Jamais peut-être la presse d’un pays ne s’est-elle autant concentrée sur les affaires internes d’un autre pays que la presse saoudienne, qui, depuis des mois, ne se préoccupe que du Liban.
Quiconque suit le discours des médias saoudiens ces derniers mois en conclura presque que le « Royaume de la bonté » n’a aucun problème et que le Liban est le principal ennemi menaçant sa stabilité.
Des articles d’opinion publiés dans les journaux saoudiens depuis le printemps dernier révèlent l’ampleur du partenariat saoudien avec les Américains dans leur programme visant à faire pression sur le Liban pour le priver de ce qui lui reste de souveraineté.
Certains pourraient trouver étrange de mettre en lumière un sujet que beaucoup considèrent comme marginal, sachant que le public libanais n’est pas forcément un lecteur quotidien de la presse saoudienne, ni des articles d’opinion et des chroniques de certains auteurs, pour la plupart non saoudiens.
Cependant, puisque la presse libanaise financée par l’Arabie saoudite fait sa part, conformément aux directives de l’envoyé saoudien au Liban, Yazid ben Farhane Al-Saoud, il est utile d’informer le public libanais de l’ampleur de l’implication de Riyad dans le plan américain visant à attaquer les armes de la Résistance au Liban, et de l’importance que les décideurs saoudiens accordent à une question censée être une affaire purement interne au Liban.
Cela permet de comprendre la performance de la majorité des médias libanais financés par l’Arabie saoudite.
Si le discours officiel libanais appelle les Libanais à s’abstenir de blesser leurs « frères » arabes, comme l’indique le communiqué publié par le Bureau d’information de la Présidence de la République le 11 mai, qui exhorte chacun à « ne pas attaquer, par la calomnie ou l’imposture, toute partie étrangère amie du Liban, en particulier nos frères arabes », il devient impératif que le public libanais soit informé de l’ampleur de l’agression et des mensonges pratiqués contre le Liban par la presse d’un pays arabe « frère » depuis des mois, sans qu’aucun responsable libanais n’ose s’y opposer.
Entre le 9 avril et le 11 août 2025, 560 articles d’opinion ont été collectés dans cinq journaux saoudiens : Asharq Al-Awsat, Okaz, Al-Riyadh, Al-Jazirah, Al-Madina et Al-Watan.
Leur contenu a été analysé quantitativement et qualitativement grâce à l’intelligence artificielle.
230 articles sur le Liban et le Hezbollah, en 5 mois
Il en ressort qu’en cinq mois, plus de 230 articles ont porté directement sur le Liban et le Hezbollah, sur le total des articles couvrant les questions régionales et mondiales.
Le Liban se classe ainsi largement en tête, devant des sujets tout aussi importants pour le régime saoudien, tels que les dossiers iranien et yéménite, ou encore la guerre contre Gaza.
Le fait que les journaux saoudiens consacrent autant d’articles à un petit pays comme le Liban soulève une question simple : s’agit-il de médias exprimant une « préoccupation fraternelle » ou simplement les opinions personnelles de leurs auteurs, comme on le prétend, ou d’une tentative de dicter une volonté politique au peuple libanais par le biais d’un ensemble d’idées reflétant les orientations de la Cour royale ?
Car, comme chacun sait, tout ce qui est écrit dans le « Royaume de la Bonté » est soumis à la censure à l’avance, et il n’existe aucune culture de tolérance envers ceux qui écrivent à l’encontre des décisions des « gouvernants ».
L’analyse du discours de ces articles montre clairement que le langage utilisé n’était ni un conseil ni même une forme de solidarité, mais plutôt un impératif et une orientation.
Des expressions ont été répétées, soulignant la « nécessité » pour l’État libanais d’une « action décisive », d’un « traitement radical » et d’un « désarmement », et non d’un « retrait » des armes du Hezbollah.
Les auteurs ont également eu recours à des descriptions dévalorisantes de l’entité libanaise, la présentant soit comme un État impuissant, soit comme un « otage » du Hezbollah.
À l’inverse, l’Arabie saoudite a été présentée comme le sauveur ou l’autorité détentrice du salut.
Ce diktat contredit totalement les prétentions de « préoccupation fraternelle » ayant retenu en otage le Premier ministre Saad Hariri le 4 novembre 2017.
Il révèle que le Royaume traite le Liban non pas comme un pays arabe indépendant, mais plutôt comme un appendice devant être soumis à un processus de « réforme », selon les critères saoudiens.
Pourcentage d’articles sur le Liban
Le pourcentage d’articles traitant du Liban, du Hezbollah et de ses armes a atteint environ 41,3 % du total des articles couvrant diverses questions régionales.
En revanche, la question iranienne a été abordée à un taux bien inférieur (15,9 %), tout comme les dossiers de Gaza (11,6 %) et du Yémen (7,7 %).
Cette obsession indique que l’Arabie saoudite considère actuellement le Liban comme une occasion en or à ne pas manquer.
Elle utilise son influence politique et médiatique pour faire pression et menacer davantage le Hezbollah, afin d’atteindre un objectif qu’elle n’a pas réussi à atteindre depuis plus de dix ans.
Appel saoudien à une confrontation directe avec le Hezbollah
Il est à noter que le ton de ces articles n’a pas été constant au fil des mois.
Début avril, il se caractérisait par un discours descriptif et diagnostique, accusant principalement les armes du Hezbollah d’être responsables de l’effondrement économique.
Au fil des semaines, notamment en mai et juin, les appels à une réponse « décisive » de l’État libanais se sont multipliés, atteignant un pic en juillet et début août avec l’approbation par le gouvernement de Nawaf Salam, le 5 août, de la décision, demandée par l’Arabie saoudite, concernant le désarmement de la Résistance.
Entre le 1er et le 11 août, le discours des articles s’est transformé en un appel explicite à une confrontation directe avec le Hezbollah, allant jusqu’à accuser tous les Libanais de complicité en cas d’inaction.
Les thèmes les plus utilisés
Parmi les thèmes centraux identifiés lors de l’étude de ces articles figurent :
– La présentation du Hezbollah comme une arme illégitime menaçant l’existence de l’État
– L’appel à tenir l’armée libanaise responsable du désarmement du Hezbollah
– Insinuations selon lesquelles l’aide économique ne serait pas accordée tant que ce problème n’est pas résolu
– Liaison de tout projet de réforme au Liban à la rupture des liens avec l’Iran
– Insinuation selon laquelle le maintien du Liban dans le giron arabe sera conditionné à son adhésion à la vision saoudienne
Il convient de noter que la proposition d’inciter l’armée libanaise à un affrontement avec la Résistance concorde avec ce qui a fuité il y a quelques jours : lorsque l’envoyé saoudien (ben Farhane) a été interrogé sur les conséquences de ses pressions sur le Liban, qui pourraient le plonger dans une guerre civile, sa réponse a été à plusieurs reprises : « Qu’il en soit ainsi ! ».
Traduit à partir du quotidien libanais Al-Akhbar