Finalement, Fatou Bensouda, la procureure générale de de la Cour Pénale Internationale a rendu publique la conclusion attendue depuis si longtemps « que tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l’ouverture d’une enquête (NDA : sur des crimes de guerre présumés dans les Territoires Palestiniens Occupés) sont remplis ».
La conclusion de Bensouda était en préparation depuis longtemps, bien trop longtemps. L’examen préliminaire sur les crimes de guerre israéliens a commencé il y a déjà cinq ans, en 2015. Depuis, de nombreux crimes de même facture ont été commis alors que la communauté internationale se complaisait dans son inertie morale. La déclaration de la CPI publiée le 20 décembre affirme «qu’il n’existe aucune raison sérieuse de penser que l’ouverture d’une enquête desservirait les intérêts de la justice ».
Mais les « intérêts de la justice » peuvent-ils correctement être servis avec un gouvernement des États-Unis d’Amérique qui brandit un énorme bâton fait de pressions diplomatiques, politiques et financières afin d’assurer qu’Israël se sorte totalement indemne de cette dernière épreuve judiciaire ?
On ne peut pas contester que Maichael Lynk , le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la situation des Droits de l’Homme dans les Territoires Palestiniens Occupés a parfaitement raison de dire qu’une enquête pénale officielle sur les crimes de guerre en Palestine constitue « un pas très important vers la recherche de reddition de comptes ».
Il a raison aussi de dire, dans son appréciation publiée dans le site web du Bureau Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme que « le fait de rendre des comptes tout au long des 52 années d’occupation a jusqu’à présent été de façon générale absente ».
Il faut reculer encore plus loin dans le temps la chronologie de l’impunité d’Israël pour ses crimes. Elle remonte à deux décennies avant l’occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza. Il le faut, car on ne peut pas se résoudre à simplement oublier le nettoyage ethnique en Palestine en 47-48, les nombreux massacres et assassinats qui furent commis durant ces années cruciales et les années qui suivirent, comme on ne peut pas accepter l’idée qu’Israël soit absoute pour les violations répétées du droit international et humanitaire entre 1948 et 1967, violations pour lesquelles elle n’a jamais eu à rendre de compte.
En tout état de cause, l’Autorité Palestinienne et tous les partis politiques en Palestine doivent saisir cette opportunité unique pour amener Israël à rendre des comptes.
Dès que la CPI rendit publique sa déclaration, des rapports apparurent dans la presse à propos d’un vent de panique en Israël. Le Times of Israël rapporta l’information qu’une réunion fut tenue peu après, avec pour objet de trouver la réponse adéquate, y compris celle d’interdire aux enquêteurs l’entrée en Israël.
Une pratique sinistre bien connue. En de multiples occasions dans le passé, Israël a soit interdit l’entrée aux enquêteurs et observateurs internationaux soit refusé de coopérer avec eux. Quand les Nations Unies décidèrent en 2002 de mener une enquête sur des crimes de guerre présumés dans le camp palestinien de Jénine, le gouvernement israélien réagit très vite et, malheureusement, réussit tout simplement à bloquer cette enquête.
Une pratique répétée tant de fois et qui souvent diabolise les individus auxquels a été confiée la mission d’examiner à la lumière du Droit international le comportement illégal d’Israël. Des juges respectés et des experts en droit international tels que Richard Goldstone, Richard Falk et John Dugard ont été violemment attaqués par les officiels israéliens et à leur suite, par le gouvernement et les médias US.
Israël a réussi à se sortir indemne de dizaines de résolutions des Nations Unies ainsi que d’innombrables rapports et accusations par les Nations Unies et ses agences à cause principalement du soutien aveugle et inconditionnel que lui apportent les USA, un soutien qui a protégé les criminels de guerre israéliens et leur a évité de répondre de leurs actes en Palestine.
« Il ne faut pas oublier », a déclaré l’auteur Norman Finkelstein dans une interview récente avec le journal en ligne Mondoweiss, que « Hillary Clinton (qui était alors secrétaire d’État) s’était vantée d’avoir personnellement tué le rapport Goldstone ».
Le rapport Goldstone fut publié au lendemain de l’Opération Cast Lead, la guerre menée par Israël contre Gaza en 2009. La campagne d’intimidation et de pression contre la personne même de Goldstone a forcé ce juge respectable à se rétracter sur ses accusations de crimes de guerre et de ciblage délibéré des civils commis par Israël.
Alors que Clinton apporta sa contribution en sabotant le Rapport Goldstone, le président Obama, d’après Finkelstein, « fit tout ce qu’il pouvait pour empêcher que le droit international s’applique contre l’implantation de colonies et autres crimes israéliens dans les territoires occupés ».
Plus grave encore, le 14 septembre 2016, Obama accorda au premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, accusé lui-même de multiples crimes de guerre contre les Palestiniens, la plus grosse aide us-américaine dans l’histoire moderne : 38 milliards de dollars sur dix ans.
Nous avons là à un schéma bien connu où les USA rendent possibles les crimes d’Israël tout en protégeant celui-ci de toute tentative de l’amener à rendre des comptes devant la communauté internationale. Toutes les administrations, qu’elles soient républicaines ou démocrates, ont obéi à ce sinistre schéma qui assure à Israël l’impunité pour ses crimes.
Un des cas les plus révélateurs s’est passé en 2001, quand 28 survivants palestiniens et libanais du massacre de Chatila tentèrent de poursuivre devant un tribunal belge le dirigeant israélien Ariel Sharon pour crimes de guerre. Des pressions américaines intolérables, appuyées par une campagne éhontée d’intimidation et exercées sur le gouvernement et le système judiciaire belges conduisirent tout simplement à l’annulation du procès.
Pire encore, afin d’interdire aux victimes d’Israël toute chance d’obtenir justice sur le territoire belge, la Belgique abrogea la loi ouvrant cette voie, à la grande satisfaction d’Israël et des États-Unis.
Cette fois-ci, l’envergure de l’enquête de la CPI hisse l’action judiciaire contre Israël à un niveau plus élevé que jamais. Un territoire jamais exploré auparavant, aussi bien pour Israël et les États-Unis que pour la Palestine, la CPI et la communauté internationale dans son ensemble. Il ne fait aucun doute qu’un effort concerté israélo-américain visant à contrecarrer, voire à tout simplement invalider l’enquête de la CPI, est déjà en cours.
Il est clair que les Palestiniens ne pourront pas obtenir justice face aux agressions israéliennes, rendues d’autant plus fréquentes et féroces par le soutien américain, si leurs efforts ne s’appuient pas sur une entente régionale et internationale pouvant aboutir à une décision claire et ferme et prise par toutes les parties concernées, d’amener Israël à payer une fois pour toutes pour son occupation militaire, ses lois racistes d’apartheid, son siège prolongé de Gaza et les nombreux massacres qu’il a commis.
Sans une telle volonté internationale, l’enquête de la CPI risque de devenir un autre lamentable cas de déni de justice, une chose que toute entité dans le monde aspirant à la justice – que ce soit un individu, une organisation ou un État – ne peut accepter.
Par Ramzy Baroud : journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Source : Chronique Palestine