, faisant naître des spéculations selon lesquelles il cherchait à éviter des risques judiciaires découlant de plaintes déposées devant des tribunaux étrangers – et notamment une action civile lancée aux Etats-Unis par Hatice Cengiz, fiancée du journaliste assassiné.
Le meurtre il y a quatre ans de Jamal Khashoggi, un proche du pouvoir saoudien devenu critique par la suite, dans le consulat du royaume à Istanbul (Turquie), avait temporairement fait du prince – surnommé « MBS » – un paria en Occident.
Ses avocats avaient précédement argué que M. ben Salmane « siège au sommet du gouvernement d’Arabie saoudite » et qu’il doit donc bénéficier de l’immunité que les tribunaux américains accordent aux chefs d’Etat et autres dirigeants étrangers de haut rang.
Le gouvernement américain avait jusqu’à jeudi pour donner son opinion sur le sujet, s’il choisissait d’en donner une. Sa recommandation n’est pas contraignante pour le tribunal.
« Les Etats-Unis informent respectueusement la cour que le défendeur Mohammed ben Salmane, Premier ministre du royaume d’Arabie saoudite, est le chef de gouvernement en exercice et, par conséquent, est immunisé contre ce procès », indique le document remis au tribunal d’instance de Columbia (sud-est des Etats-Unis) par l’administration du président Joe Biden.
Le texte ajoute néanmoins que « le département d’Etat (ministère américain des Affaires étrangères) ne tire aucun avis de la présente procédure et répète sa condamnation sans équivoque du meurtre odieux de Jamal Khashoggi ».
Cette recommandation a déclenché la colère parmi les partisans de l’action de Mme Gengiz, dont des membres de Democracy for the Arab World Now (DAWN), une ONG basée aux Etats-Unis et fondée par M. Khashoggi.
« L’administration Biden a dépassé bornes en recommandant l’immunité pour MBS et lui évitant de rendre des comptes », a estimé Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de DAWN, rapporte l’AFP.
« Maintenant que Biden a déclaré qu’il avait l’immunité totale, nous pouvons nous attendre à ce que les attaques de MBS contre les gens de notre pays empirent encore ».
Profonde trahison
Agnès Callamard, secrétaire générale de l’ONG Amnesty International, a qualifié la recommandation du gouvernement américain de « profonde trahison ».
Le prince, qui est le dirigeant de facto du royaume depuis plusieurs années, a été vice-Premier ministre et ministre de la Défense sous le règne de son père, le roi Salmane.
Après une période relative de mise à l’écart après le meurtre du journaliste, il est revenu sur la scène internationale cette année, notamment grâce au président américain, qui s’est rendu en Arabie saoudite en juillet alors qu’il avait précédemment juré de faire du royaume un « paria ».
Un permis de tuer
La recommandation du gouvernement américain déposée jeudi a donné au dirigeant saoudien « un permis de tuer », a dénoncé Khalid al-Jabri, le fils de Saad al-Jabri, un ex-espion saoudien qui a accusé le prince de lui avoir envoyé une équipe de tueurs au Canada.
« Après avoir rompu son serment de punir MBS pour l’assassinat de Khashoggi, l’administration Biden non seulement le protège de toute poursuite devant les tribunaux américains, mais le rend plus dangereux que jamais avec un permis de tuer ses opposants sans conséquence », a-t-il dit.
L’an dernier, M. Biden avait rendu public un rapport des services de renseignement indiquant que le prince avait approuvé l’opération ayant entraîné la mort du journaliste. Les autorités saoudiennes démentent.
Dans la procédure civile à Columbia initiée par Mme Cengiz et DAWN, les plaignants affirment que MBS et plus de 20 co-défendeurs, « agissant en conspirateurs et avec préméditation, ont enlevé, ligoté, drogué, torturé et assassiné » Jamal Khashoggi, un chroniqueur du quotidien américain Washington Post.
Ils demandent des compensations financières et cherchent à démontrer que le meurtre a été ordonné par « le sommet de la hiérarchie du pouvoir saoudien ».