Les atrocités commises à Khartoum ces dernières semaines à l’encontre de manifestants réclamant une transition pacifique du pouvoir laissent croire au retour de l’état d’urgence au Soudan, un peu plus de trois mois après qu’Omar el-Béchir ait été évincé par le gouvernement militaire, a écrit The Financial Times dans son numéro du dimanche 30 juin.
Les États arabes du golfe Persique investissent massivement dans la région, mais la politique de répression au Soudan a mis leur politique interventionniste sous surveillance.
La fin de l’administration d’el-Béchir n’a pas introduit la démocratie. Elle n’a fait que signaler aux manifestants et aux leaders de l’opposition que la révolution ne fait que commencer.
Après que les troupes eurent lancé un raid meurtrier nocturne contre les manifestants pro-démocrates soudanais, le blâme se porta immédiatement sur les Forces de soutien rapide (FRS).
La tristement célèbre unité paramilitaire, constituée de vestiges d’une milice qui a ravagé le Darfour déchiré par la guerre dans les années 2000, avait dirigé l’assaut du 3 juin, ont indiqué des victimes. Les manifestants ont été battus et violés. Les corps de dizaines de personnes sur les cents tuées – selon les estimations locales – ont été jetés dans le Nil.
La répression a laissé entendre que les dirigeants militaires du pays, qui dirigent depuis que les manifestations ont déclenché un coup d’État contre Omar el-Béchir en avril, ont envoyé un message mortel: ils ne s’inclineraient pas devant la pression populaire et n’accepteraient pas une transition vers un régime civil.
Mais les FRS et les généraux ne sont pas les seuls à faire l’objet d’un examen approfondi : à mesure que le décompte des corps augmente, les attentions se sont tournées sur leurs soutiens régionaux à savoir l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
De nombreux militants soudanais ont même demandé si les États arabes du golfe Persique avaient donné leur feu vert au raid.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis nient fermement la connaissance préalable du raid, tous deux insistant sur le fait qu’ils promeuvent la stabilité dans la région et ont une longue histoire de liens économiques et politiques avec le Soudan, un pays qui relie les mondes africain et arabe et possède une longue côte le long de la mer Rouge. Mais à vrai dire, ni l’un ni l’autre n’ont pas échappé à de nombreuses questions qui les frappaient après la chute d’el-Béchir.
La répression a suscité un examen minutieux du rôle des pays au Soudan, tout en alimentant un débat plus large sur les politiques interventionnistes poursuivies par les États arabes du golfe Persique, d’autant plus qu’ils dépensent des centaines de millions de dollars pour acheter des concessions afin de gérer des ports et d’autres infrastructures dans le pays de la Corne de l’Afrique.
« Tous nos problèmes viennent de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et d’Égypte », a déclaré Salmane Oussama, chirurgien âgé de 27 ans, qui était sur la ligne de front de la manifestation au Soudan et qui a soigné des blessés lors du raid de FSR. « Ils soutenaient le régime el-Béchir qui nous opprimait. »
Dix jours seulement avant l’attaque, le lieutenant général Mohamed Hamdan Dagalo, qui dirige les FSR et qui est considéré comme le chef militaire le plus puissant du Soudan, a été accueilli par le prince Mohammed Ben Salmane à Djeddah. La même semaine, le général Abdel Fattah al-Burhan, chef du conseil militaire du Soudan, a rendu visite à Cheikh Mohammed ben Zayed, prince héritier d’Abou Dhabi et chef de facto des Émirats arabes unis.
Le royaume et les Émirats arabes unis – son allié régional le plus proche – se sont engagés à verser 3 milliards de dollars au Conseil militaire de transition du Soudan depuis l’éviction d’el-Béchir, les deux hommes rejoignant l’Égypte en tant que principaux soutiens des généraux. Pour de nombreux manifestants, la répression à Khartoum a renforcé les craintes de voir les puissances étrangères prêtes à maintenir leurs alliés au pouvoir au détriment de la démocratie.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont tous deux appelé à un « dialogue constructif » entre les parties soudanaises. Mais ce sont les généraux sur lesquels ils semblent compter pour protéger leurs intérêts, y compris le déploiement de troupes soudanaises au Yémen dans le cadre d’une coalition dirigée par l’Arabie saoudite pour mener la guerre contre Ansarallah.
Cependant, Adel al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères, a fait allusion le mois dernier aux préoccupations de Riyad concernant l’influence potentielle des extrémistes. « Les Frères musulmans ont été opportunistes, ils ont détourné les changements en Égypte en 2011 », a-t-il déclaré. « Je crois qu’ils peuvent essayer de faire la même chose au Soudan. »
Depuis le printemps arabe de 2011, Riyad et Abou Dhabi ont mené une politique étrangère, avec pour objectif de façonner la région à leur guise. Les soulèvements ont provoqué une onde de choc dans tout le Moyen-Orient, alors que des dictateurs, notamment l’Égyptien Hosni Moubarak et le Libyen Mouammar Kadhafi, ont été évincés.
Pour les protestataires soudanais, les États arabes du Golfe cherchent à piller la richesse naturelle du Soudan et sont conscients que l’établissement d’un État démocratique compliquera la concrétisation de leurs ambitions.
Source: Avec PressTV