Il semble que le Royaume d’Arabie saoudite soit désormais convaincu qu’il ne gagnera pas militairement la guerre au Yémen et cherche une solution politique lui permettant de sortir de ce bourbier coûteux au niveau matériel et humain. L’image du Royaume dans le monde a été bien écornée par la situation humanitaire au Yémen et les pressions humanitaires se multiplient avec l’augmentation du nombre de victimes.
Le quotidien britannique Financial Times a rapporté dans son numéro de vendredi (23 Mars) les propos d’un officiel saoudien déclarant que la guerre avait coûté 120 milliards de dollars durant ces trois dernières années. Beaucoup de gens informés pensent qu’il ne s’agit que d’un chiffre approximatif et que les pertes matérielles sont bien plus élevées car ce chiffre n’englobe pas les dédommagements que pourraient verser les Saoudiens aux victimes yéménites, avec plus de 10 000 morts et 30 000 blessés selon les Nations-Unies, sans oublier la destruction de la majeure partie des infrastructures par les bombardements.
Le communiqué du Conseil de sécurité et demandant à la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite de lever immédiatement le blocus de tous les ports du Yémen et d’ouvrir l’aéroport de Sanaa à l’acheminement des aides humanitaires est peut-être un message d’avertissement adressé au Royaume disant que la situation ne doit pas durer. Il faut dire que les souffrances des Yéménites ont atteint un niveau insupportable et plus de 22 millions d’entre eux souffrent de la faim.
Les informations provenant de Mascate parlent de négociations secrètes entre deux délégations : l’une représentant le mouvement houthi « Ansarullah » et dirigée par M. Mohammed Abdessalam, l’autre désignée personnellement par le prince Mohammed Ben Salman. Ces négociations montrent que les deux parties souhaitent parvenir à une trêve, suivie de négociations aboutissant à un accord de paix.
Pourquoi ce « renversement » dans la position saoudienne ?
La rencontre représente en elle-même un renversement dans la position saoudienne : le Royaume répétait jusqu’à présent qu’il refusait de négocier avec les Houthis sous prétexte qu’ils étaient soutenus par l’Iran. Il n’avait pas accueilli favorablement la médiation omanaise en jugeant que le Sultanat n’était pas neutre, avec la fuite d’informations parlant de livraison d’armes aux Houthis à travers le territoire omanais dans les journaux saoudiens. Il préférait donc négocier au Koweït, sous l’égide de l’ancien envoyé des Nations-Unies, Ismail Ould Cheikh.
Pourquoi le Président « légitime » et son gouvernement sont exclus de ces négociations ?
Ces négociations secrètes confirmées par l’agence Reuters se déroulent sans le Président « légitime » Abd Rabbo Mansour Hadi et son gouvernement. Hadi n’est même pas au courant de leur tenue et des informations font état non seulement de sa mise à l’écart mais aussi de sa mise sous résidence surveillée et de son impossibilité de retourner au Yémen, notamment à Aden, capitale temporaire.
Il est difficile de savoir si ces négociations secrètes vont réussir mais l’implication des dirigeants saoudiens signifie la reconnaissance du mouvement houthi « Ansarullah » comme un groupe politique et une force militaire incontournable dans la guerre au Yémen et la paix.
A travers ces négociations, l’Arabie saoudite veut d’abord stopper les missiles lancés sur ses frontières sud car les pertes humaines dans les rangs de son armée augmentent chaque jour. Il est très probable que les forces houthies soient parvenues à pénétrer en territoire saoudien et aient pris le contrôle de dizaines de villages, entraînant ainsi les forces saoudiennes dans une guerre d’usure qu’ils dominent.
Comment les Houthis ont été appâtés ?
De leur côté, les Houthis veulent être reconnus comme une force légitime majeure au Yémen et des interlocuteurs indispensables pour la paix. Il semble bien que ces négociations secrètes à Mascate constituent une étape importante vers cette reconnaissance, après l’assassinat du Président Ali Abdallah Saleh et la désintégration du parti du Congrès, qui lui disputait le pouvoir.
À ar-Rai Al-Yaoum, nous ne voulons pas nous précipiter et trancher quant à la réussite de ces négociations, d’autant que des négociations similaires ont eu lieu à Riyad et Dharhan Al Janub il y a deux ans sans aboutir. Nous pouvons toutefois dire avec confiance que les probabilités de paix augmentent grâce à la nouvelle position saoudienne. Les dirigeants saoudiens sont désormais convaincus qu’ils doivent faire preuve de beaucoup de souplesse s’ils veulent sortir du piège yéménite, qui leur coûte cher sur les plans matériel et humain. Le dépôt de deux milliards de dollars qu’ils ont effectué hier soir à la Banque centrale du Yémen est d’ailleurs un indicateur à ce sujet.
Source : Ar-Raï al-Yaoum– Samedi 17 mars 2018
Traduction : actuarabe