Le Président français Emmanuel Macron a tenu parole. Les 1er et 2 avril, des troupes françaises se sont installées dans le nord de la Syrie. C’est la première fois que la France déploie là-bas d’importantes forces. Cette démarche fait de Paris un nouveau protagoniste activement impliqué dans la guerre. Les troupes se sont dirigées en toute hâte vers Manbij et Remelin, afin de rejoindre les alliés étasuniens.
Cette décision a été prise au moment où Ankara mettait en garde contre les projets de contrôle de ce territoire, alors que la Russie, la Turquie et l’Iran s’appliquaient ensemble à fixer l’avenir de la Syrie. La situation est considérablement changée et cela pose question sur ce que recherchent les États-Unis et la France et sur les perspectives de guerre et de paix dans ce pays déchiré par les conflits. En résumant les dernières évolutions, on conclut que les États-Unis et la France ont l’intention cachée d’élargir le conflit, de faire des ravages et de contrecarrer les efforts de paix des Russes.
L’annonce du déploiement français est arrivée juste avant le sommet Russie-Turquie-Iran du 4 avril à Ankara, dont le but déclaré était «d’accélérer les choses pour assurer le calme sur le terrain» syrien. Le 3 avril, le président Donald Trump a annoncé qu’il déciderait très bientôt de retirer son armée de ce pays. La déclaration a été faite juste après l’acheminement vers Manbij d’environ 300 marines de renfort accompagnés de véhicules blindés et de matériel du génie, destinés à repousser les éventuelles incursions turques. Deux bases sont en cours de construction dans la région nord de Manbij, en Syrie.
Les marines ont déjà organisé des patrouilles quotidiennes le long du Sajur, un affluent de l’Euphrate prenant sa source en Turquie, et ils ont construit des postes d’observation pour surveiller la région. Chose inouï, deux des principaux membres de l’Alliance de l’Atlantique Nord bloquent l’accès de Manbij à un autre pays membre de l’OTAN ! Le 3 avril, CNN a signalé que le projet d’envoyer des renforts était en discussion depuis plusieurs jours avant que Trump annonce quitter la Syrie bientôt.
Sans perdre de temps, les États-Unis ont poussé les Irakiens à envoyer la 5ème division de leur armée dans la province de Sinjar et de placer des forces le long de la frontière irako-syrienne pour empêcher le passage de l’armée turque en Irak depuis la Syrie.
Les États-Unis tentent manifestement de partager la Syrie en créant un quasi-État entre la rive orientale de l’Euphrate et la frontière irakienne. À Deir ez-Zor, la coalition étasunienne s’oppose à la restauration des institutions gouvernementales syriennes. Cela donne à penser que les paroles « quitter bientôt » ne sont rien de plus qu’un vœu pieux ou une tentative dont le but est d’égarer ceux qui essaient de prévoir ce que vont faire les États-Unis.
La liste des objectifs étasuniens comprend le contrôle des champs pétrolifères et des bouts de territoire. Donald Trump veut que l’Arabie Saoudite paye ces opérations en Syrie, et elles le seront probablement. Si la décision de partir avait été vraiment prise, cette question ne se poserait pas. Selon Trump, l’Arabie Saoudite est intéressée à ce que les États-Unis restent en Syrie.
La politique étrangère étasunienne penche dans un sens puis dans l’autre. Rex Tillerson a été viré pour avoir mis le monde au courant de tout avec ses tweets. Les États-Unis veulent quitter la Syrie mais resteront si l’Arabie Saoudite paie. Donald Trump a invité le dirigeant russe à lui rendre visite à Washington dans le contexte de l’expulsion des diplomates russes et de la fermeture du bureau du consulat à Seattle. Est-ce être imprévoyant ou avisé ? Ces revirements sont-ils de la politique bien pensée ou pas du tout ? Est-ce fait exprès pour que personne ne puisse rien prévoir ? On ne sait jamais. Donald Trump a un jour qualifié d’extrémiste l’Arabie Saoudite et lui a ensuite vendu une formidable quantité d’armes en qualifiant le royaume de grand ami et proche allié contre l’Iran.
En dégarnissant d’autres fronts, les forces syriennes préparent une offensive dans le sud de la Syrie, dans la région de Daraa, Quneira et Suweida. Le territoire est immense et le terrain est difficile à traverser. Il y a au moins 25 hauteurs d’où il est possible de prendre pour cible l’armée en progression. L’armée syrienne libre et les autres groupes terroristes sont beaucoup plus nombreux là-bas qu’à la Ghouta orientale où ils ont été vaincus. Ils ont de solides défenses. Contrairement aux autres endroits, les forces terroristes peuvent facilement recevoir du soutien logistique de Jordanie. Là-bas, les États-Unis et l’Arabie Saoudite peuvent largement contribuer [à ce soutien]. Israël est impliqué dans ce genre activités depuis 2015. Il a fallu environ six mois pour libérer la Ghouta orientale, la phase active de délogement des terroristes ayant été lancée à la mi-mars. Il est facile de conjecturer qu’il faudra bien un an, peut-être beaucoup plus, pour libérer la région en question.
Il est facile de provoquer un conflit. Les opérations de l’armée arabe syrienne lancées pour interrompre la logistique venant de Jordanie, pourraient être qualifiées d’agressions contre le Royaume hachémite. Des produits chimiques pourraient être amenés de Jordanie pour mettre en scène une autre provocation servant de prétexte pour attaquer de la Syrie.
La situation pourrait se transformer en guerre d’usure amenant les Syriens à concentrer de plus en plus leurs forces au même endroit, en dégarnissant les autres champs de bataille. Ces forces seraient alors coincées là pendant très longtemps, et la coalition étasunienne serait en bonne position pour attaquer où bon lui semble, avec la base d’Al-Tanaf qui lui servirait de tremplin. Manbij ainsi que la base aérienne d’Al-Tabka, située au sud de Raqqa, sont des endroits parfaits pour lancer une offensive visant reprendre Alep à la Syrie. Ensuite, le pays serait replongé dans une guerre « de tous contre tous ».
Les efforts déployés jusqu’ici par la Russie, la Turquie et la Syrie seront anéantis. Cette fois, les États-Unis ne seront pas les seules forces importantes présentes sur le terrain. Il est difficile d’imaginer que l’arrivée de forces françaises en Syrie pourraient ne pas préluder le début d’une présence plus large de l’OTAN, avec d’autres membres du bloc suivant l’exemple français. Le personnel militaire russe et les soldats de l’OTAN s’observeront à travers le viseur des armes. Ce scénario fera courir de grands risques de conflit militaire mondial et sera une véritable tragédie pour le peuple syrien. Mais ceux qui provoquent se fichent de cela comme d’une guigne.
Par Peter Korzun
Source: Strategic Culture Foundation.