Début janvier 2017, concernant « les conséquences de l’échec américain en Syrie », j’écrivais sur mon blog « si l’on veut faire monter les prix (des hydrocarbures), il faut au minimum qu’à chaque fois que l’Iran ou l’Irak vendent un baril sur le matché international, l’Arabie Saoudite diminue d’autant sa production ».
Onze mois plus tard, les cours du baril sont passés de 40 à 65 $, car l’Arabie Saoudite a restreint sa production. Cela profite aux USA et à la Russie qui, eux, ont augmenté leurs exportations vers l’Europe, au prix fort. Les relations de Mohamed Ben Salman avec Trump et Poutine sont au beau fixe. Cela lui a permis, en toute impunité, son coup de force contre son encombrante famille royale, et l’humiliation qu’il a infligée à son « vassal » Saad Hariri.
En réalité, l’activisme dont fait preuve Mohamed Ben Salman semble être la conséquence d’un grand désarroi de la part de la dynastie royale. Car l’avenir pour elle s’annonce menaçant.
Dès le début des années 2000, le Canada et les États-Unis se sont lancés dans l’exploitation des sables bitumineux, puis du pétrole et du gaz de schistes. Cela ne pouvait être rentable que si le cours du pétrole était supérieur de 60$ (il était de 30 à l’époque). D’où les guerres (ou embargos) qui ont touché tous les pays producteurs de pétrole (Irak,Iran puis ultérieurement Libye, Nigeria, Congo et même Russie) à l’exception de la seule Arabie Saoudite.
Cet appauvrissement de l’offre pétrole devait bénéficier aux complices américano-saoudiens. Mais deux obstacles ont surgi.
Le premier fut la mise en exploitation du formidable gisement gazier du golfe Persique, réalisée conjointement par le Qatar et l’Iran à partir des années 1990. Mais dès 2005, des projets de rentabilisation et d’acheminement par gazoduc vers l’Europe furent imaginés. L’un, qui avait les faveurs de la France, partait du Qatar et reliait la Méditerranée via la Syrie. Il entraîna la guerre contre Bachar El Assad, qui n’est pas encore terminée.
L’autre, soutenu par la Russie, reliait l’Iran à l’Italie en passant par la Turquie. Sa réalisation est soumise aux levées des sanctions américaines contre l’Iran et envers lesquelles l’administration Trump mène un combat retardateur. A noter que la Turquie serait bénéficiaire de ce pipeline, alors que pour l’Arabie Saoudite, ce serait de la concurrence déloyale, toute livraison de gaz à l’Europe entraînant des baisses de vente de pétrole saoudien. L’Arabie et les USA sont en train de perdre leur allié Turc.
La fin de la guerre en Syrie devrait marquer la fin de la séquence des guerres du Golfe, mais elle n’est pas encore conclue que déjà se profile le début des guerres des pétroles et gaz de la Méditerranée.
En effet, depuis 2005, des forages initialisés par la Grèce ont mis en évidence la présence de gisements de gaz et de pétrole considérables tout autour de Chypre. Du fait de la revendication de la partie nord de l’île par la Turquie, ces gisements peuvent être revendiqués par la Grèce, mais aussi par la Turquie, l’Égypte (gisements découverts en 2012), Israël (qui exploite le gisement Léviatan depuis 2012), ainsi que par la Syrie et le Liban (le gisement Levantin renfermerait à lui seul 1,7 milliards de barils de pétrole, et 3500 milliards de mètres cubes de gaz).
L’exploitation de ces ressources serait catastrophique pour les USA, la Russie et l’Arabie Saoudite. Elle serait bénéfique pour tous les pays riverains de la Méditerranée Orientale, et pour l’Europe.
Le premier acte de cette nouvelle guerre de la Méditerranée est la prise en otage par l’Arabie Saoudite du Premier ministre libanais Saad Hariri.
Un article du Figaro du 29/09/2017, signé Sunniva Rose, rappelle qu’en 2013 « une cinquantaine de compagnies avaient été sélectionnées (par la Liban) pour participer à l’appel d’offres d’attribution des licences d’exploitation. Une procédure restée lettre morte à cause de la démission du Premier ministre de l’époque, Najib Mikati. Il fallut attendre octobre 2016 et l’élection de Michel Aoun… pour que le parlement vote … la loi fiscale régissant les hydrocarbures le 19 septembre dernier…).
Ne nous y trompons pas : la démission forcée du premier ministre Hariri représente beaucoup plus qu’une révolution de palais. C’est un avertissement à tous les riverains de la Méditerranée (à l’exception d’Israël) qui voudraient exploiter leurs ressources d’hydrocarbures maritimes. C’est le premier acte de la guerre de Méditerranée qui vient de commencer. Pour l’Arabie, il n’y a rien à gagner, mais beaucoup à perdre.
Par Hervé LE BIDEAU: Ancien officier de renseignement pour Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE)
Source: Comité Valmy