L’affaire de la dépréciation de la livre libanaise face au dollar américain continue de susciter des remous au pays du cèdre. Le Hezbollah a révélé ses dessous.
Indexée depuis 1997 sur le billet vert au taux fixe de 1.507 livres pour un dollar, elle ne cesse de perdre de sa valeur depuis l’éclatement de la crise économique et financière au Liban. La semaine passée, elle a frôlé les 6.000. Elle est tombée cette semaine à 4.000.
Or cette dévalorsation relève d’une manœuvre destinée à assécher le marché libanais du dollar américain. Une manœuvre menée de concert par des banques et des changeurs. Y sont directement impliquées la banque du Liban (BDL) et la banque privée Société générale de banque au Liban (SGBL).
Le rôle de Sehnaoui
Ce mardi 16 juin, le procureur général financier le juge Ali Ibrahim a convoqué le PDG de la SGBL Antoun Sehnaoui pour l’interroger sur l’affaire de manipulation du taux de change de la livre libanaise face au dollar américain.
L’affaire remonte au mois de mai dernier, lorsque des investigations effectuées par le détachement de la Police judiciaire de la banlieue sud de Beyrouth auprès des changeurs et des fonctionnaires de la Banque centrale du Liban (BDL) ont abouti à suspecter un certain nombre d’entre eux de manipuler le taux de change de la monnaie nationale.
Elles ont aussi abouti à l’arrestation du directeur du trésor de la SGBL, Karim Khoury qui a reconnu avoir acheté de grandes quantités de dollars américains du marché libanais, avec l’aide de la BCL et de les avoir transférés à l’étranger.
A noter que l’ex-secrétaire adjoint au Trésor américain Daniel Glaser a rejoint l’équipe de la SGBL en tant que conseiller de Sehnaoui en 2017.
Et les USA
C’est le Hezbollah en premier qui a pointé l’accusation sur cette banque, par la voix du député Hassan Fadlallah. Il dévoilé les noms des suspects et accusé les Etats-Unis d’avoir demandé au gouverneur de la BCL Riad Salamé et aux sociétés de transfert d’empêcher l’entrée du billet vert au Liban.
« Selon nos informations, certains s’attellent pour retirer les dollars en grandes quantités du marché libanais et de les transférer à l’étranger », a-t-il assuré lors d’une interview avec la télévision al-Manar, le vendredi 12 juin dernier.
Et de poursuivre : « les aveux de ceux qui ont été arrêtés par la Justice affirment qu’entre août 2019 et mai 2020, il y a eu une opération de collecte et de contrebande. Ils prenaient des quantités de livres libanaises de la banque centrale et collectaient les dollars dans la SGBL (qui est présidée par Antoine Sehnaoui) jusqu’à la convocation du directeur de la banque Karim Khoury… ils ont reconnu avoir pris des sacs de livres libanaises et acheté des millions de dollars. Tous ont reconnu avoir acheté des dollars pour le compte de cette banque ».
« Les livres libanaises sortaient de la BCL vers plusieurs banques, dont la SGBL qui par la suite les livrait à un réseau de changeurs. Raison pour laquelle il y a eu une pénurie de dollars », a-t-il ajouté.
Spéculation sur la livre
Le Premier ministre a pour sa part attribué la détérioration de la parité de la livre libanaise face au dollar à une spéculation contre la monnaie locale.
« Comme le disent les rapports, les gens ont vendu plus de 5,5 millions de dollars le premier jour. Le deuxième jour, ils ont vendu plus de 4 millions de dollars, ce qui signifie qu’il y a eu un flux de dollars vers le marché, jusqu’à 10 millions de dollars en seulement deux jours. Le troisième jour, tout a soudainement disparu du marché, et le volume des ventes n’a pas dépassé 100 000 dollars. Bien sûr, cela est étrange et sans conséquence », a souligné Hassane Diab le lundi 15 juin.
Il a accusé des personnes non mentionnées d’avoir spéculé sur la parité de la livre libanaise et indiqué qu’il y aura une enquête à ce sujet. Ces personnes seraient également accusées d’avoir motivé les déposants à retirer leurs dépôts en livre libanaise et à acheter des dollars disponibles. Cela a également entraîné une augmentation des prix de consommation des produits de première nécessité et des pénuries pour certains d’entre eux.
Laxisme de la Justice
La Justice libanaise est accusée de laxisme avec les auteurs de ces opérations. Elle a relaxé Khoury quelques heures après son arrestation, en dépit de ses aveux qui concordent avec ceux des changeurs et fonctionnaires arrêtés.
Selon le journal libanais al-Akhbar, il n’est pas prévu que Sehnaoui réponde à la convocation du procureur général, fixée pour le 18 juin, du fait qu’il se trouve aux Etats-Unis. Pourtant son chef d’accusation a été allégée. Au lieu de répondre aux accusations de collecte et de transfert du dollar à l’étranger , il est convoqué pour la manipulation du taux de change, déplore al-Akhbar.
Salamé, protégé
Le gouverneur de la BCL, Riad Salamé qui impliqué dans ces manœuvres infestes ne semble pas non plus être inquiété. Malgré les demandes pressantes du gouvernement de le remplacer, et sa responsabilité avérée dans l’effondrement de la livre et la crise de l’endettement, il persiste dans son poste. Riad Salamé est aussi visé par les manifestants qui dénoncent sa politique monétaire qui a été élaborée en faveur des intérêts des banques et non des déposants.
Il est protégé par des acteurs internes et externes. L’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea a mis en garde contre sa démission et exprimé son insatisfaction des dernières nominations administratives. Le protégé des USA Mohamad Baasiri ne fait pas partie des quatre vice-gouverneurs de la BDL désignés la semaine passée.
Une campagne de désinformation lancée par certains médias libanais a escorté ces manœuvres, destinée à camoufler les remous de cette affaire. Ils ont propagé que la cause de la pénurie est due au fait que les billets verts étaient transférés vers la Syrie.
Source: Divers