« Un régime suprématiste juif, du Jourdain à la Méditerranée : C’est l’Apartheid », tel était le titre d’un rapport daté du 12 janvier du groupe de défense des droits des Israéliens B’Tselem. Peu importe comment l’on interprète les conclusions de B’Tselem, le rapport reste bouleversant. La réponse officielle d’Israël a d’autant plus confirmé ce que B’Tselem avait déclaré en termes très clairs.
Ceux d’entre nous qui avaient affirmé à maintes reprises qu’Israël n’était pas démocratique, gouverné par un régime d’apartheid et qui discrimine systématiquement ses minorités ethniques et raciales, en faveur de la majorité juive du pays, n’ont rien à apprendre de la déclaration de B’Tselem.
Ainsi, il peut paraître, que le rapport, qui a mis en évidence la discrimination raciale dans quatre domaines majeurs – la terre, la citoyenneté, la liberté de circulation et la participation politique – ne faisait que répéter l’évidence.
En réalité, ce rapport est allé beaucoup plus loin.
B’tselem est une organisation sérieuse de défense des droits de l’homme. Néanmoins, comme d’autres associations Israéliennes, B’Tselem est rarement allée suffisamment loin pour défier la définition de base d’Israël en tant qu’État démocratique. En effet, à de nombreuses occasions, elle a accusé le gouvernement israélien et l’armée de pratiques non démocratiques, de violations généralisées des droits de l’homme, etc.
Mais de démolir la raison d’être même, le principe basique qui donne à Israël sa légitimité aux yeux de ses citoyens juifs, et à d’autres à travers le monde, est une histoire totalement différente.
« B’Tselem rejette la perception d’Israël en tant que démocratie (à l’intérieur de la ligne verte) qui maintient simultanément une occupation militaire (au-delà de la ligne verte) » conclut l’organisation israélienne de défense des droits. Cette déclaration est basée sur le fait que la « barre pour définir le régime Israélien en tant que régime d’apartheid a été atteinte après avoir considéré l’accumulation des politiques et des lois qu’Israël a conçu pour maintenir son contrôle sur les Palestiniens ».
Soyons clairs sur ce que cela signifie réellement. La principale organisation des droits de l’homme en Israël ne soutient pas que l’État d’Israël se transformait en un État d’apartheid ou qu’il agit contrairement à l’esprit démocratique ou qu’Israël était un régime non démocratique d’apartheid uniquement dans les limites géographiques des territoires Palestiniens occupés.
Rien de tout cela. Selon B’Tselem, qui a documenté depuis des décennies avec diligence de nombreuses facettes des pratiques du gouvernement israélien dans le domaine de la politique, de l’armée, de la propriété foncière, de la distribution d’eau, de la santé, de l’éducation et bien plus encore, Israël est, aujourd’hui, un régime d’apartheid totalement antidémocratique.
L’évaluation de B’Tselem est plus que bienvenue, non pas comme une admission tardive d’une réalité évidente, mais comme une étape importante qui pourrait permettre aux Israéliens et Palestiniens d’établir un récit commun sur leur relation, leur position politique et leur action collective afin de démanteler cet apartheid israélien.
Relativement, des groupes israéliens qui critiquent leur propre gouvernement ont historiquement bénéficié d’une marge de manœuvre beaucoup plus importante que les groupes palestiniens qui ont fait la même chose. Cependant, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
La liberté d’expression des Palestiniens a toujours été extrêmement limitée et la simple critique de l’occupation israélienne a conduit à des mesures extrêmes, y compris des passages à tabac, des arrestations et même des assassinats.
En 2002, une organisation financée par le gouvernement, l’ONG Monitor, a été créée précisément pour surveiller et contrôler les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme dans les territoires occupés, notamment Addameer, le Centre al-Mezan, al-Haq, le PCHR, entre autres.
Le raid de l’armée israélienne sur les bureaux de Ramallah de l’organisation de défense des prisonniers palestiniens Addameer, en septembre 2019, est l’un des nombreux exemples de cette violence.
Cependant, les actions du gouvernement israélien de ces dernières années indiquent une évolution manifeste dans les objectifs où les organisations de la société civile israélienne sont de plus en plus perçues comme l’ennemi, attaquées de multiples façons, notamment par la diffamation, les pénalités financières et les limitations de l’accès au public israélien.
Ce dernier point a été mis en évidence le 17 janvier, lorsque le ministre israélien de l’Éducation, Yoav Galant, a tweeté qu’il avait demandé à son Ministère « d’empêcher l’entrée d’organisations qualifiant Israël d’État d’apartheid ou ‘dénigrant’ les soldats israéliens, de donner des conférences dans les écoles ».
Curieusement, Galant a confirmé le point de vue de B’Tselem – le groupe contestant la prétention même d’Israël à la démocratie et à la liberté d’expression – en limitant le droit des militants des droits de l’homme, des intellectuels et des éducateurs israéliens à exprimer leur dissidence et à contester la ligne politique du gouvernement. Pour dire les choses simplement, la décision de Galant est une démonstration pratique du totalitarisme à l’œuvre.
B’Tselem n’a pas cédé. Au contraire, le groupe a exprimé sa détermination « à poursuivre sa mission de documenter la réalité » et à « faire connaître ses conclusions au public israélien et au monde entier ».
Le groupe est allé encore plus loin lorsque son directeur, Hagai El-Ad, a rencontré des centaines d’étudiants israéliens le 18 janvier pour discuter de l’incohérence entre l’occupation militaire et le respect des droits de l’homme. À la suite de cette rencontre, El-Ad a tweeté « La conférence @btselem a bien eu lieu ce matin. Le gouvernement israélien devra nous affronter jusqu’à la fin du régime d’apartheid ».
L’épisode B’Tselem-Galant n’est pas une prise de bec isolée, mais un exemple parmi tant d’autres qui illustre comment le gouvernement israélien se transforme en un État policier contre non seulement les Arabes palestiniens, mais aussi ses propres citoyens juifs.
En effet, la décision du Ministère israélien de l’Éducation s’appuie sur une loi antérieure datant de juillet 2018, qui a été baptisée « loi Rompre le silence ». Breaking the Silence est une organisation de la société civile israélienne composée de vétérans de l’armée qui se sont fait connaître en critiquant l’occupation israélienne et qui ont pris sur eux d’éduquer le public israélien sur l’immoralité et l’illégalité des pratiques militaires d’Israël en Palestine occupée.
Pour faire taire les soldats, l’ancien ministre israélien de l’Éducation, Naftali Bennett, a ordonné aux écoles d’interdire à ces objecteurs de conscience d’avoir accès aux étudiants et de s’adresser à eux directement.
La dernière décision du gouvernement, prise par Galant, n’a fait qu’étendre ce type de mesures, renforçant ainsi les restrictions imposées aux Israéliens qui refusent de suivre la ligne du gouvernement.
Pendant des années, un argument persistant dans le discours palestino-israélien soutenait que, bien qu’Israël ne soit pas une démocratie parfaite, il n’en est pas moins une « démocratie pour les Juifs ». Bien que les véritables démocraties doivent être fondées sur l’égalité et l’intégration, cette dernière maxime donnait une certaine crédibilité à l’argument selon lequel Israël peut toujours trouver un équilibre entre être nominalement démocratique tout en restant exclusivement juif.
Cet argument très contestable est en train de tomber de lui-même. Même aux yeux de nombreux Juifs israéliens, le gouvernement israélien ne possède plus aucun idéal démocratique. En effet, comme B’Tselem l’a succinctement dit, Israël est un régime de suprématie juive « du Jourdain à la mer Méditerranée ».
Par Ramzy Baroud.
Sources : Chronique Palestine ; Réseau international