Abou Mohamad al-Joulani, le fondateur de la branche d’al-Qaïda en Syrie, le front al-Nosra a adressé un message rassurant aux Etats-Unis et à l’Occident assurant que sa coalition de milices jihadistes takfiristes ne constitue pas de menace pour eux. En même temps, il mène dans le gouvernorat d’Idleb qu’il contrôle au côté des milices soutenues par la Turquie une campagne d’arrestations et de liquidations contre ses alliés étrangers et locaux, recherchés par la Coalition internationale.
HTC n’est pas une menace pour l’Occident
Le chef de la coalition des milices jihadistes takfiristes en Syrie Hayat Tahrir al-Cham (HTC/HTS), Abou Mohamad al-Joulani, a assuré dans une interview pour un journal américain n’avoir jamais constitué de menace pour l’Occident
Lors d’une interview avec Frontline, réalisée début février et publié récemment, le fondateur de la branche d’al-Qaida en Syrie, précédemment connue sous l’appellation front al-Nosra a indiqué que HTC ne constitue aucune menace pour les Etats-Unis ni pour l’Europe et il faut l’effacer de la liste des organisations terroristes.
En 2012, sous le mandat de Barak Obama, l’administration américaine avait inscrit le front al-Nosra sur sa liste d’organisations terroristes. Cette organisation qui a commis la plupart des attentats terroristes meurtriers dans les zones loyalistes syriennes, avant l’avènement de Daech, se trouve aussi sur la liste des organisation terroristes de l’ONU.
En 2013, la Maison Blanche a qualifié Joulani de terroriste et offert une récompense de 10 millions de dollars pour des informations pouvant conduire à son arrestation. En contact depuis avec des responsables qataris et turcs, il n’a jamais été inquiété. Ces deux pays sont soupçonnés d’avoir oeuvré pour blanchir sa page devant les Américains. la chaine de télévision qatarie Al-Jazeera lui a accordé deux fois au moins le privilège d’une interview.
Selon le journal américain, par ses déclarations, Joulani qui se trouve actuellement dans la province d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, « tente d’obtenir une acceptation plus large ».
Dans sa première interview avec un journaliste américain à Idleb, il a indiqué que « son rôle se limite à lutter contre le président syrien Bachar al-Assad et Daech et qu’il contrôle aussi une zone où des millions de Syriens déplacés pourraient devenir des réfugiés, ce qui reflètent des intérêts communs avec les États-Unis et l’Occident ».
Il a poursuivi: «D’abord et avant tout, cette région ne représente pas de menace pour la sécurité de l’Europe et des Etats-Unis et n’est pas un point de départ pour le djihad étranger».
Interrogé par le correspondant du journal sur les raisons pour lesquelles les gens devraient le considérer comme un leader en Syrie alors qu’il est classé comme terroriste, et il a dit que cette désignation était « injuste et politique ».
« Nous n’avons pas dit que nous voulions nous battre. Mes relations avec Al-Qaïda ont été interrompues. Même dans le passé, mon groupe était contre la réalisation d’opérations en dehors de la Syrie », a-t-il argué.
Du front al-Nosra à HTC: d’un nom à l’autre
En avril 2013, après s’être séparé de l’organisation Etat islamique en Irak, la branche d’al-Qaïda en Irak, il avait prêté allégeance à son chef égyptien Ayman Al-Zawhiri, a rapporté l’agence Reuters a cette époque.
En juillet 2016, après avoir changé le nom de sa coalition la baptisant le front Fatah al-Cham, il déclaré avoir rompu ses liens avec al-Qaïda, souhaitant que ses chefs seraient compréhensifs pour les nécessités de cette rupture. Mais il avait auparavant pris la permission d’Ayman al-Zawahiri qui avait déclaré quelques jours plus tôt dans un enregistrement sonore que le front al-Nosra pouvait sacrifier les liens organisationnels avec al-Qaida si ceci est nécessaire pour préserver son unité et poursuivre sa bataille en Syrie.
Une rupture exigée pour obtenir l’aide des pays du Golfe dont le Qatar qui représentait les monarchies du Golfe dans la guerre contre la Syrie et pour amorcer les liens avec les autres groupes qui combattent en Syrie, selon le site web du media allemand DW. Sans oublier que le groupe voulait aussi s’épargner les frappes aériennes dont il faisait objet aussi bien de la part des Américains que des Russes.
Mais l’administration américaine avait alors refusé la déclaration de rupture du front al-Nosra assurant par la voix de son département d’état pour les Affaires étrangères qu’elle resterait tout de même »une organisation terroriste ». L’administration d’Obama avait aussi assuré ne pas prendre au sérieux le allégations de rupture d’autant qu’elle a été demandée par Joulani de la part de la direction d’al-Qaïda.
En 2017, Joulani a procédé à un deuxième changement de son nom se baptisant Hayat Tahrir al-Cham. Avec l’adhésion d’autres groupes djihadistes takfiristes dans sa coalition, dont le front Ansareddine, le mouvement Noureddine al-Zenki, Jaïch al-Sounnat et la brigade al-Haq.
« Idleb, l’endroit le plus important du M-O »
James Jeffrey, qui a été ambassadeur des États-Unis auprès des administrations républicaine et démocrate et, plus récemment, représentant spécial pour la participation en Syrie et envoyé spécial de la coalition internationale pour combattre ISIS pendant l’administration Trump, a déclaré au Frontline que l’organisation de Joulani était « un atout pour la stratégie américaine à Idleb ».
«C’est l’option la moins mauvaise parmi les différentes options concernant Idleb, qui est l’un des endroits les plus importants de Syrie, et l’un des endroits les plus importants du Moyen-Orient aujourd’hui », a-t-il déclaré lors d’une interview le 8 mars.
Sachant que des organisations de défense des droits de l’homme ont documenté des violations de HTC allant d’attaques aveugles contre des zones civiles à des arrestations arbitraires.
La Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie a elle aussi déclaré avoir documenté des violations de HTC, et de ses formes antérieures depuis 2011 telles que la torture, les violences sexuelles, les traitements inhumains ou dégradants, les disparitions forcées ou la mort en détention.
Elle a indiqué que les incidents avaient atteint leur apogée en 2014, tandis que des violations avaient été documentées entre 2013 et 2019 à des niveaux similaires.
HTC libère un journaliste américain
Interrogé sur les informations selon lesquelles des journalistes et des militants auraient été arrêtés et parfois torturés, Joulani a affirmé que les personnes détenues par HTC étaient des « agents du régime » ou « des agents russes venus planter des voitures piégées » ou « des membres de Daech ».
Il a décrit les arrestations comme ciblant « des voleurs et des extorqueurs », rejetant les allégations selon lesquelles HTC poursuit ses détracteurs.
Le correspondant du journal américain l’a alors interrogé sur Bilal Abdul-Karim, le journaliste américain arrêté par HTC en août 2020, lui demandant s’il était prêt à le libérer. Il lui a alors répondu : « Cette affaire n’est pas entre mes mains, mais de l’appareil judiciaire ».
Ce journaliste afro-américain partisan d’al-Qaida était venu soutenir les milices jihadistes takfiristes depuis le début du mouvement de contestation en Syrie en 2012. Il s’est rendu à Doha en 2014, selon le site Memri, pour participer a une rencontre du centre Brokings intitulé « La création d’un Etat islamique est la volonté des jihadistes ». Al-Jazeera lui avait aussi assuré une couverture médiatique élogieuse, saluant ses efforts en Syrie et lui accordant le titre de la personnalité la plu infuente en 2017.
Des activistes pro Damas lui ont publié des photographies où il est nu, l’accusant d’être venu en Syrie pour se faire un harem d’épouses et pour diaboliser l’armée syrienne.
Selon le journal, Abdel Karim a été libéré le 17 février, c’est-à-dire un peu plus de deux semaines après cet entretien.
Concernant les informations indiquant que les agents de Joulani ont torturé les détenus, ce dernier a déclaré : « Il n’y a pas de torture. Je rejette complètement cela et j’accorderai aux organisations internationales de défense des droits humains le droit d’accéder aux prisons ».
Campagne d’arrestations et de liquidations
Le mercredi 7 avril, HTC a mené une énième campagne d’arrestations contre des miliciens armés locaux et étrangers recherchés par la Coalition internationale menée par les Etats-Unis en Syrie. Cette campagne s’est exacerbée depuis son interview avec le Front Line, constatent les observateurs.
Des sources locales ont parlé de l’arrestation de 15 chefs et miliciens du groupuscule Hourras Eddine qui ont des nationalités tunisiennes, algériennes turques, égyptiennes et françaises.
Des activistes ont fait part qu’une force de chars avaient investi la localité Armanaz, à l’ouest d’Idleb où ont eu lieu des accrochages au cours desquels le chef de ce groupe, le dénommé Abou Omeir Sarmine a été arrêté et ses accompagnateurs tués.
HTC est aussi à la recherche d’un autre responsable de Hourras Eddine, l’égyptien connu sous le pseudonyme Abou Zar al-Masri qui avait échappé à un raid de la coalition contre sa voiture depuis plus d’un an. Mais HTC avait dévoilé qu’il a survécu à l’attaque, puis l’avait arrêté ainsi que son fils dans la localité frontalière de Sarmada au nord d’Idleb. Il semble l’avoir libéré depuis.
Le même sort attend aussi les miliciens de HTC originaires d’Ouzbékistan, dont certains ont disparu ces derniers temps dans des opérations de rapt individuelles. Ils sont en état de mobilisation dans les régions de leur déploiement à l’ouest d’Idleb.
Un ministre de HTC liquidé
Face à cette campagne, HTC fait aussi l’objet d’enlèvements et de liquidations dans la province d’Idleb et ses environs.
Un ministre de son gouvernement de Salut créé dans cette province, Fayez al-Khalif a été tué près de sa maison.
« Le cadavre d’al-Khalif a été retrouvé jeté à proximité de la localité al-Tawamat à l’ouest d’Alep avec des traces de torture sur son corps », ont indiqué des activistes, selon la télévision libanaise d’information al-Mayadeen Tv. Il avait été désigné dans un premier moment comme ministre de l’Agriculture puis de l’Education.
C’est la première fois qu’un responsable d’un rang élevé de HTC subit un sort pareil.
Source: Médias