C’est avec beaucoup de circonspection qu’il faut lire l’article du Yediot Ahronot qui est revenu sur l’assassinat de l’ex-chef de la force alQuds des gardiens de la révolution le général Qassem Soleimani. Se voulant révéler les dessous de l’attentat, du point de vue de ses commanditaires et ses auteurs, il rapporte des informations rendues publiques par les médias, leur ajoute d’autres qu’on peut facilement deviner sur les détails, et surtout livre ses interprétations porteuses de messages bien sournois.
Selon l’article signé par le journaliste expert dans les affaires sécuritaires, Ronan Bergman, les services de sécurité américains ont commencé à concocter l’assassinat de Soleimani depuis un an et demi. Si cela avait été depuis depuis deux ans, cela ne changera pas grand chose au fait.
De même, on aurait pu deviner qu’une opération de traque aurait été commanditée pour surveiller tous ses déplacements, comme il l’indique plus tard dans son article. Et on aurait pu très facilement deviner que la CIA est impliquée dans cet attentat. C’est cette agence qui réalise toujours ce genre d’opérations. Il ajoute toutefois un détail supplémentaire sur les parties américaines impliquées : « le haut commandement des opérations spéciales, et le commandement central des forces américaines ».
En surveillant Soleimani, ses traqueurs auraient donc découvert qu’il se rendait depuis Damas à Bagdad à bord d’un avion civil. Tous les médias en ont parlé lorsqu’ils ont rapporté les circonstances de l’assassinat .
On pouvait aussi imaginer « qu’il arrivait dans un convoi de voitures qui le transportaient jusqu’à l’avion sans passer par les circuits traditionnels de l’aéroport », étant une personnalité haut-placée du pouvoir iranien,« et qu’il montait à son bord après tous les passagers, et très peu de temps avant son décollage ». Comme le font la plupart des diplomates et confrères.
« Arrivé à Bagdad, depuis Damas, deux voitures du Hachd al-Chaabi l’attendaient pour le sortir vers un endroit sécurisé ». Là aussi, les médias en ont parlé. Bergman ajoute toutefois une précision qui se devait de relever une nouveauté: généralement, « une fois à l’extérieur de l’aéroport, un convoi de 7 à 8 voitures l’attendait et il devait choisir l’une d’entre elles pour le transporter et tromper ceux qui pouvaient le traquer ». Mais ce genre de manoeuvres est communément connu pour être utilisé par certaines personnalités sécuritaires ou militaires.
En guise d’explication des intentions des commanditaires de l’assassinat, il avance : « Les américains considéraient une attaque contre un convoi de voitures pleines d’hommes armés comme étant une opération très complexe. Ils ont exclu de l’attaquer depuis le ciel parce qu’il était difficile de savoir dans quelle voiture il pouvait se trouver ».
Et Bergman de lancer sa phrase de suspens : « cette difficulté est restée sans solution jusqu’au jour où Soleimani a commis son erreur fatal ». Selon lui, « deux semaines avant que Trump n’approuve l’opération de l’assassinat, il a décidé de renoncer à son grand convoi et l’a remplacé par deux à trois voitures devenant une cible facile pour son assassinat depuis les airs ».
Pour expliquer cette présumée erreur fatale de la part de Soleimani, Bergman a recours au discours du secrétaire général du Hezbollah Sayed Hassan, prononcé au lendemain de l’assassinat en question, lorsqu’il a rapporté les détails de l’une de ses dernières rencontres avec le général iranien. Il l’avait alors averti que les médias américains s’intéressaient beaucoup trop à lui, ce qui était le signe prémonitoire qu’ils voulaient le tuer.
« Si ceci s’avère juste, cela voudrait dire que Soleimani n’a pas voulu l’écouter. Nombreuses sont les agences d’espionnage et non seulement américaine et israélienne qui l’avaient désigné comme cible, mais Soleimani n’a pas voulu écouter les avertissements », a voulu expliquer le journaliste israélien. Ce qui peut paraitre très réel.
Se voulant approfondir l’explication de la position de Soleimani, il se lance dans ses fabrications. Il lui attribue des messages écrits qu’il aurait dépêchés au commandant de la région centrale de l’armée américaine le général David Petraeus et au chef de la CIA dans lesquelles « il se targuait que c’est lui qui dirige les choses et c’est lui qui est le vrai dirigeant de la région et c’est le moment où jamais ou le temps commence par finir ! ».
Il va sans dire que ces allégations font partie de la propagande mensongère propagée par Israël sur l’Iran et ses soi-disant velléités hégémonistes dans la région.
Force est de constater que Bergman s’abstient de rapporter la suite du discours de sayed Nasrallah sur cette question là précisément, lorsqu’il révèle lui avoir présenté ses félicitations pour avoir échappé à un attentat qui lui avait été préparé pendant la célébration de la cérémonie de Achoura dans sa ville natale Karman.
« Les américains étaient prêts à faire bombarder la Husseinuyeh dans laquelle il célébrait chaque année cette cérémonie, quitte à tuer des milliers de personnes, seulement pour avoir sa peau », avait alors commenté le numéro un du Hezbollah.
D’ailleurs, dans l’article, Bergman semble vouloir volontairement faire oublier cette information qui avait été révélée par un agent iranien recruté par les renseignements français, après son arrestation le mois d’octobre dernier . Il avance dans son article que les Américains ont décidé de tuer Soleimani en Syrie ou en Irak et non en Iran.
Bergman omet aussi de rapporter la réponse déçue de Soleimani aux félicitations de S. Nasrallah : « On a raté le martyre ». Plus que jamais, ce chef militaire iranien le plus connu sur la planète aspirait au martyre. Quiconque ayant lu et suivi les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé ces derniers mois ne peut qu’en être persuadé.
Ce que Bergman a interprété comme étant « une erreur fatale », peut très bien être une négligence préméditée de la part du général Soleimani.
Non que le journaliste israélien ne puisse comprendre cette vision-là, mais elle ne sert pas sa stratégie médiatique sournoise.
Dans son billet, il a voulu faire passer un autre message : les Américains ne voulaient pas tuer Soleimani alors qu’il est en compagnie d’un responsable du Hezbollah. Pour ne pas avoir à subir la riposte de ce dernier. Il prétend qu’il n’était pas prévu non plus de tuer le numéro deux du Hachd al-Chaabi, Abou Mahdi al-Mohandes . Serait-ce pour la même raison.
En outre, il tisse un lien malgré lui entre l’assassinat de Soleimani et l’affaire des secrets nucléaires iraniens qui ont soi-disant été exfiltrés. Pour peut-être donner à cette histoire farfelue une nouvelle crédibilité.
De même, il assure que le général iranien est responsable de l’attaque qui avait été réalisée contre les installations pétrolières saoudiennes Aramco, par Ansarullah, tout en admettant que c’est une autre force des gardiens de la révolution qui agit au Yémen. le message serait dans ce cas adressés au régime saoudien.
Une chose est sure dans ce genre d’articles sur des opérations de renseignements, beaucoup plus que les informations qui y sont véhiculées, il faut surtout lire les messages qui y sont disséminés. Révélant les intentions de leurs auteurs, c’est ce qu’il y a de plus vrai.