Le 5 juin, le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping ont parrainé un document commun sur le renforcement de la stabilité stratégique mondiale à l’ère moderne. Dans ce document, ils ont identifié divers facteurs qui minent la stabilité et la sécurité mondiale.
Les deux dirigeants attachent une importance toute particulière à la maîtrise du recours à l’arme nucléaire montrée par tous les États disposant de ces moyens de destruction de masse (ADM). Ils insistent aussi sur le fait que toutes les puissances nucléaires devraient renoncer à la mentalité de guerre froide et aux stratégies à somme nulle [perdant-perdant], réduire le rôle de ces armes dans leurs politiques de sécurité nationale et « réduire la menace de guerre nucléaire. »
Mais pourquoi les dirigeants russe et chinois se focalisent-ils donc sur la nécessité de réduire « la menace de guerre nucléaire » ?
La réponse est que cette menace s’est en fait aggravée considérablement ces quinze dernières années. Apparue sous la présidence de Barack Obama, elle est devenue encore plus visible sous l’administration du président Donald Trump, depuis janvier 2017.
Ainsi, la comparaison des doctrines russe et étasunienne justifiant le recours à l’armement nucléaire, montre la que la posture de Washington est plutôt hasardeuse.
Alors que la stratégie nucléaire approuvée en 2010 par Barack Obama, énumérait six raisons, la stratégie approuvée en 2018 par Donald Trump, en comptait 14. Dans la doctrine militaire russe actuelle, la section relative à l’éventuel recours à l’arme nucléaire ne comporte que deux conditions : En réaction à l’usage d’ADM contre la Russie et en réaction à l’usage d’armes conventionnelles contre la Russie, mais seulement en cas de menace existentielle. Ces conditions sont restées pratiquement inchangées au cours du temps.
Pour les États-Unis, comme on le voit, il y a plus du double de conditions (14) de recours à l’arme nucléaire actuellement que sous la présidence de Barack Obama, et elles sont sept fois plus nombreuses que celles des Russes.
De ce fait, dire que les États-Unis ont abaissé leur seuil nucléaire, signifie qu’ils ont multiplié considérablement les possibilités de recours à leur armement nucléaire.
Mais ce n’est pas tout. Leur doctrine nucléaire présente quelques particularités supplémentaires.
Du fait de la formulation ambiguë, les conditions se prêtant à interprétation relativement libre et arbitraire, la doctrine de Donald Trump présente un plus grand nombre de possibilités de recours à l’arme nucléaire. Ainsi, au total, huit des quatorze conditions peuvent être interprétées librement. Les États-Unis prévoient de déclencher l’arme nucléaire en cas de ‘surprises technologiques’ ou de ‘défis potentiels’, mais leur doctrine de 2018 reste significativement muette sur ce qu’elle entend précisément par ‘surprises technologiques’ et ‘défis potentiels’.
Autre particularité de cette doctrine, elle est dite de « dissuasion nucléaire offensive inconditionnelle » et elle comporte un large éventail de directives stratégiques diverses. Parmi celles-ci, il y a la « dissuasion nucléaire étendue, » définie comme « un parapluie nucléaire fiable étendu au-dessus de plus de trente alliés et partenaires, » ainsi que la notion d’« aggraver pour apaiser, » c’est-à-dire le recours à l’armement nucléaire pour apaiser les conflits conventionnels.
Cette doctrine subvient aux besoins des accords étasuniens sur le partage des responsabilités nucléaires (accords sur les missions nucléaires communes), à savoir les accords signés par Washington sur le déploiement des armes nucléaires et les exercices d’entraînement nucléaire avec les États membres de l’OTAN, y compris ceux qui ne sont pas nucléarisés. Les éléments importants de la doctrine étasunienne incluent le déploiement de leurs armes nucléaires tactiques en Europe et dans la partie asiatique de la Turquie, ainsi que la mission de police aérienne de l’OTAN, 24 heures sur 24, au-dessus des trois États baltes, avec des avions à capacité nucléaire.
Parmi les autres caractéristiques de l’abaissement du seuil nucléaire des États-Unis, il y a l’évolution des manœuvres militaires dans les pays de l’OTAN. Alors que les manœuvres simulant la guerre nucléaire et conventionnelle étaient auparavant effectuées séparément, elles mêlent désormais l’armement classique et nucléaire. Il y a aussi le fait que tout président des États-Unis a le pouvoir exclusif de lancer en premier une frappe nucléaire « préventive et de préemption, » c’est-à-dire qu’il a le loisir de recourir à tout type d’arme nucléaire stratégique ou tactique, à son gré, sans devoir consulter le Congrès ni déclarer la guerre à l’État agressé.
Le seuil nucléaire des États-Unis est aussi abaissé par le fait que Washington adhère toujours au concept extrêmement hasardeux de « tir en cas d’alerte. » C’est-à-dire l’usage d’armes nucléaires sur détection de lancement par un autre État, d’un missile balistique intercontinental ou depuis un sous-marin, soit avant la frappe effective. Or ce concept fait risquer le recours accidentel et involontaire à l’arme nucléaire, suite à l’erreur d’identification de missiles à ogives conventionnelles lancés à l’extérieur des États-Unis et non dirigés sur eux.
Autre facteur abaissant leur seuil nucléaire, leur armée dispose d’ogives à faible rendement, soit d’une puissance de 5 kilotonnes de TNT ou moins, environ un tiers de celle qu’ils lâchèrent sur Hiroshima. Invoquant des raisons ‘humanitaires’ pour justifier cela, ils prétendent que les disséminations radioactives de ces bombes seraient bien moindre que celles des ogives à haut rendement. Tout cela semble passablement malintentionné.
Par Vladimir Kozin; Traduction Petrus Lombard
Sources: Oriental review; Réseau international