L’Irak est aux prises avec des émeutes. Sachant que les politiques et les activistes irakiens parlent depuis longtemps d’une « troisième force » provoquant des explosions et des tirs dans les zones de rassemblement des manifestants.
Mi-novembre, le ministre irakien de la Défense Najah al-Shammari a déclaré à la chaîne arabophone France 24 qu’une « troisième partie » était derrière les tirs sur les manifestants irakiens.
« Ce ne sont pas les forces nationales de sécurité irakiennes qui tuent des manifestants », a-t-il déclaré. Et d’ajouter: « Il existe une troisième partie qui tire sur les manifestants afin de provoquer leur confrontation avec les forces de sécurité ». Tout cela est fait dans le but de déstabiliser l’Irak, affirme le ministre.
Rappelons que les manifestations commençaient pacifiquement il y a deux mois. Les manifestants exigeaient l’amélioration des conditions de vie, la lutte contre le chômage et la corruption. Aux exigences socioéconomiques se sont rapidement ajoutées des exigences politiques – la démission du gouvernement. Les premiers tirs ont retenti depuis la foule de manifestants contre la police et l’armée. Les forces de l’ordre ont riposté avec des armes automatiques.
Mi-novembre, des explosions ont retenti dans les rangs des manifestants sur la place centrale Tahrir de Bagdad. La commission des droits de l’homme du parlement irakien a diffusé un communiqué spécial via l’agence de presse INA affirmant que les explosions sur la place Tahrir « prouvent la présence d’une partie qui cherche à déstabiliser la sécurité et à répandre le chaos à travers le pays ». Les députés ont appelé à la coopération entre les forces de sécurité irakiennes et les coordinateurs des manifestations afin d’empêcher « l’infiltration d’une troisième partie » qui a organisé les explosions.
Et récemment le leader de l’organisation chiite militarisée Asaib Ahl al-Haq (Ligue des gens de la Vérité) Qaïs al-Khazali, dans une interview à la télévision jordanienne, a directement accusé Washington et Tel Aviv d’être derrière les nombreux cas de meurtres de manifestants et les émeutes dans le pays. Qaïs al-Khazali a exigé une enquête pour découvrir qui a « facilité » la voie aux meurtriers et qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants.
Sur fond de crise politique qui perdure, la soudaine visite du vice-président américain Mike Pence en Irak est très révélatrice. Avec son épouse, ce dernier a d’abord visité la base américaine d’Aïn al-Assad dans la province occidentale d’Anbar, puis la base dans la capitale du Kurdistan irakien Erbil et a rencontré le président de cette autonomie kurde Nechirvan Barzani. Au nom du président américain Donald Trump Mike Pence a affirmé au leader kurde « les forts liens apparus dans le feu de la guerre entre les peuples des Etats-Unis et le peuple kurde dans cette région ». Depuis que les Américains ont de facto trahi les Kurdes en Syrie, ces propos paraissent très ambigus. Mais ils témoignent d’autant plus de l’aspiration de Washington à provoquer la désintégration de l’Irak.
A noter que le Kurdistan irakien, où les entreprises américaines, surtout pétrolières, sont très présentes, n’a pas été atteint par la vague des protestations, qui a frappé le centre et le Sud de l’Irak.
Sans compter le fait que Mike Pence s’est rendu en Irak en pleine crise politique qui a éclaté (quelle coïncidence!) immédiatement après que des députés irakiens et d’autres milieux politiques ont exigé le retrait des troupes américaines du territoire irakien.
Et les coïncidences ne s’arrêtent pas là. A Kirkouk, une région riche en pétrole revendiquée par les Kurdes, les bandes terroristes inachevées de Daech ont refait surface.
Il convient de rappeler qu’en 2003 les États-Unis ont envahi l’Irak, ont renversé Saddam Hussein, et tout cela a été fait uniquement « au nom de la liberté et de la démocratie ». 16 ans plus tard, ni l’une ni l’autre n’est observée en Irak.
Les analystes pointent une autre particularité des manifestations actuelles : elles sont laïques. Comme en témoigne l’exigence d’inscrire dans la Constitution des amendements annulant l’appartenance religieuse au sein des différentes branches du pouvoir. Certains parlent de renaissance nationale, voire de « nouveau nationalisme » de la place Tahrir, où a été installé un camp de tentes des manifestants. Cela n’aurait rien de particulier, les idées de renaissance nationale professées par l’ancien parti dirigeant Baas ne sont pas étrangères aux Irakiens.
Mais de temps en temps les médias écrivent que les États-Unis et l’Arabie saoudite entretiennent des contacts avec des représentants de Baas et projettent de faire revenir le parti interdit en Irak qui était dirigé par Saddam Hussein. Ainsi, en été 2018, l’agence iranienne Fars a rapporté qu’une délégation du parti dissous Baas était en négociations avec des représentants américains, notamment Jared Kushner, gendre et conseiller du président Trump, afin d’évoquer le retour du parti dans le processus politique de l’Irak sous un nouveau nom. Par conséquent, la laïcité des protestations actuelles pourrait être un coup bien calculé de la future « renaissance » du Baas. Car c’est sous sa gouvernance que l’Irak était l’avant-poste principal dans la confrontation entre le Moyen-Orient et l’Iran.
Alors quelle est cette « troisième force »? La conclusion s’invite d’elle-même – ce sont ceux qui souhaitent absolument la suppression de la présence iranienne et de l’influence iranienne en Irak pour éliminer un maillon important de l’axe bâti par Téhéran au Moyen-Orient depuis des années, un axe comprenant, hormis l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen.
Les forces politiques irakiennes liées à l’Iran se tiennent à l’écart des protestations en estimant qu’elles sont inspirées de l’extérieur. L’unique autorité indiscutable pour les Irakiens révoltés demeure le guide spirituel des chiites irakiens le grand ayatollah Ali al-Sistani. D’ailleurs, il a soutenu les manifestations pacifiques, d’une part, et de l’autre – il a appelé les autorités politiques du pays à adopter au plus vite une nouvelle loi sur les élections et à procéder aux réformes.
C’est alors que la « troisième force » deviendra effectivement «excédentaire » dans la structure politique irakienne.
Source : Observateur continental