Le journal libanais al-Akhbar a rendu compte d’un conflit latent entre Ankara et Washington sur la question du recyclage des « jihadistes de Daesh ».
Ce conflit s’est révélé au grand jour par la mort d’un chef de milice, qui est passé incognito.
Une mort suspecte
A la fin du mois de novembre dernier avait été abattu un certain Mohammad al-Ghabi ( nom désignant la vallée al-Ghab, dans la province de Hama, dont il est origianire).
De son vrai nom Mohammad al-Ahmadi, il avait fait défection de l’armée syrienne en 2011, pour rejoindre les rangs de l’Armée syrienne libre, la première milice à avoir pris les armes contre le pouvoir syrien.
Après être passé par plusieurs milices, il a fini par fonder la sienne, Jabhat al-Sham, et a été désigné comme vice-président de la cellule d’opérations de Sahl al-Ghab. Le mois de février dernier, il a supervisé puis présidé la fondation d’une coalition de milices, baptisée Jaïsh al-Tahrir, comprenant en plus de la sienne Division 312, contingent 9, division 46, et Brigades al-Haq.
Dans un premier moment, sa mort a été présentée comme ayant « survenu lors de combat contre Daesh, en défendant sa terre et son honneur dans la province nord d’Alep ». Mais il s’est avéré que sa personne avait été visée d’une manière bien ciblée qui ne laisse aucun doute, rendant suspecte la version officielle mise en avant.
Les détails de son parcours explique pourquoi.
L’homme des renseignements américains
Ghabi est connu pour ses relations avec les renseignements américains dont il exécutait un programme destiné à pousser des membres la milice wahhabite terroriste Daesh à faire défection.
Ce programme secret mis au point à partir d’avril 2016, de concert avec les renseignements turcs, fait partie son programme de soutien à une opposition modérée.
Et Ghabi était efficace : en l’espace de deux mois, il est parvenu à en dégager une trentaine, de plusieurs nationalités, français, belge et hollandais entre autre, grâce surtout aux relations qu’il avait tissées avec les miliciens des différents groupuscules armes, djihadistes takfiristes surtout.
Il semble avoir enrôlé certains dirigeants de Daesh, d’autant que l’affaire était plutôt juteuse : 10 mille dollars pour chaque daeshiste rendu dissident de nationalité étrangère, et 5 mille pour celui de nationalité arabe.
Bien entendu Ghabi avait lu aussi sa part de lion : le double que celle payée aux dirigeants de Daesh.
Chaque dissident est un trésor en soi pour les services de renseignements, surtout s’il est d’origine américaine ou européenne : il permet d’obtenir des informations internes sur le groupuscule, sur leurs membres, leur identité et leur nationalité ainsi que sur leurs collaborateurs à l’extérieur de la Syrie.
De plus, ils peuvent très bien être réhabilités pour intégrer d’autres milices qui combattent pour le compte de ces services. Rares sont ceux qui ont été rapatriés , avec la connaissance bien entendu des services concernés.
Leur réhabilitation qui est surtout d’ordre psychologique et religieux se fait dans des centres qui ont été spécialement aménagés dans des villages turcs à la frontière avec la Syrie.
Le plus fidèle de tous
Ghabi n’est pas le seul qui accomplissait cette besogne : mais il est le plus fidèle de tous pour les Américains.
Il l’est resté même lorsque la coordination entre ces derniers et les Turcs avait trébuché, à partir du mois de juin dernier : Ankara voulant installer les centres de réhabilitation sur le sol syrien et aspirant surtout à enrôler les dissidents dans le cadre de son offensive en Syrie, Bouclier de l’Euphrate.
Au sein de ce contentieux turco-américain, Ghabi insistait pour mettre au courant les renseignements américains de toutes les évolutions.
Alors que sa coalition avait intégré l’offensive turque, il les informait aussi des différents groupes qui l’ont ralliée et de ses opérations sur le terrain.
A partir du mois de septembre dernier, les Turcs ont été informés des détails de ses actions.
Avec le Nosra aussi
Il semble qu’ils en aient informé le front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda en Syrie, rebaptisé front Fateh al-Sham. Surtout que Ghabi était parvenu enrôler certains de ses membres en faveur des Américains.
Le Nosra n’a pas tardé à le capturer , ainsi qu’un certain nombre des membres de sa famille, l’accusant dans un communiqué « d’avoir balancé le projet de la révolution et du jihad pour rejoindre celui de la collaboration avec les Américains ».
Mais il a fini par relâcher Ghabi, en raison des pressions énormes qui ont été exercées sur lui et grâce surtout à l’interférence du guide religieux d’Idleb, le saoudien Abdallah al-Mohaycini.
C’est ce dernier qui a été le premier à lui rendre hommage après sa mort, en lui souhaitant le paradis dans l’Au-delà.