Haydar Al-Abadi, le Premier ministre irakien, sera peut-être la première victime des sanctions imposées par le gouvernement du Président américain Donald Trump contre l’Iran en préambule à un changement de régime. Al-Abadi s’est empressé d’annoncer officiellement qu’il se conformerait avec ces sanctions et a décidé d’arrêter l’importation de voitures iraniennes.
La grande majorité des partis populaires irakiens, dont le parti Al-Dawa, qui a propulsé Al-Abadi au pouvoir, condamnent ces sanctions et sont contre leur application. Il sera donc très difficile, si ce n’est impossible, pour Al-Abadi de se maintenir au pouvoir. Pour ses opposants, il a joué avec la souveraineté nationale irakienne et a montré une soumission aux Etats-Unis, qui ont envahi et occupé l’Irak, après lui avoir imposé un blocus de 12 ans.
Les espoirs d’Al-Abadi et de son groupe (Al-Nasr) de former un nouveau gouvernement irakien avec d’autres formations sont proches de s’effondrer, si ce n’est pas déjà le cas, car la majorité de ces groupes ont pris fermement position contre les sanctions afin de ne pas mécontenter leur base populaire et montrer leur solidarité avec le voisin iranien.
Les échanges commerciaux entre l’Irak et l’Iran atteignent six milliards de dollars par mois
Deux choses mettent M. Al-Abadi et son gouvernement particulièrement mal à l’aise : les voisins de l’Irak comme la Turquie et la Syrie ont annoncé leur soutien à l’Iran et leur ferme opposition aux sanctions, tout comme la Chine, l’Inde et l’Union européenne. Seuls l’Arabie saoudite et les autres Etats du Golfe candidats à l’entrée dans « l’OTAN arabe » du Président américain pour contrer l’Iran militairement, économiquement et politiquement, ainsi qu’Israël, membre secret, sont dans le camp des Etats-Unis.
L’économie irakienne « en lambeaux » sera une des principales victimes car les échanges commerciaux entre l’Irak et l’Iran atteignent six milliards de dollars par mois, avec en majorité des exportations iraniennes à bas prix. Environ quatre millions d’Iraniens se rendent dans les lieux sacrés du chiisme à Najaf et Karbala chaque année. Ils ne payent que 40 dollars pour le visa mais chaque visiteur dépense environ mille dollars selon les estimations, ce qui représente une grosse perte pour les caisses de l’Irak. Le plus grave est que ce blocus intervient alors que les manifestations grandissent dans le Sud irakien suite à la dégradation des services de base tels que l’eau et l’électricité, sans oublier l’augmentation du chômage et de la misère.
Jusqu’à quand les Iraniens vont faire le dos rond devant ces sanctions ?
Les Iraniens ont décidé de faire le dos rond devant cette série de sanctions et d’absorber le premier choc. Ils savent que de nombreux Etats sont avec eux et détestent l’administration américaine, passée maître dans l’art de provoquer le monde entier avec ses dirigeants prétentieux. Cette tactique est peut-être temporaire car la deuxième série de sanctions, avec l’arrêt de la totalité des exportations de pétrole, débutera au mois de novembre. Cela nous rappelle les sanctions imposées à l’Irak au lendemain de l’invasion du Koweït et les dégâts qu’elles peuvent causer.
Les Iraniens ont certes une grande expérience, acquise durant plus de trente ans de blocus, et possèdent des forces de sécurité très puissantes, entraînées et fidèles au régime, comme les forces armées. Elles peuvent faire face à tous troubles intérieurs ou à une invasion extérieure mais ils veulent les éviter. Ils n’hésiteront donc pas à entrer dans des négociations si l’occasion se présente, afin de gagner du temps et de faire passer les deux années restantes de l’administration Trump.
Al-Abadi s’est plié immédiatement et entièrement aux exigences américaines en appliquant les sanctions sur le champ mais il y a d’autres pays arabes qui restent silencieux, notamment dans le Golfe. C’est le cas du Qatar, qui partage avec l’Iran l’énorme champ gazier de Pars et s’appuie sur ce pays pour briser le blocus imposé par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte. C’est aussi le cas des Emirats arabes unis, dont les échanges commerciaux avec l’Iran atteignent huit milliards de dollars, notamment avec l’émirat de Dubaï.
Pourquoi nous prévoyons aussi des conséquences négatives sur les alliées de Trump dans le Golfe ?
Les chances de succès des sanctions américaines quant à un changement de régime en Iran semblent limitées dans le futur proche, dans leur première phase au moins, car l’Iran va prendre modèle sur le régime syrien, qui a tenu bon sept ans face au projet américain. Mais nous n’excluons pas que ces sanctions aient un effet inverse de celui escompté et conduisent à la chute de régimes alliés des Etats-Unis, en premier lieu le régime irakien, puis peut-être d’autres régimes du Golfe pour des raisons internes ou externes découlant de leur implication dans les plans américains.
Avec ces sanctions, le Président Trump s’est peut-être tiré une balle dans le pied et dans celui de ses alliés dans la région. Il a déclenché un bazar économique et politique dans la région précédant le bazar militaire, mais Dieu seul sait d’où viendra l’étincelle.
Par Abdelbari Atwan.
Sources : Raï Al-Youm ; Traduit par Actu arabe