Des Irakiens ont réagi avec indignation mercredi à la décision du président américain sortant, Donald Trump, de gracier quatre anciens agents de sécurité américains condamnés pour avoir tué des civils irakiens il y a 13 ans à Bagdad.
« J’ai perdu tout espoir il y a longtemps », a déclaré à l’AFP Fares Saadi, l’officier de police irakien qui a mené les enquêtes sur les fusillades de la place Nissour, lieu très fréquenté de la capitale irakienne.
« Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai pris des gens, les ai conduits à l’hôpital, j’ai pris des dépositions, mais je savais que nous ne verrions pas la justice », a-t-il raconté par téléphone.
Les quatre Américains avaient été reconnus coupables d’avoir pris part à une fusillade à Bagdad le 16 septembre 2007, un épisode sanglant qui avait provoqué un scandale international mettant notamment en exergue le recours à des sociétés privées par l’armée américaine. Ce qui avait accru le ressentiment des Irakiens à l’égard des Etats-Unis.
L’un des agents, Nicholas Slatten, a été condamné à une peine de prison à perpétuité. Les trois autres avaient été condamné à 30 ans de prison mais avaient vu leur peine divisée au moins par deux en 2019.
« J’ai tout suivi, la réduction (de peine) a été graduelle », ajoute Fares Saadi.
Quatorze civils irakiens avaient été tués et 17 autres blessés. Les agents de Blackwater avaient affirmé avoir agi en état de légitime défense.
L’équipe de Blackwater, engagée pour assurer la sécurité des diplomates américains en Irak après l’invasion des Etats-Unis en 2003, avait affirmé qu’elle répondait à des tirs d’insurgés.
Le ministère irakien des Affaires étrangères a indiqué mercredi qu’il demanderait à Washington de « revoir sa décision », en « contradiction » selon lui avec « l’attachement déclaré de l’administration américaine aux droits humains, à la justice et à l’Etat de droit ».
« Jamais à égalité »
Les Brigades du Hezbollah, faction de la coalition d’al-Hachd al-Chaabi qui a combattu Daech avec l’aide de conseillers iraniens, a
déclaré que les Etats-Unis « se leurraient en pensant que ces crimes seraient oubliés ».
La grâce présidentielle américaine est intervenue quelques semaines seulement après que la Cour pénale internationale a mis fin à une enquête préliminaire sur les crimes de guerre présumés commis par les troupes britanniques en Irak après l’invasion.
Ces décisions ont montré qu’il y avait peu de respect pour les droits humains à l’étranger, a pour sa part déclaré Ali Bayati, membre de la Commission des droits de l’Homme en Irak, un organisme lié au gouvernement.
« La dernière décision confirme les violations des droits humains et du droit international par ces pays », a-t-il déclaré à l’AFP.
« Ils accordent l’immunité à leurs soldats alors même qu’ils prétendent protéger les droits humains. Il n’y a jamais eu de procès sur les morts de Bagdad », a-t-il déploré.
Blackwater s’était vu retirer sa licence pour opérer en Irak et le département d’Etat américain n’avait pas renouvelé son contrat avec l’entreprise. Mais le groupe, qui a maintes fois changé de nom puis fusionné avec d’autres entreprises de sécurité, est aujourd’hui actif en Irak grâce à sa filiale « Olive ».
Le procès aux Etats-Unis était « une blague, et maintenant ils sont libérés (…) le président américain a ainsi prouvé que les Etats-Unis ont bien occupé (l’Irak) et ne l’ont pas libéré », affirme avec amertume Mohammed al-Shahmani, un habitant de Bagdad.
Toutes les familles de victime avaient accepté des compensations de Blackwater, sauf une. Celle de Ahmad, étudiant en médecine de 20 ans, et sa mère Mahasin, tués dans la fusillade.
« Nous étions tous dévastés à l’école » de médecine, a raconté à l’AFP une ancienne camarade d’Ahmad sous le couvert de l’anonymat.
« C’est un affront mais nous ne sommes pas surpris (par la grâce présidentielle). Les Américains ne nous ont jamais traités comme des êtres à égalité avec eux », ajoute-t-elle. « Notre sang est moins cher que l’eau pour eux, et nos demandes pour réclamer justice sont un léger désagrément. »
Source: Avec AFP