Pris dans la tourmente du Covid-19, l’Arabie saoudite a publiquement présenté un cessez-le-feu dans sa guerre contre les forces yéménites, alliés de l’Iran. Capitulation ou trêve en trompe-l’œil?
Les Yéménites vont-ils connaître un peu de répit dans cette guerre qui a causé des dizaines de milliers de morts? Sous prétexte de lutte contre la pandémie de Covid-19, Riyad a déclaré unilatéralement, sans négociations préalables avec la partie adverse, un cessez-le-feu de deux semaines dans la guerre qui les oppose à l’armée yéménite et au forces d’Ansarullah).
Quant aux yéménites, ils n’ont absolument pas consenti à cet arrêt des hostilités. Au contraire, les représentants des forces yéménites ont confirmé publiquement que les combats continueraient tant que Riyad n’aura pas accédé à leurs demandes.
«Tant que le siège n’aura pas été levé, nous avons tous les droits d’utiliser nos systèmes de missiles, nos défenses aériennes et maritimes, y compris les drones. Nous continuerons de cibler leurs installations militaires et leurs sites industriels. Ce n’est rien d’autre que la continuation de la guerre. La coalition menée par l’Arabie saoudite ne fait que manipuler des mots», a expliqué l’un des porte-parole d’Ansarullah à la chaîne Al-Jazeera.
Les forces yéménites ont pour leur part présenté un plan de paix un jour avant celui proposé par l’Arabie saoudite, qui relève plus d’une capitulation saoudienne qu’autre chose.
Document que Riyad ne peut donc pas se permettre de signer. Ces derniers ont donc sorti une parade diplomatique qui pourrait leur donner un temps précieux, explique au micro de Sputnik Fayçal Jalloul, chercheur à l’académie géopolitique de Paris et spécialiste du Yémen:
«Ce cessez-le-feu ne correspond pas à une capitulation. En implantant ce cessez-le-feu, Riyad se donne du temps pour traiter chez elle l’épidémie grandissante. De plus, les États-Unis, le plus important soutien saoudien, sont empêtrés dans cette même crise et ne peuvent apporter le même niveau de soutien qu’auparavant. Cela pousse l’Arabie saoudite à temporairement suspendre ses opérations au Yémen.»
Un nouveau jeu
Un membre du Conseil politique suprême du Yémen, Sultan al-Sameï, a de son côté exigé un cessez-le-feu complet et exhaustif sur tous les fronts.
« Nous ne sommes pas pour la guerre et l’arrêt des hostilités pendant deux semaines. C’est un nouveau jeu et nous ne savons pas à quoi ils assisteront après ces deux semaines, mais nous sommes prêts pour tout ce qui se prépare », a-t-il martelé, rapporte PressTV.
Il a souligné que l’annonce de l’arrêt de la guerre pour seulement deux semaines signifie qu’il n’y a aucune intention sérieuse d’arrêter l’agression ou que les Américains ne leur ont pas ordonné d’arrêter la guerre de façon permanente.
Le gouvernement de Sanaa a pour sa part mis l’accent jeudi soir sur la levée du blocus maritime, terrestre et aérien imposé par l’Arabie contre le Yémen.
« Rien ne nous garantit que l’Arabie saoudite cessera ses attaques contre le Yémen. Il est probable que le régime de Riyad abuse de l’affaire de la pandémie pour réorganiser ses rangs et compenser ses pertes », précise le communiqué du gouvernement yéménite.
La coalition saoudienne a lancé des frappes aériennes et violé le cessez-le-feu dans diverses régions du Yémen simultanément à l’appel lancé par Riyad à cesser les hostilités.
Depuis un peu plus de cinq ans d’engagement, Riyad et ses alliés ne sont pas parvenus à venir à bout des forces yéménites, accusées d’être équipées et entraînés en grande partie par l’Iran.
À ce jour, les forces yéménites contrôlent toujours la capitale, Sanaa, certains grands centres urbains et la plupart des régions les plus peuplées. Cela pousse certains observateurs à considérer ce cessez-le-feu, sinon comme une capitulation, au moins comme un aveu de faiblesse de Riyad.
Le coût de cette guerre était tout de même très important pour le royaume saoudien, qui a investi à coups de milliards de dollars dans du matériel militaire qu’il n’avait pas l’expérience d’utiliser. Riyad a donc profité de l’appel lancé le 25 mars par Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies (Onu), à suspendre les hostilités, au moins durant le temps de la pandémie de Covid-19.
Premier cas de coronavirus officialisé au Yémen
Une perche qui tombe à pic pour les dirigeants saoudiens, qui ne peuvent temporairement pas rester empêtrés dans les sables mouvants yéménites.
D’autant que, comme le rapporte le New York Times, 150 membres de la famille royale auraient contracté le Covid-19. Un problème majeur, car les postes clés du pays sont occupés par des Saoud. Néanmoins, l’Arabie saoudite n’a pas totalement renoncé à ses objectifs yéménites. Comme l’explique Fayçal Jalloul, le Yémen est de la plus haute importance stratégique pour le royaume:
«Le père fondateur de la dynastie Saoud, Abdelaziz Ibn Saoud, disait à sa descendance: “votre bien vient du Yémen, et votre mal également.”»
Selon l’expert donc, ce cessez-le-feu ne devrait être qu’une courte parenthèse et les combats devraient reprendre une fois l’épidémie passée.
D’une part, parce que le Yémen est un pays dans la zone d’influence directe de l’Arabie saoudite et qu’elle ne peut se permettre qu’une autorité hostile contrôle le pays, mais aussi, car ce pays se pose en puissance régionale et que sa crédibilité militaire est en jeu.
Le Royaume ne peut s’avouer vaincu face à une guérilla infiniment moins bien équipée que lui.
Le conflit que l’Onu a qualifié de «plus grave crise humanitaire au monde» n’est donc très certainement pas près de s’achever et le calvaire que vivent les civils yéménites depuis cinq ans non plus.