A Astana, la première tentative depuis le début de la guerre en Syrie, de mettre face à face la délégation du gouvernement syrien à celle des groupes armés -et non celle des opposants politiques- est jusqu’à présent un fiasco.
Les membres des deux délégations arrivés dimanche dans la capitale du Kazakhstan ne se seront réunis que l’espace de la séance d’ouverture, à l’issue de laquelle la délégation des groupes armés a quitté la salle, refusant de négocier directement avec la délégation officielle.
Pour les séances suivantes, elles ont du être séparées dans deux pièces différentes, se concertant à travers la délégation onusienne.
14 milices représentés
A peine cette rencontre a été entamée que la délégation des milices opposaient ses conditions: après avoir affiché pendant des semaines sa disposition à entamer des négociations directes, elle s’est récalcitrée une fois arrivée à Astana.
Les jours qui ont précédé, c’est sa composition qui avait été source de tracasserie.
À l’origine formée de huit membres, elle a été élargie au dernier moment à un total de 14 représentants de milices auxquels s’ajoutent 21 conseillers, les opposants politiques. Ces derniers ont été relégués pour la première fois au second rang, car n’ayant pas l’assise territoriale des groupes armés.
« C’est avec une grande difficulté que la Turquie a pu faire participer les représentants de 14 groupes armés dans ces négociations, et ces derniers ne sont pas les plus puissants sur le terrain », a rapporté la correspondante de la télévision arabophone al-Mayadeen.
La plus puissante parmi les présentes à Astana est sans doute Jaïsh al-Islam: elle est financée par l’Arabie saoudite et opère le plus dans la Ghouta orientale, dans la province Est de la capitale syrienne.
C’est justement Mohammad Allouche, l’un de ses chefs militaires qui a présidé la délégation d’Astana. Selon l’AFP, il est arrivé en compagnie d’une dizaine de chefs de milices dont Fares Bouyouch de l’Armée d’Idleb, Hassan Ibrahim du Front du Sud et Mamoun Hajj Moussa du groupe Suqour al-Cham. Des milices de petite portée.
Alors que la délégation régulière formée de 10 émissaires est dirigée par l’ambassadeur de la Syrie aux Nations Unies, Bachar al-Jaafari.
Objectifs du gouvernement
la destitution du président syrien n’étant plus du tout à l’ordre du jour, les négociations d’Astana devraient poser les bases d’un règlement à même d’être approfondies lors de prochaines discussions de paix sous égide de l’ONU à Genève le 8 février.
Les deux protagonistes s’entendent sur la consolidation de la trêve, entrée en vigueur le 30 décembre dernier, après la libération des quartiers Est d’Alep et la réunification de l’ancienne capitale économique du pays.
Mais pour le gouvernement, elles devraient aussi faire avancer une solution politique « globale » après près de six ans de guerre.
Depuis quelques jours, le président syrien avait appelé les rebelles à livrer leurs armes en échange d’une amnistie, à l’image des accords de « réconciliation » qui se traduisent par l’évacuation des combattants en échange de la fin des bombardements et des sièges des villes par les forces gouvernementales.
Autre objectif collatéral, exprimé par M. Jaafari : les pourparlers devraient aussi servir à distancier les rebelles considérés comme « modérés » des miliciens takfiristes de la milice wahhabite terroriste Daesh (Etat islamique) et du front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda en Syrie rebaptisé front Fateh al-Sham.
Objectifs des rebelles
Justement c’est à ce stade là que les pourparlers risquent d’achopper. A l’issue de la séance d’ouverture, les réels objectifs des groupes armés se sont fait sentir.
Les dessous de la justification qu’ils ont affichée pour expliquer leur décision de ne pas négocier directement avec la délégation gouvernementale en est une :
« La première session des négociations ne sera pas en face à face car le gouvernement n’a pas respecté jusqu’à présent ce à quoi il s’est engagé dans les accords du 30 décembre », a indiqué Yehya al-Aridi, l’un des porte-paroles de la délégation des rebelles.
Les miliciens reprochent notamment aux forces gouvernementales de poursuivre les combats près de Wadi Barada, zone clé pour l’approvisionnement en eau de la capitale syrienne, Damas.
Alors que le gouvernement syrien les accuse d’occulter le fait que cette région est contrôlée conjointement avec le front al-Nosra, qui est exclu par la trêve en question.
« Il est clair que la délégation des groupes armés veut saborder les pourparlers », a alors accusé l’ambassadeur onusien syrien M. Jaafari dans son premier point de presse organisé tout de suite après.
« Le non professionnalisme de la délégation des groupes et sa mauvaise utilisation de la part de ceux qui les font travailler visent à saborder la rencontre d’Astana », a déploré M. Jaafari, précisant plus tard que la Turquie fait partie des parrains des groupes terroristes», les autres étant sans aucun doute l’Arabie saoudite et les puissances occidentales, comme a souvent accusé Damas.
Toujours selon M. Jaafari, « la délégation des groupes rebelles n’a pas respecté les règles diplomatiques en sortant de la salle, et le discours de son chef s’est marqué par sa légèreté et son ton provocateur en défendant les crimes de guerre commis par le front al-Nosra».
Front al-Nosra contre Hezbollah
Loin des formalités sur la forme de la table des discussions, les revendications des rebelles insistent, selon les propos de M. Allouche, sur « le gel des opérations militaires » et «l’amélioration de l’accès à l’aide humanitaire pour la population civile », en allusion aux zones occupées par les milices et où la majeure partie de la population est prise en otage.
Mais c’est lorsque les discussions se sont approfondies que le dilemne du front al-Nosra a surgi.
Malgré son absence physique à Astana, la branche d’Al-Qaïda en Syrie était fortement présente dans les propositions de la délégation des insurgés.
« Nous ne combattrons pas le front al-Nosra tant que les milices qui combattent avec le régime ne quittent pas la Syrie », a dit le porte-parole des miliciens présent à Astana, Oussama Abou Zeid, rapporte al-Mayadeen.
Selon l’AFP, « M. Allouche a demandé que les milices iraniennes, menées par le Hezbollah, et qui combattent aux côtés des troupes de Bachar al-Assad, ainsi que les combattants kurdes du Parti de l’Union démocratique (PYD), soient désignés comme « groupes terroristes »».
« Si les négociations sont un succès, nous sommes pour les négociations. Mais si elles échouent, malheureusement, nous n’aurons pas d’autre choix que de continuer le combat », a prévenu M. Abou Zeid.
La réponse de la délégation gouvernementale ne s’est pas fait attendre
Cet après-midi, quelques minutes après le lancement du deuxième round des pourparlers, désormais indirects, elle a suspendu sa participation et quitté le lieu de la conférence .
La balle est rendue.
Sources: AFP, al-Mayadeen TV