La mort du prince Talal Ben Abdelaziz avant-hier (22 décembre) est pleine de sens, que ce soit au niveau du Royaume fondé par son père en 1932 sous le nom de son ancêtre Saoud Ben Mohammed, fondateur du premier Etat saoudien (défait par les Ottomans en 1818 et suivi par le deuxième Etat saoudien jusqu’en 1891), ou au niveau du monde arabe car il est le fondateur du mouvement des « Princes libres » (en 1958) et était en liens avec Gamal Abdel Nasser et la mouvance nationaliste arabe de gauche que ce dernier représentait.
Il n’est pas facile de déterminer la position exacte du prince Talal car il est le dix-huitième fils parmi les nombreux enfants (nous en avons compté 74, dont certains sont morts en bas âge) d’Abdelaziz, qui a épousé des dizaines de femmes (nous en avons dénombré 44). La grande majorité de ses fils l’ont suivi de ce côté (dont le prince Talal, qui s’est marié quatre fois) et l’arbre généalogique comporte des croisements et des séparations qui ont eu leur importance par la suite.
Le deuxième Roi, Saoud, est le fils de Wadha Al-Araiaer.
Le troisième, Faysal, est le fils de Tarfa, petite-fille du cheikh Mohammed Ben Abdelwahab.
Le quatrième, Khaled, est le fils d’Al-Jawhara, appartenant au clan Saoud.
Le cinquième, Fahd, est un des fils de Hassa Al-Soudayriya.
Le sixième, Abdallah, a pour mère Fahda Al Rasheed.
Enfin, le Roi Salman est aussi un des fils de Hassa et appartient à la branche la plus puissante de la famille saoudienne, qui cherche actuellement à faire passer le trône aux héritiers de Salman en nommant son fils Mohammed comme Prince héritier.
La vie du prince Talal résume donc l’histoire de la famille saoudienne régnante : il est né en 1931, un an avant la fondation du Royaume. En 1958, année où il a tenté de fonder « son Royaume » à travers le «Mouvement des princes libres » et avait 27 ans, il a demandé l’établissement d’un régime constitutionnel parlementaire prenant la place de la famille régnante. Cet acte était révolutionnaire à l’époque car ce prince avait occupé les postes de ministre des transports en 1952 et ministre du budget en 1954.
La politique étant étroitement liée aux liens familiaux dans la famille régnante, il ne faut pas négliger l’impact du mariage du prince Talal en octobre 1954 avec la Libanaise Mona El-Solh. Elle est la fille de Ryadh El-Solh, leader de l’indépendance libanaise et premier Premier ministre du Liban. Il a eu trois enfants avec elle, dont le célèbre homme d’affaires Al-Walid Ben Talal.
Ryadh El-Solh s’est rendu célèbre en luttant contre les Ottomans et les Français. Il a d’ailleurs été plusieurs fois condamné à mort et emprisonné. Ses filles aussi se sont illustrées: Alya a noué des liens étroits avec le commandement de la révolution égyptienne en épousant le journaliste palestinien Nasser El-Din El-Nashashibi, nassériste enthousiaste auquel Nasser a confié la direction du journal « Akhbar Al-Youm » (il a d’ailleurs porté secours avec les dirigeants saoudiens à Yasser Arafat quand son avion s’est écrasé dans le désert libyen) ; Lamia a épousé le prince marocain Abdallah et elle est la mère des princes Hicham, connu pour ses positions politiques libérales et révolutionnaires, et Ismaïl ; Layla a été ministre de l’industrie sous le Président Emile Lahoud.
A l’intérieur de ce climat politique et culturel, on peut comprendre le revirement opéré par le prince Talal dans les années cinquante.
En plus de la confiscation de ses biens et de son passeport diplomatique en réaction à ses positions politiques d’alors, Talal a été par la suite écarté des candidats au trône, mais la plus lourde attaque est venue en 2017 avec l’arrestation de ses deux fils, Al-Walid et Khaled, pour assouvir symboliquement une vengeance ancienne.
Mohammed Ben Salman, conscient de la relative pauvreté de sa branche, ne s’est pas contenté de mettre la main sur les rênes du pouvoir, l’influence et les richesses considérables. Il a aussi « corrigé » les membres de son clan ainsi que la classe politique et financière du Royaume.
Le régime de Salman et de son fils ne veut pas seulement enterrer les concepts de démocratie, de collégialité et de constitution, portés par Talal durant sa jeunesse. Il veut aussi vider le « Conseil d’allégeance » et les décisions du clan saoudien de leurs sens pour donner le pouvoir à un « Roi tyrannique ». Cette grave décision, qui a le soutien des Etats-Unis, a, elle aussi subi une attaque sanglante avec la mort de Talal Ben Abdelaziz, qui a rouvert une période que l’on voulait clore.
Sources : Al-Quds Al-Arabi ; Actuarabe.