Paris a vivement réagi samedi après l’envoi d’une lettre de l’ambassade des Etats-Unis à plusieurs entreprises françaises demandant si elles avaient des programmes internes de lutte contre les discriminations, qualifiant cette initiative d’ « ingérences inacceptables » et prévenant que la France et l’Europe défendront « leurs valeurs ».
Plusieurs sociétés françaises ont reçu une lettre et un questionnaire leur demandant si elles mettaient en place des programmes internes de lutte contre les discriminations.
La missive les prévient que, le cas échéant, cela pourrait les empêcher de travailler avec l’Etat américain, ce alors que la France interdit la plupart des formes de discrimination positive.
L’information, révélée vendredi par Le Figaro et les Echos, s’inscrit dans un contexte de fortes tensions commerciales alimentées par Donald Trump, qui agite tous azimuts des menaces de droits de douane.
« Les ingérences américaines dans les politiques d’inclusion des entreprises françaises, comme les menaces de droits de douanes injustifiés, sont inacceptables », a rétorqué le ministère français du Commerce extérieur, dans un message transmis à l’AFP.
Les destinataires du courrier ont été informés du fait que « le décret 14173 », pris par Donald Trump dès le premier jour de son retour à la Maison Blanche pour mettre fin aux programmes promouvant l’égalité des chances au sein de l’Etat fédéral, « s’applique également obligatoirement à tous les fournisseurs et prestataires du gouvernement américain », comme le montre le document révélé par Le Figaro.
« Inadmissible »
Une initiative « inadmissible », a réagi samedi auprès de l’AFP le président de l’organisation patronale CPME, Amir Reza-Tofighi, qui dénonce une « atteinte à la souveraineté » et appelle les responsables politiques et économiques à « faire front commun ».
De son côté, le syndicat CGT demande au gouvernement « d’appeler les entreprises à ne pas engager de politique dommageable pour l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre le racisme », a déclaré à l’AFP Gérard Ré, son secrétaire confédéral.
Au ministère français de l’Economie, l’entourage du ministre Eric Lombard assurait vendredi soir que « cette pratique reflète les valeurs du nouveau gouvernement américain ». « Ce ne sont pas les nôtres », ajoutait Bercy dans sa réaction transmise à la presse, précisant que « le ministre le rappellera à ses homologues au sein du gouvernement américain ».
Samedi, les contours de la lettre restaient flous.
Le cabinet du ministre de l’Economie, contacté par l’AFP, estime que le nombre d’entreprises ayant reçu la lettre serait de « quelques dizaines », tout en précisant que le décompte est toujours en cours.
Les grands groupes contactés par l’AFP qui ont accepté de s’exprimer ont déclaré de ne pas avoir reçu la lettre, dont le format est inhabituel.
« Ce n’est pas un courrier qui est parti sur le papier à en-tête de l’ambassade, ni du consulat ou d’une quelconque agence américaine », note auprès de l’AFP Christopher Mesnooh, avocat d’affaires américain du cabinet Fieldfisher basé à Paris, se basant sur la lettre publiée dans le Figaro.
« Si c’est bien sous cette forme-là que les entreprises l’ont reçue, ce n’est pas une communication officielle et encore moins une communication diplomatique », selon l’avocat.
« Ce n’est pas parce que ça traduit l’attitude de cette administration que c’est l’administration au sens propre du terme qui a autorisé son envoi à des entreprises », indique prudemment Christopher Mesnooh.
Sollicitée par l’AFP, l’ambassade des Etats-Unis à Paris n’a pas répondu dans l’immédiat.
L’administration américaine peut-elle exiger des entreprises françaises qu’elles se conforment à sa loi ?
« Non », affirme Christopher Mesnooh. « Les entreprises françaises ne vont pas être obligées maintenant d’appliquer le droit social ou la loi fédérale contre les discriminations positives », poursuit l’avocat.
En outre, pour les entreprises françaises, le problème ne se pose pas dans les termes posés par la lettre car en France, la discrimination positive fondée explicitement sur l’origine, la religion ou l’ethnie « n’est pas autorisée », rappelle l’avocat d’affaires.
Pour autant, sur le volet de l’égalité hommes/femmes, depuis 2021, pour les entreprises de plus de 1.000 salariés, la loi française impose des quotas de 30% de femmes cadres-dirigeantes et de 30% de femmes membres des instances dirigeantes en 2027, puis d’atteindre des quotas de 40% en 2030.
Les entreprises qui choisiraient de se conformer aux exigences stipulées dans la lettre se mettraient donc dans l’illégalité du point de vue du droit français.