La décision d’Angela Merkel de se retirer par étapes de la scène politique va fragiliser l’axe franco-allemand et risque de paralyser l’UE au moment où elle est confrontée à la montée des populismes anti-européens, selon plusieurs diplomates et analystes européens.
« Merkel va avoir moins d’autorité après avoir annoncé son départ », estime Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Schuman.
« Hors course »
Outre son retrait progressif en Allemagne, Mme Merkel a précisé qu’elle ne briguerait aucun poste dans les institutions européennes.
« Maintenant (…), plus personne ne va l’écouter en Europe. Elle s’est mise hors course d’emblée », renchérit Sébastien Maillard, directeur de l’institut Jacques Delors Notre Europe.
« C’est un coup dur pour l’Europe », analyse-t-il. La retraite de la chancelière va hypothéquer les prochains grands rendez-vous européens, notamment le sommet de décembre consacré à la question migratoire, cheval de bataille d’Angela Merkel mais qui lui a coûté cher, et à la réforme de la zone euro, deux dossiers qui divisent les Etats membres.
« Rien ne se produira probablement avant les élections européennes. Il y a un risque de paralysie », prédit Julian Rappolt, analyste pour le European Policy Center.
La Commission européenne n’est pas de cet avis. « La décision d’Angela Merkel était attendue. Elle avait prévenu et cela ne change rien », a assuré à l’AFP un de ses responsables sous couvert de l’anonymat.
La Pologne a souhaité lundi que Mme Merkel puisse aller au terme de son mandat en insistant sur son rôle « stabilisateur ».
« Elle est devenue un canard boiteux, mais je ne pense pas que l’UE va sombrer dans le chaos et l’instabilité, parce que ce sera un départ très lent », estime pour sa part Sudha David-Wilp, une des responsables du German Marshall Fund, centre de réflexion européen.
Mais une période d’incertitude s’est ouverte avec la question de la succession à la tête de la CDU.
« Si c’est sa dauphine, Annegret Kramp-Karrenbauer, c’est plutôt une bonne chose pour la relance de l’UE », estime Jean-Dominique Giuliani. « Elle est proche de la France et très européenne. Elle sera plus active que Merkel, qui a toujours joué en fond de court », a-t-il ajouté.
« Dans ce cas, il y a encore une chance que la chancelière puisse rester en fonctions jusqu’en 2021. Sinon, l’écart entre elle et son parti sera trop grand et ce sera la fin », analyse Julian Rappolt.
Le retrait de cette personnalité qui a pesé sur la politique européenne intervient à un moment très difficile. « L’Europe traverse une grave crise interne et ses fondations sont en train de s’effondrer » avec la montée des partis populistes anti-européens, a confié à l’AFP le représentant d’un Etat membre. « Il y a très peu de leadership en Europe. La plupart des dirigeants sont en difficulté et certains pays ont même basculé », a-t-il souligné.
« Plus tacticienne que visionnaire »
Le président français « Emmanuel Macron s’est efforcé de redonner un élan, mais ses initiatives n’ont pas trouvé beaucoup de soutien », confirme Julian Rappolt.
Angela Merkel ne l’a pas aidé. « Le moteur franco-allemand n’a pas démarré parce que la France n’a jamais eu de répondant de la part de la Chancelière. Elle a toujours temporisé, toujours été sur la défensive », affirme Sébastien Maillard.
« Il serait temps que l’Allemagne dise ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas », renchérit Jean-Dominique Giuliani.
« Maintenant que son autorité est entamée, les langues vont se délier. Je pense que son bilan sera assez négatif », soutient le président de la Fondation Schuman.
Ce jugement partagé par d’autres experts devrait ternir l’image d’une dirigeante pro-européenne, attachée à la solidarité entre les 28 et à la défense du multilatéralisme face au protectionnisme défendu par Donald Trump.
Sébastien Maillard est lui aussi très critique. « J’ai du mal à mettre son nom sur un acquis européen majeur. Angela Merkel n’a jamais eu de vision pour l’Europe. Elle était plus tacticienne que visionnaire », regrette-t-il.
« Elle a eu des attitudes déplorables comme la défense des voitures allemandes durant la guerre commerciale avec le président américain Donald Trump ou celle du diesel. Elle a défendu les intérêts commerciaux de l’Allemagne sans vision de ce que cela impliquait pour l’Europe », critique-t-il.
Source: AFP