Selon les observations des analystes militaires arabes, le Département américain à la Défense a intensifié dernièrement l’utilisation du territoire et des sites d’infrastructure de la Jordanie à des fins militaires. Dans le même temps, le congrès américain a décidé d’allouer des fonds supplémentaires pour livrer des armes à l’armée jordanienne ces quatre prochaines années.
À noter que les liens militaires bilatéraux ont été établis avec les Américains depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1949. Les États-Unis sont le fournisseur principal d’armes et de matériel dans ce pays : au cours des sept dernières années, la Jordanie a reçu du matériel américain pour plus de 20 milliards de dollars.
La coopération militaire bilatérale représente une partie fondamentale des relations entre Amman et Washington. En 1996, la Jordanie a obtenu aux États-Unis le statut de « principal allié hors OTAN ». Depuis 2014, le royaume fait partie de la coalition internationale anti-Daech menée par les États-Unis, il participait activement à l’élimination de terroristes en Irak. C’est à partir de cette période que la Jordanie bénéficie d’une aide militaire au niveau du Pentagone, c’est-à-dire directement du budget américain.
Les premiers groupes de militaires américains de plus de 2300 hommes sont arrivés en Jordanie « à la demande du gouvernement » avec le début de l’opération de la coalition en Irak. Ils sont déployés sur le territoire du pays pour une durée indéterminée, et leur nombre varie constamment. Ils sont principalement stationnés à la base aérienne américaine Mufaq Salti près d’Azraq et à la base modernisée H4. De plus, plusieurs batteries de systèmes américains antiaériens Patriot ont été déployées sur le territoire jordanien essentiellement pour protéger les sites contre des frappes de missiles éventuelles d’Iran.
C’est ces dix dernières années que le Pentagone exploitait le plus activement le territoire jordanien. Il y a installé un réseau de radars pour surveiller la situation aérienne dans la région, pour le renseignement radio et radiotechnique, il y a des centres de reconnaissance de la CIA et du Pentagone, des cités militaires ont été construites pour le logement provisoire et permanent des effectifs allant jusqu’à 15 000 hommes, ainsi que d’autres sites militaires.
Afin d’affirmer et de développer les liens militaires, le 31 janvier 2021, la Jordanie et les États-Unis ont signé un accord de coopération en matière de défense. Cet accord règlemente la présence des militaires et du personnel civil américains sur le territoire du royaume les autorisant à porter une arme apparente dans l’accomplissement de leurs fonctions. Les Américains peuvent circuler librement dans le pays, transporter et stocker dans les entrepôts des effets et du matériel militaires, les unités militaires et les navires sont autorisés à franchir la frontière nationale sans notifier les autorités jordaniennes.
En même temps, l’accord prévoit la non-ingérence des militaires américains dans les événements politiques intérieurs.
À noter que l’avis des dernières administrations américaines, malgré les contradictions entre elles, ne changeait pas concernant la signification géostratégique de la Jordanie. Le président Donald Trump avait suggéré de transférer la base américaine d’al-Tanf sur le territoire jordanien en cas d’évacuation totale du contingent américain de Syrie.
Visiblement, le gouvernement américain actuel a l’intention d’attribuer à la Jordanie un statut encore plus important, celui d’une des plus grandes bases militaires en termes de transit d’effectifs vers les bases de stockage d’armes et de matériel dans les pays de la péninsule arabique (Arabie saoudite, Oman, EAU, Qatar). La Jordanie possède un accès à la mer Rouge via le port d’Aqaba, ce qui permet de varier rapidement les effectifs du contingent américain dans le pays. Dans le même temps, le Pentagone est contraint de réduire au minimum le nombre d’Américains dans la région afin de garantir leur sécurité vu la hausse du potentiel militaire de l’Iran et le risque d’un conflit armé avec lui.
Le déploiement de troupes américaines en Jordanie est un puissant appui de défense pour Israël dans sa rivalité contre l’Iran et les pays arabes voisins, malgré les accords de paix conclus avec certains d’entre eux. Ce n’est pas un secret que le président Joe Biden adopte une position plus intransigeante que Donald Trump vis-à-vis de la Syrie. Il n’a pas l’intention de cesser la présence militaire américaine dans ce pays en parlant d’« intérêts spécifiquement importants des États-Unis en Syrie » et de la non-reconnaissance de son président Bachar al-Assad.
Le dirigeant américain est irrité par la présence militaire russe en Syrie et il est effrayé par l’autorité et l’influence grandissantes de la Russie au Moyen-Orient. Le déploiement d’éléments de guerre électronique en Jordanie permet au Pentagone et à la CIA de suivre l’activité du contingent russe limité en Syrie.
De plus, la coopération militaire américano-jordanienne et la présence de bases et de sites américains en Jordanie représentent un puissant facteur de dissuasion contre les interventions de l’opposition contre le régime monarchique du roi Abdallah II, dont l’autorité et le pouvoir ont sérieusement vacillé ces dernières années. Les Jordaniens déplorent la politique du monarque et de son gouvernement, qui a conduit à un appauvrissement de masse, à un état critique de l’économie, à une dépendance totale des sources de financement extérieures (la dette publique s’élève à 90% du PIB), à pratiquement 100% de chômage, à une migration des jeunes dans d’autres pays, etc. C’est pourquoi des manifestations régulières sont organisées dans le pays critiquant la politique nationale de Abdallah II.
Ce qui permet de supposer que les autorités militaro-politiques américaines renforceront leur présence militaire en Jordanie pour terminer la mise en place de la zone régionale de concentration de leurs forces armées, comprenant le territoire des pays de la péninsule arabique, la Jordanie et Israël. Cela pourrait être lié à la probabilité d’un retrait à terme des Américains de Syrie et d’Irak.
Par Alexandre Lemoine.
Source : http://www.observateurcontinental.fr