Le président élu défend un programme fiscal empli de contradictions et de promesses sur le protectionnisme ou l’immigration, en opposition avec la doxa républicaine.
« Nous allons doubler notre croissance et avoir l’économie la plus forte du monde. » Lors de son discours de victoire, prononcé mercredi 9 novembre au petit matin, Donald Trump, une nouvelle fois, n’a pas fait dans la demi-mesure pour promettre monts et merveilles à ses supporteurs. C’est en effet avec une certaine constance qu’il affirme depuis des mois pouvoir créer 25 millions d’emplois sur dix ans et porter le rythme de la croissance du PIB américain de 3,5 % à 4 %, en moyenne, contre 2 % actuellement. « Mon programme économique rejette le cynisme qui consiste à dire que notre force de travail va continuer à décliner, que nos emplois vont continuer à partir [à l’étranger] et que notre économie ne croîtra jamais plus comme avant », avait-il déjà déclaré, le 15 septembre, devant l’Economic Club de New York.
A l’époque, la plupart des observateurs avaient porté un regard distrait sur ce volontarisme, qui apparaissait comme un énième effet de manches. Mais, au lendemain de son élection, les interrogations sur la crédibilité de son programme prennent une tout autre ampleur. Or celui-ci n’est pas à une contradiction près.
La principale réside dans le fait de vouloir simultanément réduire les recettes de l’Etat, en baissant massivement les impôts de 4 400 milliards à 5 900 milliards de dollars (de 4 020 milliards à 5 390 milliards d’euros), tout en augmentant les dépenses, notamment au travers d’un gigantesque programme d’investissement dans les infrastructures, lui-même estimé à plus de 1 000 milliards de dollars.
Divergences
Sur le plan fiscal, Trump veut ainsi faire passer la tranche maximale de l’impôt sur le revenu de 39,6 % à 33 %, et réduire l’impôt sur les sociétés à 15 %, contre 35 % actuellement. Il s’agit également d’inciter les grandes entreprises américaines à rapatrier leurs bénéfices logés à l’étranger. Pour ce faire, Trump propose d’abaisser la taxation à 10 %, ce qui permettrait de faire rentrer plus de 200 milliards dans les caisses de l’Etat.
Mais, au total, cette réforme amputerait les recettes du budget fédéral de 6 200 milliards de dollars sur la prochaine décennie, a calculé le Tax Policy Center, un centre d’analyse sur les politiques fiscales. « Avec le coût des intérêts, la dette publique s’envolerait de 7 200 milliards sur les dix prochaines années – soit un bond de 36 % – et de 21 000 milliards d’ici à 2036 », indique-t-il. Au passage, notons que les mesures fiscales de Trump, qui s’est fait élire sur la promesse de protéger les plus fragiles, doperaient les revenus des 1 % les plus riches de 13,5 %, contre seulement 4,1 % pour le reste de la population.
« La plupart de ces baisses d’impôts ne sont pas financées et, donc, elles ne passeront pas l’obstacle du Congrès », estime Gregory Daco, économiste chez Oxford Economics. Or, l’étroitesse de la majorité républicaine au Sénat va contraindre le futur président à passer des compromis avec les démocrates. Quant au Parti républicain, également majoritaire à la Chambre, il a lui-même ses propres divergences avec Trump.
« On se trouve dans un cas de figure inédit, avec l’un des présidents américains les plus inexpérimentés sur le plan politique de toute l’histoire. Il va falloir que, tôt ou tard, il revienne sur terre en réalisant que gouverner, c’est négocier, ce qui devrait l’amener à revoir à la baisse ses ambitions », insiste Daco.
Certes, un consensus bipartisan sur la nécessité d’investir dans les infrastructures fait son chemin. Mais les montants annoncés par le milliardaire new-yorkais sont clairement hors d’atteinte de l’épure budgétaire prônée par la majorité parlementaire. Même chose sur le protectionnisme ou sur l’immigration, deux thèmes sur lesquels la doxa républicaine est en opposition avec le programme de Trump. Si le Grand Old Party s’est opposé à la politique de régularisation des sans-papiers proposée par Barack Obama, il n’est pas pour autant favorable aux propositions anti-immigration agressives agitées par le magnat pendant la campagne.
Ainsi, l’expulsion de 11,5 millions d’immigrés clandestins sur la durée du mandat apparaît peu réaliste. A la fois en termes de rythme, de coût pour le budget, mais aussi sur le plan macroéconomique. Car, qu’on le veuille ou non, ce serait autant de consommateurs en moins. Avec un certain cynisme, le Parti républicain sait également que l’économie américaine serait handicapée si elle devait se priver du jour au lendemain de cette main-d’œuvre bon marché. D’autant que les Américains que Trump a promis de prendre sous son aile protectrice ne sont pas forcément prêts à les remplacer au pied levé.
Scepticisme
Le sujet de la dette semble également problématique. Au cours de la campagne électorale, le magnat de l’immobilier n’a pas hésité à se proclamer « roi de la dette », promettant d’appliquer au niveau du pays les recettes qu’il a utilisées avec succès pour ses propres affaires. Toutefois, le passage à la pratique s’annonce plus compliqué, comme en témoignent ses nombreux changements de pied sur le sujet. En mars, il affirmait que la croissance économique suffirait seule à réduire la dette en l’espace de huit ans.
Mais, face au scepticisme des experts, il a ensuite lancé l’idée d’une restructuration. « La difficulté, c’est qu’on ne peut pas régler le problème de la dette d’un Etat comme celle d’une entreprise, qu’on relance après l’avoir mise en faillite. On parle ici de la première puissance économique mondiale et du dollar, monnaie de réserve internationale. Imaginer que les Etats-Unis ne vont pas payer leur dette est insensé », souligne Daco.
Enfin, l’idée de compenser la réduction des rentrées fiscales en coupant dans les budgets de l’éducation, des transports et de l’intérieur, comme l’a promis Trump, devra faire l’objet d’habiles négociations. Même logique dans la santé. S’il paraît acquis que la loi sur l’assurance-santé mise en place par Obama a vécu, qu’en sera-t-il de la volonté de Trump de ne pas toucher au système de protection sociale Medicare (couverture santé pour les plus âgés) et Medicaid (celle destinée aux plus nécessiteux), qui sont au contraire dans le viseur des républicains ?
Le futur président, après avoir jonglé avec les promesses au cours de la campagne, va devoir désormais démontrer sa capacité à composer avec le Congrès. L’épreuve des urnes est une chose, celle de l’exercice du pouvoir en est une autre.
Le Monde Economique
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